Le désarroi des managers face à la gestion du fait religieux dans l’entreprise

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Par Adel Paul Boulad Modifié le 2 juillet 2020 à 12h01
World Religions

Le fait n'est pas nouveau, mais prend chaque jour des proportions plus importantes : le fait religieux en entreprise est devenu un enjeu majeur de management. Si la question n'est pas correctement appréhendée, elle peut aller jusqu'à faire peser une rélle menace sur la cohésion des entreprises. Interview d’Adel Paul Boulad, coach de dirigeants. Propos recueillis par Eric Denécé, Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)

Qu’est-ce qui vous a motivé pour vous occuper du fait religieux en entreprise ?

A mon retour en France en septembre 2017, je suis stupéfait par le désarroi des managers. Face au fait religieux, ils semblent embarrassés, désorientés. Je ne les reconnais plus. Leurs talents habituels sont anesthésiés. Je réalise que l’application et l’affichage des pratiques et des interdits islamiques sapent les plannings, le collectif opérationnel et le climat social.
Alors que j’étais en Egypte pour mes projets sportifs, en France les attentats islamiques de 2015-2016 avaient semble-t-il changé la donne.
Que faire ?

La convergence de ma double connaissance, culturelle et opérationnelle, de l’islam et de l’entreprise ont eu raison de mon éventuelle hésitation. Je n’avais pas le choix.
La démolition des collectifs et des projets d’entreprises étaient en marche alors que depuis 2001, mon coaching auprès des dirigeants était sous la bannière « Team-up for Results !».

Le fait religieux est maintenant banalisé, n’est-il pas trop tard pour s’en occuper ?

Heureusement, il est encore temps.
En effet, beaucoup d’entreprises ne sont qu’à la seconde étape de l’entrisme islamique : celle où les militants s’occupent de contrôler leurs coreligionnaires.
Les nouveaux embauchés suivent évidemment Youssef dans la mezzanine pour les prières.
Les regroupements ethnico-religieux deviennent visibles dans les locaux, dans les cafétérias.
Les managers-tampons nommés parce que musulman-républicains se retrouvent entre les injonctions hiérarchiques et le harcèlement des militants islamistes. Le chantage au « bon musulman » est activé par ces derniers auprès de la majorité des salariés musulmans qui ne veulent pas entendre parler de religion en entreprise. Un autre projet est en train de se développer, concurrent de celui de l’entreprise.
A cette étape bien avancée, il est encore temps pour le management de se ressaisir.

La troisième étape de l’entrisme est celle où les militants islamiques imposent les valeurs islamiques au travail. Le management renonce notamment à promouvoir des femmes. Il les évacue des CSE, la pression sociale est trop forte.
Il n’est toujours pas trop tard pour inverser la fatalité.

Y a-t-il une place pour un projet religieux en entreprise ? Comment retrouver sa légitimité ? Comment décrypter les faits et les comportements ? etc.
Au bout d’une journée de formation avec des cas concrets et des jeux de rôle, du discernement opérationnel, les managers développent une 3ème voie. Il s’agit ni de confrontation, ni d’arrangement mais de la voie du manager légitime, concrètement entraîné à traiter, dans le respect et la pédagogie, les dérives comportementales de ses équipes.

Y a-t-il des dirigeants qui s’intéressent au fait religieux en entreprise ?

La plupart des dirigeants délaissent ce sujet.
Certains s’en préoccupent et le laissent dans les mains des DRH. Ces derniers finissent par produire un guide interne souvent riche culturellement et pauvre opérationnellement.
Les managers, livrés à eux-mêmes, oscillent entre arrangements avec les militants islamiques et confrontation.
Rares sont les dirigeants qui, pour des motivations diverses, s’occupent directement du sujet.

Dans tous les cas, étonnamment le projet de l’entreprise et la performance du collectif sont occultés.
Et pour cause, Excel a disparu ! Il n’y a pas eu de calcul d’impact sur les coûts, sur la productivité, sur la motivation des équipes.
Plutôt que de discuter de théologie, et de comparer les religions, DAF, DRH et DG auront tout intérêt à retrouver ensemble leurs gammes, faits concrets et chiffres à l’appui.
Aux grands dirigeants, je recommande d’aller sur le terrain, d’écouter les managers de première ligne, de faire un tour au vestiaire, dans les WC et d’y constater les éventuelles traces de tensions inter communautés.

D’autres avant vous avaient déjà alerté sur le risque. Il y a un tas de consultants et savants qui interviennent sur le sujet, quelle est votre différence ?

Les risques avaient été clairement décrits, notamment dans votre rapport en 2005.
Etiez-vous en avance ? Je ne crois pas ; les orientaux émigrés en France en avaient conscience dès les années 80. Mais, ils n’en parlaient qu’à mi- mots, incompréhensibles.
Votre alerte pourtant forte n’avait pas portée.
Le sujet en lui-même et la conscience du risque étaient aux antipodes de la naïveté et l’ignorance sur le sujet.
En fait, un déni profond était en place !

Alors, quelle est votre différence ?

Depuis plus de quarante années en tant que manager, j’ai été confronté à toutes sortes de comportements improductifs. Manager ou aujourd’hui coach opérationnel, j’ai toujours considéré l’entreprise comme un lieu idéal de développement et de performance de l’individu par le collectif et réciproquement.

C’est en moins de trois minutes que je ramène le saoudien Marwan à la réalité opérationnelle. Avec un grand éclat de rire, il rejoint l’atelier de team building qu’il voulait éviter. Trois minutes plus tôt, les yeux baissés, l’air soumis il m’avait annoncé son refus de joindre l’atelier pour cause de ramadan.
Mes leviers : briser la glace, décrypter, manager la cohérence, sympathiser.
D’autres cas tout aussi directs ont nécessité d’autres approches avec pour commun, la pédagogie.
Mon fil conducteur : le projet d’entreprise et son collectif.

Soit, mais le sujet est traité dans de nombreuses publications, et il y a pléthore de consultants sur le sujet !

En effet, il y a eu progressivement d’excellents livres, néanmoins confinés dans l’alarmisme l’anxiogène.
La laïcité a aussi fait l’objet de publications.
Beaucoup de consultants de compétences diverses se sont rués sur un marché à prendre. Les interventions en entreprise sont portées par des anthropologues, des chercheurs CNRS des géopoliticiens, des spécialistes de l’histoire des religions. J’ai même vu des imams intervenir.
Certes, ils apportent des connaissances, sous un angle qui leur est spécifique.
Est-ce que c’est l’angle de l’entreprise, celui du manager opérationnel, celui du DRH empêtré avec les revendications, le lâchage de sa direction ?
Sans avoir l’expérience managériale, comment ces experts pourraient-ils traduire leur érudition en acte opérationnel recevable par des managers ?
Il y a un univers, entre l’opérationnel et l’analyse ou l’alerte.
Un manque qu’il convient de combler concrètement.

Alors, que proposez-vous ?

Pour les dirigeants, j’interviens en deux modes, soit en club de dirigeants soit en comité de direction. Les deux modes aboutissent à une prise de conscience des méfaits de l’entrisme sur la performance opérationnelle du collectif et sur le climat social. Mes interventions en comité de direction permettent d’identifier les failles dans les organisations et les faiblesses de leadership. Elles permettent surtout d’accorder le groupe sur une vision commune de l’enjeu et des priorités d’actions à mener.

Pour les managers, et les DRH, je produis des formations en inter ou intra entreprise. La session dure une journée. Chaque participant est porteur de cas concrets vécus. Le déroulé permet de s’informer sur les mécanismes de l’entrisme, d’apprendre à les décrypter. Le partage de retour d’expérience puis les jeux de rôle permet à chacun de s’entraîner et de s’ajuster.
Mes interventions ont un double impact utile à un collectif performant :
- Renforcer le projet d’entreprise et le la légitimité de leadership,
- Décrypter, discerner et traiter les entrismes.

Les ateliers d’ Adel Paul Boulad pour les dirigeants et les formations pour les managers et DRH sont présentés sur le site www.diversite-performance.com
Pour joindre directement Adel Paul Boulad, [email protected]

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Depuis 2001, Adel Paul Boulad, coache des dirigeants internationaux et leurs comités de direction lorsqu’ils sont eux-mêmes en demande d’une transformation pour une nouvelle performance. Docteur en sciences physiques, il commence une carrière de chercheur et enseignant (1973- 1979) dans le domaine des sciences de la terre sous la direction notamment de Claude Allègre et Hubert Reeves. De 1979 à 2000, il dirige des équipes de toutes fonctions et de toutes nationalités dans le secteur de la haute-technologie chez Digital, Compaq et Cisco Systems. Au fil de ses responsabilités opérationnelles et multiculturelles, il se forme au management, au leadership, au coaching, à la dynamique de groupe (Palo Alto et Insead). Dans le cadre des sévères restructurations du secteur de la hi-tech entre 1990-2000, AP. Boulad forge son coaching sur le terrain, en France et en Europe, à l’avantage de ses propres équipes. Au sein de Cisco, en 1999-2001, il transforme les forces commerciales et conseille les dirigeants dans leurs e-stratégies et leur transformation e-business. En 2001, il fonde sa propre structure PLI, Performance & Leadership Institute. En 2004, l’INSEAD lui confie le High Performance Leadership. Il coache, en individuel et en comité de direction, des dirigeants du CAC 40 à la PME, là où se pose la question « Quelles ressources pour quelle stratégie ? », « Quelle nouvelle manière d’être et quelle feuille de route commune et agréée ».

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