La lutte contre l’évasion fiscale se met en place (extrait)

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Par Bastien Drut Modifié le 20 avril 2021 à 7h21
Panama Papers Evasion Fiscale France
23%Le taux moyen de l'impôt sur les sociétés au niveau mondial est passé de 49% en 1985 à 23% en 2020.

L’évasion fiscale s’est fortement développée ces dernières années, privant les États de ressources significatives. Plusieurs initiatives internationales ont été lancées récemment pour y remédier, et il apparaît de plus en plus clair que la coordination au sujet de la fiscalité des entreprises sera l’un des grands sujets de demain.

Les tendances jusqu’à aujourd’hui

Comme nous l’avons vu dans ce livre, les États vont devoir faire face à des défis de plus en plus coûteux. À côté de cela, l’évasion fiscale, qui s’est développée lors des dernières décennies, les prive de ressources significatives. Un rapport commandé par les Nations unies et publié en 2020 estimait que les techniques de « transfert de bénéfices » utilisées par les multinationales (c’est-à-dire de domiciliation des bénéfices dans les juridictions à faible fiscalité) privaient les États de 500 à 600 milliards de dollars de recettes fiscales chaque année.

Les multinationales qui domicilient des bénéfices dans les juridictions à faible fiscalité (« transfert de bénéfices ») utilisent principalement trois dispositifs : le déplacement de dettes, le transfert d’actifs immatériels et la manipulation des prix de transfert. Imaginons une entreprise A implantée dans une juridiction à fiscalité élevée et sa filiale B implantée dans une juridiction à fiscalité faible. L’entreprise A peut « transférer » des bénéfices vers B via :

  • ŸLe déplacement de dettes : A emprunte à B, et les intérêts d’emprunt versés par A sont ainsi déduits des profits réalisés dans sa juridiction ;
  • ŸLe transfert d’actifs immatériels (nom de marque ou propriété intellectuelle) : A transfère des actifs intangibles à B, et la première paie des droits à la seconde, ce qui réduit les profits réalisés dans sa juridiction ;
  • La manipulation des prix de transfert : A sous-facture à B les biens et services qu’elle lui vend ou B surfacture ce qu’elle vend à A.

L’utilisation de ces dispositifs n’est pas la même selon les secteurs d’activité. Brad Setser, un économiste choisi pour faire partie de l’administration Biden, a régulièrement documenté le fait que les multinationales américaines du secteur technologique avaient massivement eu recours au transfert d’actifs immatériels (brevets) dans des pays à faible fiscalité, alors que leurs homologues du secteur pharmaceutique avaient davantage eu recours à la manipulation des prix de transfert.

En réalité, la troisième vague de mondialisation (celle-ci qui a commencé au début des années 1980) a démultiplié les possibilités de minimiser les impôts pour les multinationales, et les États se sont livré une concurrence intense pour attirer les investissements en abaissant le taux de l’impôt sur les sociétés. Le taux moyen de l’impôt sur les sociétés au niveau mondial est passé de 49 % en 1985 à 23 % en 2020. Certaines juridictions ont été jusqu’à établir un taux d’impôt sur les sociétés de 0 % : il y en avait douze en 2020. D’ailleurs, la BCE souligne que « l’augmentation du poids des multinationales dans l’économie globale est allée de pair avec celui du rôle des centres financiers ».

Les économistes Thomas Thørsløv, Ludwig Wier et Gabriel Zucman estiment en effet qu’environ 40 % des profits des multinationales sont désormais domiciliés dans les paradis fiscaux et que les pays de l’Union européenne qui ne sont pas des paradis fiscaux en seraient les principales victimes. Selon leurs estimations, en Allemagne, les recettes fiscales de l’impôt sur les sociétés seraient ainsi 26 % plus faibles que ce qu’elles devraient être (près de 20 milliards d’euros de recettes fiscales perdues). Au-delà du manque à gagner en matière de recettes fiscales, ces chercheurs soulignent qu’une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés a désormais moins d’impact sur l’emploi et les salaires que par le passé. De plus, les transferts de bénéfices posent un problème d’équité entre les entreprises, puisqu’ils défavorisent les entreprises locales par rapport aux multinationales. Enfin, ils exacerbent les inégalités puisque ce sont principalement les ménages les plus aisés qui détiennent ces sociétés.

Ceci est un extrait du livre « L'économie de demain: Les 25 grandes tendances du XXIe siècle » écrit par Bastien Drut paru aux Éditions De Boeck (ISBN-10 : 2807329799, ISBN-13 : 978-2807329799). Prix : 16,90 euros. Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur.

« L'économie de demain: Les 25 grandes tendances du XXIe siècle » de Bastien Drut

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Bastien Drut est docteur en économie. Il est responsable de la macro/stratégie thématique chez CPR Asset Management. Il est l'auteur de nombreux ouvrages : « Mercato, L'économie du football au XXIe siècle » (Bréal), « Economie du football professionnel » (La Découverte), « 20 questions improbables sur le foot » (DBSup), « Comment les années Draghi ont changé la Banque Centrale Européenne » (Breal) et « L'économie de demain: Les 25 grandes tendances du XXIe siècle ». Il intervient également dans plusieurs formations universitaires (CNAM, UniversitéParis Dauphine).

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