Manif pour tous : on connaît les vrais chiffres

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 19 janvier 2013 à 9h17

Depuis lundi, le web et plus particulièrement les blogs et les réseaux sociaux ne bruissent que de rumeurs et contre-rumeurs quant au nombre de manifestants ayant réellement participé à la Manif pour tous de dimanche, à Paris. (lire : manif pour tous : la bataille de chiffres en images). [Article mis à jour le 19 01 13 à 09:58]

D'un côté, la Préfecture a compté 340 000 participants, de l'autre les organisateurs ont évalué le nombre de manifestants à 800 000 personnes, puis en fin de soirée dimanche, à 1 million. Les organisateurs, conscient de l'écart qui existe toujours entre les chiffres officiels et ceux des organisateurs, dénoncent désormais avec véhémance le chiffre de 340 000 participants qui ne prendrait pas en compte, au mieux, les centaines de milliers de manifestants qui se trouvaient encore dans les cortèges en mouvement vers le Champ de Mars à 17h00 dimanche, quand la Préfecture a annoncé ce chiffre. Et au pire, ils craignent que ce chiffre ait été volontairement minoré sur l'ordre du gouvernement afin de réduire le poids du mouvement.

Les organisateurs ont reçu un renfort significatif le 16 janvier en la personne du général Bruno Dary, ancien gouverneur de la place de Paris et officier général de la Zone de Défense de Paris d'août 2007 à juillet 2012. A ce titre, il a été associé à toutes les opérations de sécurité publique et de maintien de l'ordre dans la capitale pendant cinq ans, notamment pendant toute la période pendant laquelle la gendarmerie dépendait encore directement du Ministère de la Défense. Aujourd"hui retiré du service actif, le Général Dary a affirmé que l'évaluation de 800 000 participants était la "fourchette basse". "On sait qu'une manifestation c'est 50 à 60.000 manifestants à l'heure. Les premiers sont arrivés au Champ-de-mars à 14H15, les derniers à 19H45. Cela fait 05H30, donc 800.000 manifestants" a t-il expliqué à la presse. Le calcul du général Dary, appliqué sur les trois cortèges donne en effet entre 825 000 et 990 000 personnes.

Mais l'information sur le nombre de participants est également disponible et de manière cette fois incontestable auprès d'une autre source, inattendue : les opérateurs mobiles. Tout téléphone mobile en position allumée (chose probable dans une manifestation pour pouvoir être joint et appelé par des proches) communique en effet avec les stations de base situées à proximité, autrement appelées BTS. Ce sont les "antennes" que l'on peut voir sur les toits, mais qui existent aussi sous forme de micro-antennes installées à quelques mètres de haut le long des immeubles dans les endroits très fréquentés. Et ces antennes, même si le téléphone affiche, "Réseau indisponible" voire "Recherche" (comme c'était évidemment le cas dimanche pour nombre d'abonnés en raison de l'affluence) enregistrent le nombre d'utilisateurs qui lui sont connectés, ou essayent de le faire.

[Mise à jour 19:01:13 09:52 - "On sait même donner en temps réel les embouteillanges dans les plus petites rues de Paris ou partout ailleurs en France, en suivant les mouvements des téléphones de nos clients" nous précise un cadre dirigeant chez un gros opérateur. "C'est dommage, nous n'avons pas développé d'application pour cela, alors que Tom Tom le fait dans ses GPS embarqués haut de gamme".]

Sachant que le taux d'équipement des Français en téléphonie mobile dépasse désormais largement 100 % (99,7 % en décembre 2011), et que même les jeunes sont aujourd'hui équipés (92 % des jeunes de 15 ans étaient équipés au premier semestre 2012, chiffre qui a depuis aussi atteint près de 100 % depuis l'arrivée du forfait Free à 2 euros), seuls les enfants en bas âge ne peuvent être décomptés par ce moyen.

D'après nos informations, Les opérateurs mobiles disposant d'un réseau physique ont du faire face à une affluence d'abonnés sur le Champ de Mars mais aussi sur les parcours des cortèges totalement inégalée à ce jour. D'autant que, contrairement au concert de Johnny sur le Champ de Mars en 2009, les opérateurs n'avaient pas mis en place de moyens de communication supplémentaires -antennes sur des camions- pour dimanche. De ce fait, le taux d'échec d'appels, mais aussi de simple transmission de SMS (sans parler des transferts de données), a dépassé par moment les 80 % pendant plusieurs heures sur la zone, ce qui signifie que des centaines de milliers d'abonnés n'ont pu être joints ou joindre un correspondant pendant tout ou partie de l'après-midi.

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Tel un bassin qui se remplit, les bornes arrivées a capacité maximale ont en effet rapidement rejeté les nouveaux arrivants sur la zone, sachant qu'une borne standard gère... 600 conversations simultanément maximum. En revanche, la signalisation (qui affiche le nombre de barres sur le téléphone et le nom de l'opérateur) continue toujours à fonctionner même lorsque toutes les bornes sont saturées. Ainsi, autour du Champ de Mars, le site Cartoradio.fr édité par l'Agence Nationale des Fréquences recense 18 antennes de téléphonie mobile. Un chiffre qui atteint péniblement 30 antennes si l'on compte également les antennes un peu plus éloignées, dont certaines pouvaient potentiellement desservir correctement l'esplanade. Dans tous les cas de figure, seules 10 à 15 000 communications simultanées étaient possibles dimanche depuis le site. [Mise à jour le 19:01:13 09:58 - Cela a d'ailleurs posé de très sérieux problème à l'organisation, même si elle s'était dotés d'outils de télécommunication dédiés ne dépendant pas des réseaux mobiles pour les encadrants. Les histoires de manifestants perdus, à la recherche de leur car pour repartir en province, et comptant sur le mobile pour retrouver leur groupe sans succès sont légion.]

Mais comme tous les téléphones, memes ceux qui ne peuvent passer ni appels ni SMS sont enregistrés par les fichiers de "logs" des BTS comme nous l'a confirmé un ancien professeur de l'Institut National des Télécoms, Bruno Salgues, les opérateurs mobiles sont capables de dire combien d'abonnés se sont connectés à leurs équipements sur le Champ de Mars et alentours, et de déduire, par rapport à un trafic normal sur la zone, combien d'abonnés en plus s'y trouvaient. Par extrapolation, à l'aide d'une simple règle de trois, en partant de la part de marché d'un opérateur en particulier, il est donc aisé de déduire combien de manifestants se trouvaient sur place.

Or, les fichiers de connexion consultés par des techniciens agréés chez les opérateurs révéleraient que le nombre de manifestants est effectivement nettement supérieur aux chiffres annoncés par la Préfecture, et proches de ceux des organisateurs. Afin d'éviter toute fuite, l'accès à ces données a été restreint chez au moins l'un des opérateurs, et un autre nous a confirmé qu'il ne les communiquerait pas si elles lui étaient demandées. Le troisième confirme simplement que l'accès à ces données ne lui a pas été demandé. Pour mémoire, les opérateurs n'ont pas d'obligation légale de fournir les données de trafic sur leur réseau en un endroit et à un moment précis, sauf dans le cadre d'une commission rogatoire, dans le cas d'une enquête criminelle par exemple.

Mais dans le cas présent, rien ne justifierait une telle demande, même si quelques centaines de milliers de manifestants ont... disparu.

[Mise à jour 19:01:13 09:59 - "Cela serait innacceptable socialement, même anonymisé" nous précise un des cadres chez un opérateur que nous avons interrogé sous couvert d'anonymat. Il est sûr qu'il vaut bien mieux occuper l'espace médiatique à discuter du nombre réel des manifestants ayant participé à un défilé que de parler du fond du sujet, et cela vaut pour tous les sujets passés comme à venir... Les prochaines indispensables réformes des retraites, de la Sécurité Sociale pour ne citer que celles-là pourraient jeter entre... quelques dizaines et quelques centaines de milliers de manifestants dans les rues. Air Connu. ]

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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