Macron et la retraite : le président ne semble pas avoir compris le B. A. BA de la réforme

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Par Jacques Bichot Modifié le 27 avril 2019 à 11h33
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La retraite par répartition, en France, représente environ 14% du PIB, si l’on s’en tient aux seules pensions. Si l’on compte aussi ce que coûte aux cotisants et contribuables actifs l’assurance maladie des retraités et la prise en charge des situations de dépendance, on arrive aux environs de 20%.

Voilà hélas un cinquième du PIB auquel notre Chef de l’Etat ne semble pas comprendre grand-chose. A la veille d’une réforme des retraites qui va, si elle n’avorte pas, nous débarrasser des deux institutions obsolètes que sont l’âge légal de la retraite et la durée d’assurance, ce sont en effet ces deux paramètres qu’il a mis au centre de ceux de ses propos du jeudi 25 avril qu’il a consacrés à la retraite.

Qui plus est, il envisage une « incitation » à liquider sa pension postérieurement à l’âge légal, formule qui nous ramène aux pires heures du dirigisme mou qui a si souvent caractérisé une grande partie de la classe politique française. Mais non, Monsieur le Président, au pays de la liberté il ne s’agit pas d’inciter les citoyens, c’est-à-dire de les manipuler, il faut respecter leur liberté et les rendre responsables de leurs actes ! Ce qui, en matière de retraite, signifie : « liquidez votre pension, ou une fraction de votre pension, quand bon vous semblera, mais – évidemment – plus vous liquiderez tôt, moins vous toucherez chaque mois, et plus vous liquiderez tard, plus le montant mensuel de votre rente sera élevé : c’est une question de simple justice. »

Rappelez-vous que nous allons passez aux points !

Vous avez doté la France d’un Haut-Commissariat à la réforme des retraites pour mettre en œuvre un des engagements que vous avez pris lors de la campagne que vous avez mené pour expliquer aux Français ce que vous feriez si vous étiez élu président de la République : les droits à pension doivent dépendre uniquement des cotisations versées, et chaque euro cotisé doit ouvrir les mêmes droits. Très bien, à ceci près que vous persévérez à baser les droits à pension sur des cotisations qui ne préparent nullement les pensions futures, puisqu’elles sont utilisées selon la formule pay-as-you-go pour payer les pensions déjà liquidées. Puis la sage décision a été prise de mettre en place un système par points, comme celui de l’AGIRC-ARRCO, plutôt qu’un système à la suédoise, avec ses comptes notionnels, mystérieux pour nos compatriotes.

Restait à préciser un mode de calcul des pensions équitable et respectueux des libertés individuelles. La technique qui a fait ses preuves, que ce soit en Allemagne, en Suède ou aux Etats-Unis, est celle de l’âge pivot, disons P, combiné avec le principe de neutralité actuarielle. Concrètement, chacun peut liquider tout ou partie de ses points quand il le souhaite, le calcul de la pension étant effectué de la façon suivante : est d’abord calculée la pension mensuelle qui serait versée si la liquidation avait lieu à l’âge pivot, en multipliant le nombre de points par la valeur de service du point, comme à l’ARRCO-Agirc ; puis le montant obtenu est multiplié par un coefficient actuariel dépendant de l’âge de l’assuré social. Si cet âge A est supérieur à P, l’assuré touchera (en moyenne) sa pension moins longtemps, si bien que le coefficient actuariel est supérieur à 1 ; et si A est inférieur à P, le coefficient actuariel est inférieur à 1, car la pension (en moyenne) sera perçue plus longtemps.

Cette façon de procéder permet de respecter le principe constitutionnel de liberté, actuellement bafoué par une organisation des retraites totalement bureaucratique. Des règles ubuesques sont appliquées à ceux qui souhaitent réduire leur temps de travail, sans pour autant l’annuler, et percevoir une pension pour compenser la réduction de leur activité professionnelle ; ces règles pourraient facilement être remplacées par des dispositions équitables, simples, choisies « sur mesure » par les personnes concernées.

Cet assouplissement complet du « cumul emploi-retraite », comme on dit, est clairement un des moyens à mettre en œuvre pour que les Français travaillent davantage au cours de leur existence. Il faut cesser d’identifier perception d’une pension et cessation de l’activité professionnelle. Que le Chef de l’Etat en soit encore à nous entretenir de la notion antédiluvienne d’âge de la retraite est consternant : quand donc la France entrera-t-elle dans la modernité ?

Ne vous déjugez pas en conservant le rôle actuellement dévolu à la durée d’assurance !

Dans votre conférence de presse, Monsieur le Président, vous envisagez, comme certains vous le conseillent, d’utiliser un des moyens d’action actuels, la durée d’assurance requise pour avoir droit au « taux plein ». Ce serait un retour à ce qu’il y a de plus archaïque et de plus injuste dans le système français actuel.

Premièrement, pour valider un trimestre, il n’y a pas besoin de travailler beaucoup. Des personnes ayant œuvré 20 heures par semaine durant 45 ans vont se trouver avantagées par rapport à d’autres qui se seront « défoncés » pendant par exemple 35 ans, qui auront au total passé bien plus d’heures au travail, mais n’auront pas rempli un critère administratif déconnecté de la réalité.

Deuxièmement, le recours à la durée d’assurance va pénaliser les femmes, et plus spécifiquement celles qui contribuent le plus à préparer les retraites futures – les mères de famille. Cette injustice a déjà été commise sous la présidence de François Mitterrand : la réforme typiquement machiste de 1982 a permis à la plupart des hommes de prendre leur retraite à 60 ans, tandis que beaucoup de femmes n’ont pas pu en profiter, parce qu’elles avaient passé des années à s’occuper de leurs enfants – c’est-à-dire, économiquement, à préparer les futures pensions.

Vous avez annoncé aux Français, quand il s’agissait de vous faire élire, que vous demanderiez au Législateur de lier les droits à pension simplement au nombre de points acquis, et voici que les adorateurs de cette vieille lune qu’est le nombre de trimestres cotisés, ressortie par des personnes qui ne connaissent pas grand-chose au fonctionnement économique des retraites par répartition, vous font changer d’avis ? Ce n’est pas sérieux !

La réforme des retraites par répartition est une des plus importantes, et même probablement la plus importante, du quinquennat. Au lieu d’être menée au pas de charge, elle traîne ; et au lieu d’être en ligne avec ce que vous aviez promis aux Français, elle effectue un retour aux erreurs du passé. Si vous ne vous ressaisissez pas, la France aura gâché une belle occasion de progresser.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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