Lutte contre le commerce illicite de tabac : les dés seraient-ils pipés ?

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Par Rédacteur Publié le 14 décembre 2018 à 5h55
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Depuis plusieurs années, une association tente de mettre en lumière les freins à la lutte contre le commerce illicite de cigarettes. Elle a récemment porté plainte auprès du Tribunal de première instance de l’Union européenne pour dénoncer l’articulation impossible entre les normes européennes et celles du droit international luttant parallèlement contre le commerce illicite. Une complexité réglementaire entrainant à la longue une atteinte à la démocratie au sein de l’Union Européenne.

Le 23 novembre dernier, le sénateur des Hauts-de-Seine Xavier Iacovelli a organisé à la Haute assemblée du Sénat un colloque sur l’origine du commerce illicite de tabac. La table-ronde a réuni les acteurs clés du secteur : buralistes, fabricants de tabac mais aussi associations anti-tabac et associations professionnelles des entreprises de lutte contre le commerce parallèle. Un débat qui a mis en lumière les enjeux et les risques liés à la traçabilité du tabac en France et dans l'Union européenne, c’est-à-dire au contrôle de l’origine des cigarettes.

« Origine du commerce illicite de tabac, solutions pour y mettre fin » : un vaste sujet qui a permis aux cigarettiers de reconnaître leurs responsabilités. Ces derniers « ont reconnu pour la première fois que l’immense part du commerce parallèle de tabac est composé de leurs cigarettes. Ils n’ont pas nié les chiffres de 98% à 99% du commerce parallèle composé de leurs propres cigarettes sortant de leurs usines ». Un pas a donc été franchi pour la reconnaissance du problème. Un problème qui malgré tout est loin d’être résolu, notamment concernant la question de la traçabilité.

L’ITSA (International Tax Stamp Association) - une association internationale représentant les fournisseurs de timbres fiscaux et de systèmes de traçabilité pour différents produits y compris ceux du tabac - tente depuis quelques années d’exprimer ses vues sur la question de la traçabilité. Une question essentielle car les acteurs de terrain connaissentles insuffisances des systèmes de traçabilité faisant appel auxindustries du tabac. L’OMS, tout comme la Commission européenne, se sont donc emparés du problème.

Deux normes différentes qui posent un problème réglementaire

La question de la hiérarchie des normes se pose régulièrement concernant le commerce illicite et il semble que pour le secteur du tabac, l’articulation entre le droit international et la législation européenne soit franchement problématique.Depuis le début, l'ITSA met en avant les incompatibilités entre le protocole de l'OMS et la Directive tabac de la Commission européenne. D’un côté, le protocole, le premier Protocole à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac - que l'Union européenne a ratifié en 2016 - prévoit que les États signataires adoptent un système de traçabilité parfaitement indépendant de l’industrie du tabac (Article 8). De l’autre, la Directive de l'Union européenne sur le tabac et les actes délégués laissent aux fabricants de cigarettes la main en matière de traçabilité des cigarettes.

Pourquoi deux normes plutôt qu’une ? En 2014, laCommission européenne s'écarte du Protocole au motif que le Protocole n’entrerait pas en vigueur avant plusieurs années, les Etats signataires ayant jusqu’à 2023 pour adopter un système de traçabilité indépendant. Or le Protocole, exigeant l’indépendance de l’organisme de traçabilité, est effectif depuis le 25 septembre 2018. En outre, et malgré de nombreuses interpellations à cet égard, la Commission n’a pas tenu compte des travaux sur la norme relative à la sécurité des timbres fiscaux (ISO 22382), définissant les meilleures pratiques applicables.

Des juristes, tels que Christian Mestre, ancien doyen de la faculté de droit de l'Université de Strasbourg, professeur de droit et avocat chez Racine Law Firm, ont voulu contrer l’argument de la mise en vigueur tardive du Protocole :« L'objet et le but du Protocole ne peuvent être mis en danger en attendant l'entrée en vigueur imminente et incontestable de cet accord; sinon, la mise en œuvre de la loi de l'OMS sur la lutte contre le commerce illicite de tabac dans l'Union européenne serait menacée », écrit-il dans cet article.

Par ailleurs, la Commission n’a pas voulu prêter l’oreille aux multiples avertissements de l’ITSA, qui s’est à chaque foisévertuée à attirer l'attention sur cette incompatibilité réglementaire lors des ateliers des parties prenantes organisés par la Commission (en décembre 2017 et en mai 2018) et dansdes publications liées à la sécurité des produits. L’ITSA a fini par porter plainte auprès du Tribunal de première instance de la Cour européenne de justice (CEJ).

Cette plainte pourrait donner un peu de visibilité à un conflit réglementaire qui porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens et au principe démocratique au sein de l’Union européenne.

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