Une loi pour Notre-Dame ? Jusqu’où va la confusion des esprits !

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Par Jacques Bichot Publié le 11 mai 2019 à 6h54
Notre Dame Paris1

Nous savions déjà qu’Emmanuel Macron est, comme une bonne partie des personnes qui réussissent à gagner des élections, un super tchatcheur auquel il ne faut pas demander une réflexion conceptuelle. Il a réponse à tout, sait argumenter pour avoir le dessus dans un débat, possède une grande résistance, une énorme capacité de travail, une importante force de conviction, mais réfléchir en profondeur ne fait pas partie de ses nombreuses qualités. Sa volonté de passer par la loi pour restaurer Notre-Dame est une manifestation parmi d’autres de son incompréhension des rôles respectifs de la loi et du commandement, que Hayek, dans son triptyque Droit, législation et liberté, a si bien exposés et différenciés.

A quoi devraient servir les lois ?

Les lois sont faites pour codifier les règles de juste conduite que les hommes ont reconnues, progressivement, et souvent en tirant les leçons d’expériences désastreuses. Elles doivent permettre à chacun de savoir comment se comporter pour ne pas nuire à autrui : c’est pour cela que « nul n’est censé ignorer la loi ». Elles sont là, en appui à la coutume, pour savoir ce que chacun peut en principe attendre d’autrui, et quand il convient qu’un tribunal inflige une punition à ceux qui dérogent gravement à ces manières de faire acceptées par la communauté.

Le site officiel Vie publique consacre trois pages au sujet « Que signifie Nul n’est censé ignorer la loi ? ». Bien embarrassé, le malheureux fonctionnaire chargé de leur rédaction explique : « ce célèbre adage ne signifie pas que tout citoyen est censé connaître l’ensemble des textes législatifs et réglementaires (décrets, circulaires …) existant dans l’ordre juridique français. Avec plus de 10 500 lois et 127 000 décrets en vigueur, le plus studieux des juristes ne relèverait pas un tel défi… ». Son constat l’amène à une déclaration qu’il faut lire plusieurs fois avant d’être certain de ne pas avoir la berlue : « Cet adage représente en fait une fiction juridique, c’est-à-dire un principe dont on sait la réalisation impossible, mais qui est nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique ». Autant dire que nous habitons le royaume du Père Ubu !

Le Père Ubu va-t-il présider à la restauration de Notre-Dame ?

Le royaume d’Ubu se caractérise par la suprématie des commandements sur les règles de juste conduite : dans la pièce d’Alfred Jarry le Père Ubu peut ordonner n’importe quoi, et il ne s’en prive pas. Dans le cas de Notre-Dame, la règle de juste conduite est simple, connue de tous : cette cathédrale doit être, dans toute la mesure du possible, restaurée à l’identique. Expliciter cette règle de juste conduite en faisant voter une loi, comportant cette seule ligne, serait un peu ridicule, mais probablement utile, puisque des personnages en mal de notoriété ne vont pas manquer de militer pour toutes sortes de défigurations de ce chef-d’œuvre au nom de la modernité. Mais tel n’est pas le projet du Chef de l’Etat et du Gouvernement : le projet de loi comporte une série d’articles, y compris un certain article 9 qui donnerait plein pouvoir à l’Exécutif pour faire ce que bon lui semble, en légiférant par ordonnances.

Le commandement est un moyen d’organiser l’action collective. Le commandement, à la différence d’un « ordre spontané », organise par exemple la succession des tâches et la division du travail sur un chantier en affectant à chaque jour à chacun des missions précises, en rapport avec ses compétences.

Le chantier de restauration de Notre-Dame fonctionnera avec une combinaison de commandement et d’ordre spontané, car les ouvriers d’art ont des manières de faire qui constituent une sorte de code (non écrit) de bonne conduite. Une petite partie des ordres viendront du niveau politique et administratif, notamment parce qu’un chantier de cette importance requiert des aménagements temporaires de l’espace public, aménagements qui relèvent de la responsabilité des édiles, mais pour l’essentiel ce seront des professionnels qui les donneront – si tout se passe bien, c’est-à-dire si les pouvoirs publics du niveau le plus élevé réfrènent leur désir de jouer à la mouche du coche.

Si l’actuel projet de loi n’est pas abandonné, si un texte est voté pour permettre à quelques personnages en vue de faire primer leur désir de gloriole et leur mauvais goût sur le respect du patrimoine parisien, français, chrétien et tout simplement humain, il n’y aura plus qu’à constater avec regret qu’Alfred Jarry, en 1896 (date de publication et de première mise en scène de sa célèbre parodie), prophétisait vraiment pour le XXIème siècle.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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