La sécu a fait des économies. Devinez sur qui ?

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Par Jacques Bichot Publié le 7 juin 2018 à 5h00
Securite Sociale Comptes Economies
0,2 %L'an dernier, les prestations légales de la branche famille de la Sécurité sociale ont chuté de 0,2 %.

La Commission des comptes de la sécurité sociale valide chaque année deux rapports sur les comptes de la sécu, l’un en juin – qui vient d’être rendu public - et l’autre, plus complet, en septembre. En sus des comptes relatifs aux années antérieures, le rapport fournit des prévisions pour l’année en cours.

Quelles informations peut-on tirer de ces comptes ?

Chercher à tirer de ces milliers de chiffres des indications claires sur l’état de nos finances sociales serait courir après une chimère. En effet, premièrement il ne s’agit, en juin, que des comptes du régime général, ce qui ne représente pas la totalité de nos dépenses sociales : si c’est la grosse majorité pour la Santé, les accidents du travail et la famille, c’est moins de la moitié pour la Vieillesse. Et deuxièmement, le système des vases communicants entre les finances de l’Etat et celles de la sécu est tel que le résultat comptable de cette dernière ne reflète nullement, comme ce serait le cas pour une entreprise, la différence entre ses recettes propres et ses dépenses : aux recettes propres s’ajoutent en effet des dotations de l’Etat, qui prennent des formes assez diverses (subventions, affectation totale ou partielle de certaines recettes fiscales), et peuvent changer d’une année sur l’autre pour des raisons politiciennes.

Les cocoricos lancés lorsque le déficit semble diminuer, et les pleurs versés lorsqu’il semble augmenter, saluent donc des améliorations ou des aggravations calculées selon des règles comptables qui ne fournissent pas nécessairement des informations pertinentes, du fait des transferts entre Etat et Sécu qui viennent d’être évoqués. En revanche, le rapport est intéressant par les indications qu’il fournit sur les dépenses et sur certaines recettes.

Le sacrifice de la branche famille

Depuis plusieurs décennies, la branche famille est celle à laquelle on rogne régulièrement les ailes, en diminuant les prestations qu’elle verse et ses recettes propres, et en augmentant ses transferts à la branche vieillesse. L’évolution récente poursuit dans ce sens. Selon les termes mêmes du rapport, « pour la troisième année consécutive, les prestations légales ont baissé (- 0,2 %) ».

Les dépenses en direction de la petite enfance sont au top de cette diminution. Elles ont beaucoup diminué depuis 2 ans, et vont continuer à baisser, surtout les allocations versées durant le congé parental : celles-ci sont passées de 1 788 M€ en 2015 à 1 232 M€ en 2017 et elles sont prévues à 991 M€ en 2018 (- 19,6 % de l’an dernier à cette année). Le nombre des naissances diminue lui aussi depuis 3 ans, mais fort heureusement pas dans les mêmes proportions. Le sens de la causalité, si causalité il y a, va donc beaucoup plus de la ladrerie croissante de ces prestations destinées à permettre aux jeunes mères de « pouponner » un peu, vers la dénatalité, que dans le sens inverse.

La baisse des prestations légales est en partie compensée par une hausse importante des prestations extralégales, qui devrait atteindre presque 12 % de 2015 à 2018. Si l’on y ajoute diverses prestations sous conditions de ressources, complément familial et allocation de soutien familial principalement, toutes deux en progression d’environ 6 % par an en 2016, 2017 et 2018, et les prestations extra-légales, la CNAF devient de plus en plus un organisme d’assistance aux familles en difficulté, et de moins en moins une institution chargée de répartir entre tous les citoyens les frais de l’indispensable investissement dans la jeunesse.

La branche vieillesse : forte progression des dépenses et des recettes

Le rapport annonce un doublement de l’excédent de la CNAV, à 1,8 Md€. Il faut dire que, notamment du fait des augmentations de taux décidées par la loi retraite de Janvier 2014, les rentrées de cotisations ont beaucoup augmenté : de 75 Md€ en 2015 à 85,9 Md€ en 2017 et, l’amélioration de l’emploi aidant, 89 Md€ prévus en 2018. Cela explique que la forte augmentation des prestations (de 110,6 Md€ à 126,2 Md€) ait pu se produire en sortant du léger déficit (300 M€) enregistré en 2015 pour arriver à un excédent non négligeable (1,8 Md€ en 2017 ; 1,3 Md€ prévus en 2018).

Les comptes de la CNAV seraient néanmoins fortement déficitaires sans les dotations provenant du FSV (le Fonds de solidarité vieillesse) et de la branche famille. Comme le FSV donne en partie de l’argent qu’il ne récolte pas, mais qu’il emprunte, il est déficitaire : à hauteur de 2,9 Md€ en 2017, et de 2,8 Md€ dans les prévisions pour 2018. Ce qui veut dire que la branche vieillesse, FSV inclus, est encore déficitaire : il manque 1,1 Md€ pour 2017, et pour 2018 le besoin de financement devrait augmenter légèrement, à 1,4 Md€.

Ce n’est pas tout : la CNAV bénéficie également d’importants transferts en provenance de la CNAF, qui lui verse chaque année un peu plus de 10 Md€, au prétexte que le versement de majorations de pension aux parents de famille nombreuse constituerait une sorte de prestation familiale, et que l’assurance vieillesse des parents au foyer devrait être préparée par des versements de cotisations vieillesse (prises en charge par la CNAF). En réalité, la préparation des retraites futures étant préparée par la mise au monde et l’éducation des enfants, les parents de famille nombreuse cotisent déjà « en nature », mais le mythe selon lequel ce seraient les cotisations vieillesse qui préparent les pensions futures, comme si la retraite par répartition fonctionnait de la même manière que la retraite par capitalisation, rend cette entourloupe « politiquement correcte ». Sans cette ponction justifiée par des sophismes ayant force de loi, les comptes de la CNAV seraient fortement déficitaires, et ceux de la CNAF fortement excédentaires.

L’assurance maladie : un « vrai-faux » retour à l’équilibre

Officiellement, la CNAM, hors accidents du travail et maladies professionnelles, opérerait un très beau redressement : venant de 11,8 Md€ en 2010, son déficit se serait limité à 4,9 Md€ en 2017 et descendrait à 0,5 Md€ en 2018. Néanmoins, comme on peut l’apprendre en lisant le rapport de la Commission des comptes, ces chiffres résultent d’opérations qui n’ont pas grand-chose à voir avec la gestion, bonne ou mauvaise, de la branche maladie. Par exemple, de la TVA est affectée à la sécurité sociale « dans le cadre de la mesure en faveur du pouvoir d’achat des actifs » (en clair, des réductions de cotisations salariales) : bien évidemment, ce détournement de recettes fiscales, s’il évite une augmentation du déficit de la sécu, en crée une équivalente pour le budget de l’Etat. Un exemple parmi d’autres des « vases communicants » dont nous avons signalé l’existence.

Autre exemple, qui lui améliore les comptes de l’Etat au détriment de ceux de l’Assurance maladie, le financement des « établissements et services d’aide par le travail » (ESAT). Jusqu’en 2016 inclusivement, cette dépense d’environ 1,5 Md€ était prise en charge par le budget de l’Etat ; à partir de 2017, elle incombe à la CNAV. Le rapport indique que « ces dépenses transférées ont été intégralement compensées à la sécurité sociale ». Fort bien, mais la multiplication des modifications institutionnelle de ce type montre qu’il n’y a pas de distinction claire et rationnelle entre la sécurité sociale et l’Etat.

Conclusion : pour une séparation de la Sécu et de l’Etat

La séparation des Eglises et de l’Etat, opérée sur l’impulsion d’Aristide Briand par la loi du 9 décembre 1905, mit fin au Concordat napoléonien, dans le cadre duquel les cultes étaient subventionnés par l’Etat, au prix d’une certaine dépendance. Cette dépendance n’était pas saine, et il en va de même de la dépendance des assurances sociales vis-à-vis des pouvoirs publics français.

L’organisation actuelle favorise le désordre réglementaire et financier déplorable dont fait prendre conscience une lecture attentive des comptes de la sécurité sociale. Un méli-mélo inextricable et mouvant interdit la responsabilisation des gestionnaires, qui deviennent trop souvent de simples exécutants face à des hommes politiques versatiles habitués aux traficotages institutionnels incessants.

La solution passe par une redistribution des rôles : au législateur incombe de définir de manière stable les principes et les grandes lignes de l’organisation ; aux gestionnaires il revient de gérer, avec comme objectif le respect d’un équilibre comptable obtenu sans aucune interférence avec le budget de l’Etat. La responsabilité des personnes placées à des postes de direction ne doit pas être amoindrie par d’incessantes interventions des pouvoirs publics. Pour qu’un mauvais gestionnaire puisse être mis à la porte comme sanction de ses échecs, encore faut-il qu’il ait eu la pleine responsabilité des mesures prises. Que le législateur fasse enfin correctement son travail, et que les gestionnaires aient vraiment les coudées franches dans le cadre d’un dispositif légal intelligent, et tout ira progressivement beaucoup mieux.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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