La bombe Z : Comprendre la bombe à retardement des taux directeurs à 0 %

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Par Alain Desert Publié le 16 avril 2015 à 5h00
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0 %La France emprunte actuellement à des taux avoisinant les 0 %.

Cet article propose de fournir quelques explications sur les effets pervers des taux d’intérêts très bas, issus d’une logique dogmatique d’une banque centrale européenne qui a décidé de fixer et maintenir des taux directeurs à 0 % très longtemps.

L’argent gratuit est à la fois une aberration et un danger majeur pour la stabilité de nos systèmes économiques.

Aberration car l’argent gratuit est une bombe à retardement

J’’avais déjà expliqué dans de précédents articles (L’étau des marchés et les taux à zéro des banques centrales ; Les jeux dangereux de la BCE. L’argent et le temps valent zéro à ses yeux) que le coût de l’argent aujourd’hui proche de zéro, voire à zéro pour les états emprunteurs, était une aberration, et que paradoxalement, quand bien même cette ressource soit illimitée, elle devrait avoir un prix, un vrai prix, premièrement parce qu’une ressource gratuite entraîne des abus d’usage et deuxièmement pour nous épargner les désillusions futures (inflation, perte de confiance en la monnaie, baisse du pouvoir d’achat, baisse du rendement de l’épargne).

Pour que cette analyse constitue un tout, j’ai repris quelques idées fondamentales des articles cités.

Je le dis souvent, car c’est essentiel pour comprendre les dynamiques qui opèrent aujourd’hui, notamment les phénomènes de bulles : aucune ressource ne peut être gratuite très longtemps sans entraîner des effets pervers souvent redoutables à moyen ou long terme. En positionnant des taux directeurs à zéro, la BCE rend la ressource quasi gratuite, une véritable aubaine pour les établissements bancaires et les états qui peuvent aujourd’hui emprunter à 0% sur du court ou moyen terme. Si on prend en compte le fait qu’il y a encore un peu d’inflation en France, l’état Français gagne désormais de l’argent en empruntant (il en gagne déjà sur certains emprunts à taux négatifs). Comme on dit, on marche sur la tête !

Le principe de gratuité occasionne toujours des effets pervers et dévastateurs:

  • Si demain la viande est gratuite (subventionnée par l’état, car en fait rien n’est réellement gratuit !), les français qui adorent la viande vont s’empiffrer de steaks à tous les repas. Bonjour les dégâts sur la santé, la prolifération des élevages industriels, et autres effets indésirables.
  • Si demain l’essence est gratuite (toujours subventionnée par l’état), les automobilistes vont rouler davantage. Bonjour la pollution, le bruit, l’épuisement des ressources pétrolières, les embouteillages, le stress au volant, les retards, etc ….
  • Si demain les croissants sont gratuits (imaginons une directive gouvernementale en ce sens), les français vont se précipiter le matin chez leur boulanger favori. Bonjour les maladies cardio-vasculaires, l’épidémie d’obésité.

C’est la même chose pour l’argent. Les dégâts peuvent être considérables.

Aberration comptable

Chacun d’entre nous qui prend rendez-vous avec son banquier pour solliciter un prêt n’est pas surpris que celui-ci nous facture une contrepartie qu’on appelle taux d’intérêt qui entres autres facteurs correspond principalement à la rémunération du risque (auquel s’ajoute bien sûr la rémunération de la banque). Aujourd’hui l’état français peut emprunter sur le court et moyen terme à 0 %. En théorie, un taux à zéro laisse penser qu’on peut emprunter une somme infinie sans payer le moindre centime d’euro d’intérêt. Certes, l’infini n’ayant pas vraiment de sens en économie, on peut cependant imaginer que si les taux restent durablement bas, proches de zéro, l’état pourrait renouveler complètement son stock de dettes en quelques années à un coût négligeable. Vous imaginez un état avec un amas de dettes de plus de 2000 milliards d’euros, et une charge de la dette (les intérêts à payer) s’approchant de zéro ? Le rêve ! La dette ne nous coûte plus rien (un gain de plus de 40 milliards d’euros par an) … le rêve je vous dis.

Il n’y aurait plus aucun souci non plus pour fabriquer les lois de programmation des finances publiques, puisque le financement des déficits devient gratuit. Déficit à 4%, 6%, 10%, c’est pareil, le coût est égal à zéro. L’état pourrait distribuer de l’argent gratuitement, sans se faire tordre les oreilles par Bruxelles ! Pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? La politique ne pouvant se résumer à la bonne gestion des contradictions, espérons que son champ de compétences s’étende jusqu’à la bonne gestion des aberrations.

Aberration par l’entretien du laxisme d’état

La France doit impérativement entreprendre des réformes, les vraies, celles qui s’attaquent aux structures vieillissantes incompatibles avec un monde moderne, paralysant le système économique, entretenant les injustices sociales face aux revenus, à la protection de l’emploi, aux pensions de retraite, etc., contrariant le retour à des équilibres budgétaires indispensables pour assurer le futur, et non pas faire passer des réformettes ou des ajustements techniques pour des réformes structurelles. Mr Draghi a donné du temps, un luxé limité qui se raréfie quand les phénomènes s’accélèrent ; aux états de mettre à profit ce temps. Malheureusement, les taux à zéro vont contrarier les quelques velléités gouvernementales qui semblent déjà lointaines. A quoi bon faire des efforts quand ce sont les autres qui les font ? Pourquoi réduire le déficit quand celui-ci ne coûte plus rien ? Le « court-termisme » l’a définitivement emporté !

Aberration face aux principes d’optimisation des systèmes

On peut remarquer que presque tous les systèmes ou appareils dont le comportement est influencé par un système de paramétrage trouvent rarement leur optimum lorsque les variables sont réglées sur des valeurs extrêmes. Pour être plus précis, les courbes exprimant l’efficacité d’un paramétrage sont très souvent en forme de cloche ou de U. Même en considérant qu’un réglage paramétrique voit son optimum évoluer en fonction du contexte, le positionnement des taux d’intérêts à un niveau zéro ou proche de zéro, donc à l’extrémité de la courbe d’efficacité a peu de chances de constituer un optimum. Mais j’admets qu’une démonstration qui en apporterait la preuve est assez difficile.

Quelques exemples :

  • Si le volume d’une chaîne HIFI est trop bas, on n’entend pas les graves, et s’il est trop haut on perçoit des parasites.
  • Si on fait tourner le moteur d’une voiture à bas régime, il broute et le couple moteur est faible, à très haut régime, il consomme beaucoup, il chauffe ou il casse.
  • Si on prend un médicament à très faible dose, il est inefficace, à trop forte dose on risque de graves effets secondaires.
  • Si la pression fiscale est faible, les recettes sont faibles ; si elle est trop forte les recettes diminuent par rapport à un niveau optimum du fait d’un ralentissement de l’activité économique (courbe de Laffer).
  • Si une aide de l’état est trop faible elle n’atteint pas son objectif, si elle est trop élevée elle crée un déséquilibre entre bénéficiaires et non bénéficiaires
  • Etc… les exemples sont nombreux.

A l’image du son de la chaîne HIFI, on peut se demander si le bouton de réglage des taux directeurs manœuvré par la BCE ne provoque pas quelques parasites ou brouillages dans notre économie.

Ma démonstration peut paraître à première vue aberrante, paradoxale, tellement il est évident que les taux bas favorisent les états emprunteurs, les entreprises et les particuliers qui investissent. Mais comme je l’ai souvent expliqué, il s’opère aujourd’hui une déconnexion entre la réalité économique, la prise de risque et le niveau des prix des actifs, y compris le prix de l’argent. On est durablement installé dans un GRAND MENSONGE puisque les banques centrales, avec leur politique non conventionnelle, ont tordu cette vérité des prix, en l’occurrence les taux de change, les taux court terme, les taux long terme. Nous sommes actuellement en train de vivre une phase unique dans l’histoire de l’humanité. Jamais dans l’Histoire, les économies ont connu un interventionnisme de cette ampleur et de cette nature. Les politiques dites « non conventionnelles » sont qualifiées ainsi, justement parce qu’elles sont exécutées en dehors d’un cadre classique, en dehors d’une démarche logique et raisonnable de régulation.

On a basculé comme avec certains sports dans un système de dopage massif, où les marchés ont accès à de l’argent facile et gratuit. Actuellement les bourses européennes sont à nouveau dans une phase d’euphorie, dopée par les perspectives du QE et ses rachats de dettes. L’euphorie d’aujourd’hui, c’est le krach de demain, une nouvelle crise financière, une nouvelle récession, peut-être plus grave encore que la crise de 2008/2009, avec des banques centrales qui seront alors dépourvues de toutes munitions, les ayant toutes utilisées (taux zéro, accès facile aux liquidités, rachats massifs d’actifs, QE, baisse de l’euro).

Il faut analyser les choses globalement et pas uniquement sous des angles qui arrangent les économistes ou les politiciens. Pour maintenir l’équilibre des marchés, pour éviter les bulles spéculatives dévastatrices, assurer la rémunération correcte de l’argent, maintenir le pouvoir d’achat de ceux qui font fructifier un capital pour améliorer leurs revenus et assurer leur retraite (complément par capitalisation), stopper les fuites en avant, les taux ne devraient pas être maintenus aussi bas, aussi longtemps. L’efficacité de telles mesures reste à mon avis à démontrer, tout en craignant fort qu’elle reste indémontrable.

Aberration pour les épargnants qui sont spoliés

Les politiques dites non conventionnelle des banques centrales sont déployées nous dit-on pour apporter des liquidités au système bancaire et reconstituer leurs capacités à offrir du crédit (ce fût déjà le cas avec les LTRO) tout en faisant baisser les taux. Mais le problème est que ces politiques constituent des instruments de spoliation des épargnants, en général réticents aux risques, se réfugiant dans des produits comme l’assurance-vie ou le bon vieux livret A, de moins en moins rémunérés au profit d’investisseurs avertis, très inspirés dans un monde de « surliquidités ». En détruisant la relation normale entre risque et rémunération, particulièrement évident pour les dettes souveraines, ces politiques contribueront une nouvelle fois, comme aux Etats-Unis, à la formation de nouvelles bulles qui ne demanderont qu’à éclater.

En attendant, vos placements vous rapporteront de moins en moins, victimes des taux à zéro, de l’argent gratuit, de la manipulation des prix, et peut-être demain de l’inflation retrouvée. Mais en affaiblissant le prix de l’argent, ne contribue-t-elle pas à des anticipations contraires à ce qu’elle recherche, par exemple une moindre consommation au profit d’un accroissement de l’épargne (financière et immobilière) en vue de consolider une retraite perçue depuis longtemps comme incertaine, et plus incertaine encore demain si les taux restent durablement à des niveaux historiquement bas. Mais en économie, tout est possible, le contraire peut aussi opérer, les consommateurs s’empressant de consommer en voyant leur argent se dévaluer tout en n’étant plus rémunéré.

Conclusion

La grande majorité des politiciens pense beaucoup de bien des taux à zéro. L’état peut ainsi emprunter gratuitement et la dette s’envoler toujours plus haut dans une cavalerie perpétuelle. Eh oui, l’argent est quasi gratuit, profitons-en ! Nous avons gagné du temps, beaucoup de temps, tout du moins sur la problématique de l’endettement, aidée par une BCE qui rachète les dettes des états, lançant ainsi une vaste opération de monétisation aux conséquences inconnues. L’excès de liquidités favorisé par les taux à zéro, peut s’apparenter à un épisode naturel de fortes de pluie provoquant de conséquentes inondations. Si les dégâts sont généralement couverts par les assurances, il n’en est pas de même de nos inconséquences budgétaires et monétaires. Alors, pourquoi mépriser autant le futur pour satisfaire nos envies du présent ?

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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