L’enjeu commercial sino-américain

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 21 novembre 2018 à 11h37
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40%Sur les 142 demandes faites par Washington, 40% peuvent recevoir une réponse positive dans un délai court et 40% à un horizon de quelques années.

La baisse en cours sur les marchés d’actions trouve pour l’essentiel son origine dans l’apparition d’un doute sur la capacité des présidents américain et chinois à progresser dans la résolution de de la dispute commerciale entre leurs deux pays.

Le présidents américains et chinois doivent se rencontrer en tête à tête à la fin du mois à Buenos Aires, en marge d’une réunion du G20. Le marché a pendant un temps cru que la rencontre marquerait le début des négociations et qu’à ce titre les hausses annoncées de taxes à l’importation seraient sans doute gelées, au moins pour un temps. Les signaux faibles reçus allaient dans ce sens. Ne parlait-on pas d’échanges téléphoniques entre Liu He, le Vice-premier ministre chinois en charge de la politique économique et de Mnuchin, le secrétaire américain au Trésor ? Et patatrac la perspective constructive a été remise en cause par la perception d’un climat délétère peu propice au dialogue, lors du sommet de l’APEC qui s’est tenu le week-end dernier en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le Vice-président américain invite les pays d’Asie-Pacifique à ne pas se mettre dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Chine et le Président chinois pointe le risque de remise en cause des chaines de valeur organisées au niveau de la région, du fait de la politique commerciale de Washington. Depuis, les informations reçues, avant tout en provenance des Etats-Unis, envoient des messages contradictoires. D’un côté, un rapport du ministère en charge des négociations commerciales pointe le comportement prédateur inchangé de la Chine en matière de propriété intellectuelle et de technologie ; de l’autre, Larry Kudlow, le conseiller économique de la Maison Blanche, évoque l’optimisme du Président. Celui-ci serait fondé sur sa perception de la volonté des Chinois d’arriver à un accord et du dialogue en cours à tous les niveaux des deux gouvernements.

Voilà pour l’ambiance. Tentons maintenant de préciser les éléments de fond : les ambitions de deux capitales, les marges de manœuvre économiques en cas de poursuite de la montée des tensions et le contexte de politique intérieure propre à chacun des deux pays.

A-t-on une idée précise des objectifs à atteindre au terme de cette négociation qui s’ouvrira peut-être sous peu ? La question vaut tout particulièrement pour les Etats-Unis. La Maison Blanche ambitionne-t-elle vraiment « endiguer » l’expansion d’une Chine devenue un rival stratégique ou donne-t-elle la priorité à ouvrir plus grand le marché chinois aux produits et services made in USA ? La toute récente initiative visant à mieux contrôler les exportations de produits des secteurs de la technologie envoie plutôt un signal en direction d’un équilibre davantage du côté de l’endiguement. A contrario, l’approche a peut-être une ambition plus universelle que centrée sur la Chine. Qui sait, avec les instincts protectionnistes du Président Trump ! Du côté chinois, il n’y a assurément aucune volonté d’abandonner le plan « Made in China 2025 » visant à transformer l’industrie domestique en une puissance technologique parmi les plus importantes au monde.

Mais il y a aussi une prise de conscience qu’il faut trouver un terrain d’entente avec les Etats-Unis. On aime souligner à Pékin que, sur les cent quarante-deux demandes faites par Washington, 40% peuvent recevoir une réponse positive dans un délai court et encore 40% à un horizon de quelques années. Pour les 20% restants (avec une couverture allant du secteur de la technologie aux interventions de politique industrielle, en passant par le soutien à l’investissement), la position chinoise est fermée. Voilà ce qu’on peut dire des termes du débat. Ils ressemblent à la question de la « bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ». Il est possible de forger un compromis ou d’arriver à un constat d’échec. Peut-être que la prise en compte des dimensions économique et politique permet de repérer de quel côté la balance pourrait pencher.

Chacun des deux protagonistes considèrent que son pays est mieux positionné que l’autre pour « encaisser » le choc économique d’une montée des tensions commerciales. Washington pointe la plus grande dépendance de la Chine aux exportations vers les Etats-Unis et Pékin met en avant l’incohérence de la politique économique américaine : entraver l’accès aux marchandises étrangères au moment même où l’offre domestique a du mal à répondre aux sollicitations d’une demande intérieure dynamique. Cela ne pourra se finir qu’avec plus d’inflation et moins de croissance. Qui a raison ? Si la Chine accepte de remiser ses ambitions de réformes structurelles (moins d’endettement et moins de pollution), elle a les moyens de relancer massivement son économie. C’est sans doute moins le cas aux Etats-Unis : importance à aujourd’hui du déséquilibre des comptes publics oblige. Pourtant l’Administration Trump ne peut pas prendre le risque d’un décrochage de la croissance dans la perspective de l’élection présidentielle de novembre 2020. Comment ne pas conclure que la position chinoise paraît fondamentalement plus solide ? Même s’il faut ajouter que Washington a une fenêtre de quelques petits trimestres pour accroître la pression sur son partenaire.

Passons à la politique. Le Président Xi, face à son opinion publique, ne peut pas perdre la « bataille des droits de douane ». Il doit trouver un compromis ; sachant qu’une victoire « complète » est hors de portée. Le président Trump doit à la fois consolider sa base électorale dans la partie centrale du pays (Midwest et Grandes Plaines) et préparer sa campagne électorale de 2020. Cela donne une chronique de ce type : fermeté, puis accord afin de laisser le sujet derrière et se concentrer sur la croissance économique qui sera la clé de son éventuel succès.

N’y a-t-il pas au final de quoi conclure que les deux camps ont objectivement intérêt à ouvrir les négociations et à mettre en avant de réels progrès à un horizon de quelques mois, à défaut d’aboutir à un accord plus complet ? En se souvenant toutefois que les Etats-Unis chercheront, à un moment donné, à dramatiser l’enjeu. La perspective a-t-elle de quoi réconforter les marchés ? Non, s’ils gardent une focale courte ; davantage oui, s’ils acceptent d’entrer dans une approche plus analytique.

Du côté européen il faudra être attentif aujourd’hui à deux choses. D’abord, la position prise par la Commission européenne vis-à-vis de la proposition de budget 2019 pour l’Italie. Un diagnostic critique ouvrirait le chemin menant au lancement d’une procédure pour déficit excessif. Ensuite, Theresa May se rend à Bruxelles pour discuter avec Jean-Claude Juncker du Conseil européen de dimanche au cours duquel les « 27 » doivent donner leur accord au texte de sortie du RU de l’Union,négocié entre le gouvernement britannique et la Commission. On murmure que la Première ministre chercherait à revoir certaines des conditions du divorce. Cela paraît peu probable. L’attention devrait plutôt porter sur le contenu de la déclaration politique, qui balisera le futur des relations entre le continent et l’île. Le point est d’importance pour PM May, qui cherche actuellement à gagner la bataille de l’opinion publique dans son pays avant d’engager celle, redoutable, du Parlement (à la mi-décembre sans doute).

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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