Loi Pinel : il n’y aura pas de baisse des coûts immobiliers

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Par Jean-Viguen Manoukian Publié le 24 mai 2015 à 5h00
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7 millionsOn compte plus de 7 millions de ménages locataires en France aujourd'hui

Quelques mois après la publication du décret d’application de la loi Pinel, les utilisateurs continuent de s’interroger sur les bénéfices qu’ils retireront de l’encadrement des charges récupérables au détriment de leur liberté contractuelle.

Décret Pinel : vers une amélioration des relations entre bailleur et locataire d’un bail commercial ?

Le 3 novembre 2014 a été publié le très attendu décret d’application de la loi du 18 juin 2014, dite « loi Pinel », avec pour ambition affichée l’ « amélioration des relations entre bailleur et locataire d’un bail commercial ». Pour mener à bien cette amélioration, le législateur a entendu réglementer le domaine des charges locatives, qui, jusqu’alors, était laissé à la discrétion des parties, lesquelles pouvaient librement convenir des charges récupérables et de leur mode de facturation.

En pratique, cette liberté avait pu conduire à des excès. Les bailleurs étaient en mesure d’imposer une répartition des charges particulièrement déséquilibrée les autorisant à récupérer l’intégralité des dépenses engagées sur l’immeuble (les fameux baux investisseurs dits « triple net »), tandis que les locataires ne mesuraient pas toujours l’impact financier de leur engagement et n’avaient plus ensuite aucun consentement à donner sur le choix et le coût des travaux mis en œuvre sur l’immeuble.

L’intention du législateur était donc louable : mettre un terme aux excès des bailleurs en proscrivant certains modes de facturation (forfait), en interdisant la récupération de certaines catégories de charges, et en obligeant le bailleur à donner au locataire une prévisibilité sur les travaux à réaliser sur l’immeuble. Il semble cependant que le législateur, cédant à d’autres intérêts que ceux qu’il se proposait initialement de protéger, n’ait pas osé aller au bout de son ambition.

Enonciation, distribution et limitation des charges récupérables

Plutôt que d’imposer une répartition impérative des charges locatives, comme en matière de baux d’habitation, le législateur, voulant préserver une marge de manœuvre aux parties, a choisi d’imposer l’établissement d’un « inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés [au] bail comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ». Cette obligation d’énoncer et de distribuer les charges locatives lors de la signature du bail constitue immanquablement un progrès dans la protection des locataires qui devraient ainsi pouvoir prendre la pleine mesure des charges qui leur incomberont et ne plus se voir imposer des clauses très générales « en sorte que le loyer soit net de toutes charges et de toutes taxes pour le bailleur ».

Dans le sillage de cette première obligation, le législateur a dressé une liste les charges et taxes qui ne pourront désormais plus être imputées au locataire : les grosses réparations mentionnées à l’article 606 du code civil et les honoraires afférents (même si lesdites réparations sont rendues nécessaires par la vétusté ou une nouvelle norme), la contribution économique et territoriale (dont l’imputation sur les locataires aurait vraisemblablement été sanctionnée, même sans l’adoption de la loi), et les honoraires de gestion (qui constituaient très souvent un surloyer déguisé). Cette liste, déjà très succincte (beaucoup plus que ce que redoutaient les bailleurs), est immédiatement suivie d’une dérogation : « ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées aux 1° et 2° celles se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique. »

L’écueil est visible. Sitôt posée la principale restriction (interdiction de répercuter les grosses réparations), le législateur fournit aux bailleurs le moyen de s’y soustraire. Les grosses réparations pourront être imputées au locataire dès lors qu’elles pourront être qualifiées de « travaux d’embellissement ». Ainsi, plutôt que d’inciter les bailleurs à être plus vigilants sur les dépenses relatives aux grosses réparations, la loi risque, au contraire, d’encourager les bailleurs à s’engager dans des dépenses toujours plus somptueuses, ceci afin d’accoler le qualificatif « d’embellissement » à leurs grosses réparations et d’en répercuter le coût sur leurs locataires. Le montant des charges liées aux travaux ne devrait donc pas aller en diminuant.

Par ailleurs, on peut d’avance deviner les différends auxquels donnera lieu la qualification de « travaux d’embellissement » sur laquelle la loi n’apporte aucune précision. L’extension de la compétence de la commission départementale de conciliation aux litiges relatifs aux charges et aux travaux ne devrait donc pas être vaine.

Obligations d’information et sanctions

Afin de rompre avec le sentiment d’opacité entourant parfois les charges facturées par le bailleur, la loi et le décret ont imposé des obligations nouvelles aux bailleurs :

a) obligation d’adresser chaque année au locataire, au plus tard le 30 septembre (sauf pour les immeubles en copropriété), un état récapitulatif annuel reprenant les catégories de charges visées dans l’inventaire de répartition annexé au bail et incluant la liquidation et la régularisation des comptes de charges de l’exercice écoulé,

b) obligation de communiquer, lors de la conclusion du bail, puis tous les trois ans dans un délai de deux mois à compter de chaque échéance triennale, un état et un budget prévisionnels des travaux qui sont envisagés lors des trois prochaines années, ainsi qu’un état chiffré des travaux réalisés lors des trois années précédentes.

Ces nouvelles obligations soulèvent de nombreuses questions auxquelles les acteurs du marché devront répondre :

• L’état récapitulatif annuel se substitue-t-il à la reddition annuelle de charges ou bien se cumule-t-il ? L’article R. 145-36 opérant lui-même une distinction avec la reddition des charges (qui doit, selon le texte, précéder l’envoi de l’état récapitulatif dans les immeubles en copropriété), il semble que nous soyons en présence d’un document qui s’ajoute à la reddition.

• La reddition ayant elle-même vocation à liquider et régulariser les comptes de charges de l’exercice écoulé en fonction des dépenses effectivement engagées sur l’immeuble, l’état récapitulatif ne risque-t-il pas de faire double emploi ?

• Si le bailleur est tenu à une obligation annuelle d’information sur les travaux mis en œuvre sur l’immeuble, quel intérêt y a-t-il à doubler cette obligation d’une obligation d’information triennale qui ne fera que répéter les renseignements déjà transmis dans les états annuels ?

• N’aurait-il pas mieux valu se contenter d’imposer un cadre formel à la reddition annuelle afin de ne plus permettre les intitulés « fourre-tout » qui permettent aux bailleurs d’entretenir l’opacité autour des travaux réalisés ?

• Enfin et surtout, quelles sont les sanctions attachées à ces nouvelles obligations ? S’agit-il d’obligations qui, de la même manière que l’annexe environnementale, ne seront susceptibles d’aucune sanction en l’absence de disposition expresse ? Sauf à retirer toute portée au texte, il est permis d’en douter.

• Mais alors, quelle sanction appliquer ? S’agira-t-il d’une indemnité destinée à sanctionner le défaut d’information lui-même, laissée à l’appréciation subjective des tribunaux et sans lien avec les sommes payées à titre de provision ? Au contraire, le bailleur sera-t-il tenu de rembourser l’intégralité des provisions dès lors qu’il n’aura pas fourni l’état dans le délai légal ou que l’état fourni ne sera pas conforme aux exigences de la loi ? Le bailleur qui aura manqué à ses obligations pourra-t-il s’en acquitter a posteriori en fournissant un état conforme ?

Les textes étant muets, il appartiendra aux juges de préciser les sanctions applicables. Dans l’intervalle, nul doute que chaque partie essayera de tirer profit du flou des textes et que les commissions départementales de conciliation trouveront de quoi justifier l’extension de leur compétence.

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Jean-Viguen Manoukian est titulaire d’une Maîtrise de droit International et d’un DESS de droit comparé. De 2007 à 2013, Jean-Viguen a exercé en qualité d’avocat au Barreau de Paris. En 2013, il intègre le Cabinet de conseil en management des coûts Lowendalmasaï en tant que Consultant Senior Coûts Immobiliers.

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