Comment le piratage de films sur Internet menace la culture française

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Par Mohamed Benkhlifi Publié le 24 juillet 2017 à 14h08
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430 MILLIONS €Chaque année l'Etat perd 430 millions d'euros à cause du téléchargement illégal.

En France, le manque à gagner global entraîné par le téléchargement de contenus illégaux sur Internet vient d’être évalué à 1,35 milliard d’euros. Une bien triste nouvelle pour le cinéma tricolore qui souffre de plus en plus du piratage de films. Face à ce constat, ses contributeurs historiques, comme Canal+ ou France Télévisions, pourraient revoir à terme leurs financements, ce qui ne serait pas sans conséquence pour la culture française.

Regarder un film sur Internet a toujours été un jeu d’enfant. Enfin jusqu’à présent en tout cas. Il suffit en effet de taper dans une barre de recherches le titre du film suivi de la mention « streaming » — avec, éventuellement, les lettres « VO » pour obtenir la « version originale » — et le tour est joué. Rapide, souvent efficace et, en tout cas, gratuit. Une pratique sans conséquence ? Pas si sûr. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la chasse à la consommation illégale de contenus sur Internet a sonné il y a quelques années.

1,35 milliard d’euros de manque à gagner

Si l’essor d’Internet, dans les années 2000, a permis de faciliter certains pans de nos vies à bien des égards, il s’est également accompagné de dérives certaines ; dans les milieux du cinéma et de la télévision notamment. Réalisateurs et autres producteurs ont vu, petit à petit, leurs créations atterrir dans les hauts lieux du piratage sur le Web ; la propriété littéraire — et, surtout, les droits patrimoniaux, qui permettent aux « créateurs » d’être rémunérés — se sont vu sacrifier sur l’autel de la (trop) grande liberté offerte par la Toile à ses débuts.

L’idée initiale du world wide web n’était-elle pas, après tout, de tout rendre accessible à tout un chacun ? Certaines personnes — dont le souhait, louable à la base, était de faire de la culture un bien commun et partagé — ont donc mis à disposition des internautes un certain nombre de moyens leur permettant, au choix, d’échanger ou piocher dans des listes interminables de films.

Sauf que, loin d’être un vœu pieux, le projet a rapidement connu ses limites. L’une d’entre elles : le manque à gagner lié à la consommation illégale de contenus audiovisuels. En février dernier, le cabinet d’audit financier EY — anciennement Ernst & Young — publiait d’ailleurs une estimation de ce manque à gagner pour la France. Résultat : les 13 millions de consommateurs pirates — pour 2,5 milliards de contenus consommés illégalement — entraînent un manque à gagner pour la société de 1,35 milliard d’euros.

Si l’Etat, qui perd 430 millions d’euros de recettes fiscales et sociales, est logiquement le plus touché, le cabinet d’études estime que la pratique empêche de créer quelque 2 000 emplois directs (soit 60 millions d’euros) ; la capacité des entreprises à investir dans la filière audiovisuelle se voit également limitée (330 millions d’euros d’investissement en moins) et, surtout, les créateurs et ayants droit sont totalement floués (265 millions d’euros).

« Sophistication des pratiques de consommation illégale »

Si le marché noir du film, qu’il s’agisse du live streaming – diffusion en temps réel d’une vidéo – ou du streaming — regarder un film directement sur une page Internet —, et même du peer-to-peer (P2P) — plateforme de téléchargement sur laquelle tout client est également serveur, c’est-à-dire qu’il peut partager tout type de fichiers —, se porte bien dans l’Hexagone, c’est notamment parce que les outils se sont multipliés. Hormis les ordinateurs — comme dans les années 2000 —, les Français téléchargent ou regardent du contenu illégal également sur tablette et même smartphone.

D’après l’étude d’EY, « l’essor et la sophistication des pratiques de consommation illégale sont corrélés au développement des modes de monétisation des sites Web pirates ». Les premières sources de revenus de ces sites ? La publicité. La plupart des sites Internet de téléchargement et de streaming illégaux monétisent ainsi l’audience de visiteurs « grâce à l’affichage de publicités sur les plateformes vidéo illégales, gérée par des régies publicitaires externes (la plupart hébergées hors du territoire français) ».

C’était notamment le pari du site « Zone téléchargement », dont « le chiffre d’affaires annuel […] a été estimé entre 1 et 1,5 million d’euros de reversements nets publicitaires par les autorités chargées de sa fermeture fin 2016. » Extrêmement populaire en France — il totalisait en moyenne près de 4 millions de connexions par mois et 11 000 téléchargements par jour —, et ce jusqu’à devenir le 11e site le plus fréquenté dans le pays. Le 28 novembre dernier, la gendarmerie a ordonné sa fermeture, après qu’une plainte ait été déposée à l’automne 2014 par l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) notamment.

La culture française en danger

Créé en 1985, l’Alpa est un organisme dont le but est de défendre et protéger les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Ses armes ? La lutte contre la contrefaçon — des agents assermentés constatent les infractions relevant du code de la propriété intellectuelle et transmettent des procès-verbaux aux autorités judiciaires — ainsi que la prévention et la sensibilisation. L’association collabore ainsi régulièrement avec les professionnels des industries audiovisuelles — membres de l’Alpa —, les organismes du secteur culturel et, donc, la police ou la gendarmerie.

Mardi 27 juin, des policiers suédois accompagnés de gendarmes français ont ainsi « fermé » le site historique de téléchargement illégal « T411 », après avoir perquisitionné dans la matinée un logement dans la périphérie sud de Stockholm. Bilan du coup de filet : deux ressortissants ukrainiens soupçonnés d’être les administrateurs du site et, surtout, les serveurs à partir desquels était administré « T411 ». Le site était un tracker, soit un annuaire de fichiers illégaux partagés grâce au système du P2P, et permettait grâce à un compte privé d’accéder à des films français parfois très rares.

Mais si les autorités françaises enregistrent quelques succès, ces derniers ne sont malheureusement pas suffisants pour enrayer le fléau qu’est le piratage des œuvres culturelles. Les moyens dont ils disposent ne sont pas à la hauteur des enjeux. A titre de comparaison, au Portugal, depuis la signature d’un protocole qui énonce la procédure à suivre afin de signaler « les sites susceptibles de violer le droit d’auteur », l’Inspection générale des activités culturelles (IGAC) du ministère peut demander aux fournisseurs d’accès Internet de bloquer l’accès aux sites Web en question. Résultat : en avril 2016, 330 sites frauduleux avaient été bloqués grâce à cette procédure.

La faiblesse des moyens français pourrait se payer (très) cher. La logique est aussi implacable que désastreuse : davantage de contenus regardés illégalement sur le Web équivaut à de moindres revenus pour les diffuseurs — Canal+ et France Télévisions par exemple, gros contributeurs du financement des films en France —, qui, voyant que les droits de diffusion ne leur servent plus, arrêteront de financer les productions cinématographiques. Or, si les investissements diminuent, les œuvres cinématographiques seront dès lors moins nombreuses et de moins bonne qualité. C’est donc la culture française et sa diffusion qui seront mises à mal…

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Juriste en propriété intellectuelle

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