Les campagnes, ces nouvelles colonies

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Par Ludovic Grangeon Publié le 20 septembre 2016 à 5h00
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19 000Sur 36 000 communes, 19 000 ont moins de 500 habitants.

Le 27 septembre 2016, France Stratégie organise à Toulouse un colloque sur Dynamiques et inégalités territoriales. Jamais le terme d’inégalités n’aura autant été adapté à la description de l’aménagement du territoire français contemporain.

À force de schémas de facilités et de regroupement, le monde rural se trouve aujourd’hui relégué au statut de « réserve d’Indigènes», avec toutes les caricatures de ce statut. Les fréquentes et régulières manifestations d’agriculteurs désespérés sur le lait, le porc, le poulet, les céréales, les fruits, etc… montrent à quel point les autorités centrales ignorent tout des réalités présentes de ces milieux. L’opulence de sites comme le marché de Rungis ou les grosses sociétés laitières est une véritable provocation. Les financiers se sont emparés des coopératives qui n’en ont plus que le nom, la page responsabilité sociétale de Rungis est consacrée à la gestion des invendus et aux chariots électriques du site. L’accès aux soins médicaux est devenu l’assurance de longs trajets de plusieurs heures. Les établissements scolaires se raréfient et les télécommunications sont quasiment à l’abandon pour cause de « rentabilité » (laquelle ?).

Un gisement de 15 milliards à piller

Les communes rurales, peu à peu désertées, deviennent fréquemment le domaine réservé de petits seigneurs locaux, dont l’élection ne dépend que d’une poignée de personnes. Ils font de ces positions de véritables rentes de situation. Tout d’abord ils s’assurent de confortables indemnités de moins en moins justifiées. Mais surtout, ces postes leur permettent d’attribuer différents marchés quasiment sans contrôle. Qui va chercher à Paris ou dans un paradis fiscal la "récompense" pour un marché attribué au fond de l'Auvergne ou de la Lozère ? alors que l'administration a mis 6 ans à exploiter le signalement de l'affaire Cahuzac? Sur 36000 communes, 19000 ont moins de 500 habitants, représentent 6.6% de la population mais 55% des collectivités. Les simples budgets communaux pèsent 90 milliards par an et collectent 55 milliards d'impôts directs.

Les Chambres Régionales des Comptes n’ont plus ni les moyens ni le temps de contrôler les petites collectivités où chaque contrôle inopiné permet de découvrir de multiples irrégularités, par duplicité ou par méconnaissance. Des citadins souvent élus par héritage et sans résider sur place en profitent pour implanter par copinage des projets juteux pour leurs intérêts propres, sans rapport avec ceux des populations locales, y compris pour les nuisances. Éoliennes, décharges, chauffage, hôtellerie et restauration, BTP, subventions : tout est bon pour le pillage de ces territoires, et le plus souvent sans aucun emploi local créé. 15 milliards sont ainsi offerts chaque année à l’appétit de ces nouveaux colonisateurs qui n’ont plus l’Afrique ou les Dom Tom comme terrain conquis. En revanche, les maires dévoués et bénévoles, qui sont encore la majorité, se retrouvent sans moyens et de plus en plus délaissés, voire épuisés.

Dernier phénomène naïf ou cynique : l’appel rural des populations de réfugiés, de cas sociaux, de marginaux se développe pour deux raisons. Soit les pouvoirs centraux en profitent pour imposer à des communes démunies d’héberger des équipements dont personne ne veut. C’est faire dans ce cas la poubelle du monde citadin dans le monde rural. Soit encore pire, toute une série d'élus locaux préservent cette désertification, ou appellent la venue de ces populations défavorisées parce qu’elles sont « dociles » et qu’elles assurent leur réélection puisqu’elles dépendent entièrement des subsides qu’ils leur accordent. Cela va jusqu'à torpiller les initiatives locales trop indépendantes. Des pressions sont régulièrement faites jusqu'à étouffer les signalements sociaux et judiciaires, comme l'ont montré récemment plusieurs reportages nationaux.

Les prises illégales d’intérêt se multiplient dans ces milieux, souvent en toute impunité, et pourraient très rapidement dériver vers des phénomènes mafieux dont on constate les prémisses y compris dans des régions proches de la capitale. Le préjudice est colossal. Mais encore plus grave, cette situation va devenir le meilleur creuset pour les foyers délinquants et terroristes qui vont y trouver une impunité quasi-totale. Les forces de gendarmerie en sont parfaitement conscientes, elles qui n’ont même plus le budget carburant pour patrouiller régulièrement dans ces zones.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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