Vacciner les marchés actions

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Par Stéphane Monier Publié le 17 novembre 2020 à 13h35
Hausse Bourses Mondiales Vaccin
11%Bercy s'attend à une récession de 11% en France en 2020.

Le vaccin contre le Covid-19 servira-t-il d'antidote aux entreprises impactées par la pandémie ? La semaine dernière, la perspective d'un vaccin efficace contre le coronavirus a fait grimper les marchés boursiers, renforçant les attentes concernant une fin prochaine de la pandémie. Les titres sensibles au cycle conjoncturel ont rebondi. Les investisseurs devraient-ils revoir leurs expositions aux actions pour favoriser ces secteurs au fur et à mesure qu'ils se redressent?

Nous avons régulièrement soutenu qu'une reprise économique complète dépendait d'un vaccin efficace. Le 9 novembre, Pfizer Inc. a annoncé que l'essai de phase 3 de son vaccin, développé en collaboration avec BioNTech, s'était conclu par un succès. L'affirmation selon laquelle le vaccin était « efficace à plus de 90% » pour prévenir le virus, ainsi que le timing, ont surpris les marchés boursiers en dépassant leurs attentes. Comme pour les autres vaccins encore en cours d'essai, deux doses prises à une semaine d'intervalle offrent une protection 28 jours après la première injection. La reprise économique sera bien évidemment tributaire des défis logistiques posés par la distribution à grande échelle du vaccin, probablement dès le deuxième trimestre 2021. Elle dépendra aussi de la capacité du vaccin à empêcher la transmission du virus par les porteurs asymptomatiques. Au moment où nous rédigeons ces lignes, la société de biotechnologie Moderna vient d'annoncer que son vaccin contre le Covid était efficace à 94.5%.

Durant la dernière décennie, marquée par une croissance faible et des taux d'intérêt bas, les investisseurs ont cherché des rendements dans les titres dont la croissance était plus forte que la moyenne.

Se concentrer sur la technologie

En conséquence, les valeurs de croissance, telles que les sociétés technologiques basées aux États-Unis, affichent une prime de valorisation croissante depuis la crise financière mondiale, ce qui reflète leur surperformance significative par rapport aux titres dit « value ». Cette prime, mesurée à l'aide du ratio entre la valorisation boursière et la valeur des actifs de l'entreprise, ou ratio cours/valeur comptable, dépasse désormais les niveaux observés au moment de la bulle des dotcoms (graphique 1). Durant la pandémie, les valeurs technologiques ont continué à surperformer; l'indice MSCI World IT s'inscrivait en hausse de 31% au 12 novembre, contre 8% pour le MSCI World, ce qui témoigne de l'attrait des consommateurs et des entreprises pour les achats en ligne et une connectivité plus importante.
Cette demande pour une croissance de qualité a affecté la composition des marchés boursiers. Dans l'indice américain S&P500, par exemple, la part des titres technologiques dans la capitalisation boursière atteint désormais 27%, soit plus de 10 points de pourcentage de plus qu'il y a quatre ans. Les secteurs du marketing en ligne et des médias interactifs portent cette part à près de deux cinquièmes du marché. Les cinq géants - Facebook, Amazon, Apple, Microsoft et Alphabet (Google) - sont à l'origine d'une fraction importante de cette concentration avec plus de 22% de la valeur de l'indice S&P, et près de la moitié du NASDAQ.

Ainsi la performance des marchés s'est-elle concentrée sur ces quelques titres clés aux États-Unis et sur deux valeurs cotées en Chine, à savoir Alibaba et Tencent.
Le secteur technologique est vulnérable aux défis réglementaires. Aux États-Unis, l'administration Biden pourrait poursuivre la procédure antitrust du Département de la Justice contre la société mère de Google Alphabet, accusée de monopole. Cette affaire pourrait se doubler d'une série d'enquêtes menées au niveau de l'État.
La semaine dernière, les signes indiquant que la Chine pourrait s'attaquer aux monopoles internet ont réduit la valeur des entreprises technologiques chinoises, telles qu'Alibaba, Tencent et JD.com. Dans un projet de directives, l'organisme réglementaire du pays a déclaré qu'il cherchait à obtenir des informations sur la façon de protéger la concurrence quelques semaines seulement après avoir rejeté l'introduction en Bourse (IPO) de la filiale d'Alibaba, Ant Group.

Début d'une rotation vers les secteurs « value »?

La perspective d'un vaccin et la promesse d'un redressement économique plus complet agissent désormais comme catalyseurs sur les marchés actions. Cette reprise qui intervient suite à la récession la plus profonde depuis plus d'un siècle dope les titres de l'industrie, de la construction et des matériaux, tout en soulageant les secteurs soumis à des contraintes structurelles, comme l'énergie ou la finance. Tous ces secteurs, considérés collectivement comme des titres « value », ont souffert durant le ralentissement lié à la pandémie et ont tendance à se redresser lorsque le cycle conjoncturel repart.
Ce phénomène, souvent décrit comme un « retour à la moyenne », fait référence au retour à une moyenne historique de valorisation. Toute la question est désormais de savoir si un tel épisode s'avérera durable dans un nouveau cycle économique.

Sur les marchés boursiers, les investisseurs reconnaissent également les perspectives offertes par les autres secteurs. Une reprise économique complète profitera notamment au tourisme et à l'hôtellerie quasiment paralysés par le travail à domicile et les confinements. Ces secteurs aussi ont rebondi la semaine dernière. Cependant, il convient de souligner que leurs modèles d'affaires devront encore s'adapter avant de renouer avec leurs niveaux d'activité d'avant la pandémie, compte tenu de l'augmentation des niveaux d'endettement et de la modification des modes de travail qui pourraient, par exemple, impacter la demande en matière d'immobilier commercial.

Les effets du déploiement d'un vaccin sur les marchés financiers et ses implications pour les économies de la planète se feront sentir tout au long de 2021. À plus court terme, la promesse d'une réouverture totale des économies grâce aux vaccins aidera les marchés à naviguer la volatilité des six prochains mois. Cela devrait soutenir les performances des secteurs « value ».

Une croissance à long terme

Les banques centrales demeurent engagées à maintenir les taux d'intérêt bas afin de soutenir l'économie au sens large durant la reprise post-pandémique. A l'exemple de la Réserve fédérale américaine qui pourrait maintenir ses taux directeurs à leur limite inférieure jusqu'en 2023, voire plus tard.
En fin de compte, les entreprises qui versent des dividendes fiables avec un modèle d'affaires durable, ou qui bénéficient de perspectives de croissance structurelle, devraient continuer à offrir aux investisseurs les meilleures perspectives à long terme. Certaines sociétés « value » dans les secteurs de la finance ou de l'énergie, par exemple, peuvent offrir des rendements solides à court terme en rattrapant leur retard sur le marché, notamment sur les marchés comme le Royaume-Uni, la zone euro, le Japon ou les petites capitalisations. Cependant, nous ne nous attendons pas à ce qu'elles surperforment les secteurs de croissance sur une période plus longue.

Même si l'intérêt actuel pour les sociétés « value » dure plus longtemps que d'habitude en cette phase de reprise conjoncturelle, ne serait-ce qu'en raison de leur important retard, nous pensons que l'appétit pour les valeurs de croissance se maintiendra dans ce contexte de faible croissance et de rendement bas. À moins que de nouvelles réglementations ne viennent entraver leurs perspectives, ces secteurs reposent sur des fondamentaux solides, soutenus par des politiques monétaires et fiscales inédites.

Au milieu de cette année et en prévision de l'annonce d'un vaccin, nous avons commencé à relever notre exposition aux titres et aux régions sensibles à la conjoncture. Plus précisément, nous avons accru notre exposition aux actions européennes où se concentrent de nombreux titres dit « value ». Les élections américaines étant derrière nous, nous continuons à augmenter tactiquement notre allocation aux valeurs les mieux positionnées pour bénéficier de la reprise cyclique à venir. En parallèle, nous conservons notre exposition aux valeurs de croissance de qualité qui continueront à offrir un équilibre intéressant entre le risque et le rendement à long terme.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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