Une histoire de la Bourse

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Par Christian Pire Modifié le 5 mars 2014 à 11h13

Avant la révolution financière de 84/85, les variations des cours de Bourse étaient limitées.

C'était le temps des « Boursicoteurs » ou des professionnelles (agents de change...) qui s'échangeaient un certain nombre de titres à un prix déterminé pour chaque transaction. La volatilité des marchés (forte hausse/forte baisse) était « maîtrisée» par la réglementation. Voir graphique ci-dessous. La courbe jaune du CAC 40 montre bien le « couloir » de négociation avant 1984/85 et le « débridage » qui prit la suite.
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Quelques dates:

- 1983 Fin de la tutelle du Trésor sur le circuit financier
- 1985 Réformes bancaires
- 1985 Matif (levée de l'exception de jeu instaurée en 1936 = spéculation) => marché sous dépendance et au service des mathématiques financières
- 1984/88 Réformes des marchés financiers (fin du monopole des agents de change)
- 1987/1988 CAC 40 créé le 31 décembre 1987 est opérationnel le 15 juin 1988.

Les effets du « débridage » et de la libéralisation des marchés furent amplifiés par le choix de valorisation comptable. Valorisation, prix, valeur quelle différence ? Le prix est issu d'une opération concrétisée d'achat/vente, la valeur est une estimation économique et la valorisation est la résultante d'une règle (normalisation) comptable.

Comptabilité
Pour la Bourse, les normes IFRS offrent trois possibilités (options) comptables de valorisation :

1) Première option : Le Mark-to-Market (juste valeur) lorsqu'il existe un marché actif. Un marché ou le prix d'échange réalisé lors d'une transaction à une probabilité acceptable d'être le prix applicable à une majorité des personnes qui ont gardé les titres en portefeuille si elles désiraient vendre.

2) Deuxième option : En l'absence de marché actif, on peut valoriser en observant la valeur des actifs similaires. Exemple, je veux vendre 100 titres de la société X et je prends comme référence le prix qui a été réalisé il y a plusieurs jours lors d'une vente d'un nombre de titres plus ou moins équivalent

3) Troisième option : Le Mark-to-Model. Dans cette option, le prix peut être obtenu par des techniques de valorisation interne. Cette option est intéressante lorsqu' il n'y pas de véritable cohérence entre le prix échangé pour un volume et les volumes détenus. Serait-il normal, sans appliquer une règle mathématique, que je valorise mécaniquement mon stock d'une tonne de tomates au prix réalisé lors de l'achat ou la vente d'un kilo de tomate ? Je vous laisse imaginer les variations et les distorsions de prix en fonction de la qualité des tomates, des saisons et de la relation humaine entre acheteur et vendeur.

Alors qu'en Bourse où les volumes d'échange sont très faibles par rapport au nombre de titres en circulation, il a été choisi d'utiliser mécaniquement le Mark-to-Market à la place du Mark-to-Model.

C'est bien cet, « étonnant », choix comptable qui amplifie de plus de 98% la volatilité des valorisations boursières. Qui dit mieux ? Voir site www.agencedecotationihr.com

Dernière précision : Sans cette volatilité comptable fictive, les marchés dérivés spéculatifs ne pourraient exister. Les banques n'auraient plus l'occasion de gagner autant d'argent par la spéculation et devraient remettre les capitaux dans l'économie réelle. En un mot, elles devraient redevenir des banques.

Philippe Béchade dans MoneyWeek du 22 janvier 2009 : « Avec la disparition d'un nombre impressionnant d'acteurs, qui assuraient plus de 60 % des volumes quotidiens, l'épaisseur des carnets d'ordres s'est considérablement réduite. Le marché, déserté, trahit jusqu'à sa raison d'être. »

Déstabilisations
Comme vous l'aurez compris, le choix de la valorisation Mark to market a pour conséquence de transmettre à tous les titres l'effet inflationniste (en cas de hausse) ou déflationniste (en cas de baisse) d'un échange de faible, voire très faible, volume de titres. Le 16 mai, le titre EDF perd 5,24% pour un capital échangé (volume) de 0,25%. Un échange de 0,25% du capital décide de la valorisation de 100%. Si ça ce n'est pas un effet de levier ....ou de destruction... Pour le fun, le nombre total de titres est de 1 848 866 662.

Les corollaires de cette aberration sont des effets considérables en terme de déstabilisation SOCIOECOPOFI (SOCIOlogie, ECOnomie, POlitique, FInancier).

- Sociologique : ces valeurs sans fondement génèrent, suivant les cas, défiance, crainte, peur, panique, confiance, euphorie avec les problèmes de la liquidité qui vont avec.
- Economique : manque de consommation (en phase de crainte, peur, panique), consommation excessive (en phase d'euphorie avec le crédit) générant suivant les cas déflation ou inflation.
- Politique : Etude de prospective faussée, analyse erronée, décision à mauvais escient, défiance des peuples, manifestations, etc..
- Financière : Une estimation faussée des patrimoines par les banquiers lors d'opération d'endettement ; une base de référence fiscale fausse car identique pour tous les porteurs de parts contribuables. Etc...

Raisonnement d'autant plus fallacieux que l'on sait que le cours n'aurait pu être que plus faible pour les autres transactions puisqu'il n'y avait plus d'acheteurs et que les cours n'ont été validés que pour un très faible échange. Ces performances irréalisables mais validées comptablement et juridiquement, servent de base aux comparatifs, aux publicités etc... avec pour conséquence des risques juridiques très importants pour les utilisateurs professionnels.

Ces évidences, qui nous ont été rappelées lors de la dernière crise, nous ont montré combien une cotation ne tenant pas compte des volumes pouvait se révéler désastreuse tant par les performances ou les sous-performances qu'elles fabriquent que par les problèmes de liquidité qu'elle engendre.

Paul-Henri de La Porte du Theil nouveau Président de l'Association de la Gestion Financière dans « Les Echos » du 18 mai 2009 : « Dans cette crise, deux mots sont ressortis, deux préoccupations : la liquidité et la transparence. Et c'est autour d'eux que nous allons travailler. Dans la gestion, nous avons focalisé sur le couple rendement-risque en oubliant la liquidité, qui semblait aller de soi. L'effet de ciseau entre un passif qui décollecte et un actif illiquide peut être très douloureux »

Monsieur Claude BEBEAR, président d'honneur d'Axa, dans La Tribune du 25 août 2009 :
« Cela n'a aucun sens de comptabiliser dans l'instant une valeur de marché qui ne reflète pas la valeur des actifs. Cela accélère la formation de bulles ou la production de krachs sans donner une image fidèle des entreprises. Cela frise parfois la malhonnêteté. »

Augustin de Romanet , directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, dans "Le Figaro" du 22 janvier 2010 en page 14 : Article intitulé : "Les enjeux politiques insoupçonnés des règles comptables." Davos pour « repenser, redessiner, reconstruire l'état du monde ». Au cœur de cette régulation se trouve la question des normes comptables dont l'insuffisance a amplifié la crise, en la diffusant à l'économie mondiale. Leurs effets déstabilisateurs sont pour l'essentiel, venus de l'application du mécanisme de la « valeur de marché » : la baisse des Bourses a entraîné la baisse des actifs des institutions financières, les conduisant à réduire leurs prêts et leurs investissements dans l'économie, ce qui a encore amplifié la crise et entrave aujourd'hui la reprise. La publication, il y a quelques semaines, de la première réponse de l'IASB est inquiétante.

Ce nouveau texte accroît en effet l'utilisation de la valeur de marché, notamment, en prévoyant que les variations des Bourses impacteront le résultat des investisseurs, même s'ils n'ont pas vendu d'actions ! Il ne s'agit pas de faire des normes comptables le bouc émissaire de la crise financière. Mais les principes proposés par les normalisateurs internationaux accroissent le risque de contraction des sources de financement de l'économe. Comptabiliser les actifs selon leur valeur instantanée transfèrerait sur les fonds propres la volatilité des marchés. « Accroître la volatilité des bilans des grandes entreprises et des institutions financières, ce sera autant d'emplois détruits, d'investissements bloqués, d'efforts d'innovation contrariés. ». »

Mathieu Rosemain, propos recueillis de Hans Hoogervorst, futur président de l'International Accounting Standards Boards (IASB) dans « Les Echos » daté du 2 décembre 2010 : « Je sais combien il est important que les communications financières soient aussi fiables que possible pour les investisseurs. Cette crise résulte de l'application de normes bancales dans le monde. Les standards comptables doivent être aussi clairs et faciles à comprendre que possible. Je reconnais que la gouvernance de l'IASB mérite d'être renforcée. Nous devons fournir aux investisseurs des règles claires et fiables qui ne changent pas trop souvent.

Cette crise est le plus grand scandale économique de l'histoire de l'humanité. Mais si vous regardez le monde financier, il est surprenant de constater que si peu de personnes sont derrière les barreaux. On dirait que seuls Madoff et Kerviel ont été poursuivis. Les personnes impliquées dans l'élaboration et la commercialisation de produits financiers toxiques sont toujours libres... »

De ce fait, il apparaît illusoire d'évoquer la stabilisation du système financier et des Etats sans en améliorer son système de valorisation et sa liquidité.
A l'heure où les institutions génèrent des doctrines, des règlements et des normes pour que la crise que l'on a connue ne se répète pas, n'est-il pas primordial de travailler les vrais facteurs de causalité ?

Certes, nos gouvernants essayent de faire appliquer des règles qui assurent une certaine protection en cas de krach mais, faute de travailler sur l'évaluation des cours, ils s'exposent tôt ou tard au franchissement du Seuil Sociologique d'Acceptation des Baisses (dit seuil 2SAB).

Où quand la majorité des épargnants suit l'instinct grégaire et par lassitude retire ses fonds au même moment. Souvenez-vous de la peur du gouvernement lors de la déclaration « Cantona ».

Hier, malgré les évidences, les professionnels fermaient les yeux sur l'inefficience des marchés : aujourd'hui, malgré les évidences, allons nous continuer de fermer les yeux sur l'inefficience du système de cotation et sur les risques systémiques de liquidité qu'il crée ?
Et si c'était le système de cotation tel qu'il est qui créait ou accélérait les bulles et les krachs ?

Souvenons-nous de Benoît Mandelbrot qui, dès les années 60, dénonçait l'utilisation de la courbe de Gauss dans l'analyse et l'estimation des variations de prix des actifs financiers. Pendant de nombreuses années, il ne fût pas entendu par le milieu financier ni même respecté parce qu'il remettait en cause un des fondements factices (mais oh combien « facilitateur » !) de l'analyse financière, en l'occurrence l'efficience des marchés. La règle étant dans le milieu financier que lorsque l'on gêne l'on s'en prenne à votre réputation et à votre portefeuille, il est parti ...et les krachs répétitifs sont arrivés.

Comment évoquer la stabilisation du système financier sans prendre en compte l'aspect virtuel des performances annoncées ?
Sous estimer (occulter) le risque est-ce encore acceptable ?

Un des titres de la revue « Challenge » de novembre 2010 était « La réalité virtuelle va nous aider à doper nos ventes ». Ce titre résume bien la réalité virtuelle du monde de la finance certifiée par les commissaires aux comptes. Cela peut-il encore perdurer ?
Stabiliser le système financier sans aborder la déstabilisation de sa valeur et de sa liquidité n'est ce pas commettre la même erreur que lorsque que par facilité on a fermé les yeux sur l'inefficience des marchés ?

Est-ce plus les fonds spéculatifs ou le système de cotation qui a amplifié la crise financière ?
Dans les faits, la réalité virtuelle des cours sert à alimenter, au détriment de l'économie, le pari mutuel boursier (marchés dérivés (hors couverture) etc...) est-ce encore acceptable ?
Les autorités de régulation, de supervision et les commissaires aux comptes ne peuvent plus couvrir la réalité de cette désinformation et de cette déstabilisation étatique.
Le passé devrait-il se répéter pour que cela change ?
On pourrait le croire en lisant cette dernière déclaration :

Benjamin Jullien dans « La Tribune » daté du 6 décembre 2010 en page 37 :
Article intitulé : Les professionnels ne veulent pas de normes trop strictes
« L'évaluation financière est si peu encadrée qu'elle fait presque figure d'anomalie dans l'univers réglementé de la finance. Mais avec l'essor du concept de « juste valeur », l'évaluation est apparue comme le maillon faible de l'information financière lors de la crise du « subprime », qui a mis en évidence la difficulté à cerner la valeur intrinsèque d'un actif en l'absence de transactions sur le marché. L'AMF n'exclut pas la « possibilité de faire référence, à terme, aux standards de l'IVSC », mais « ne se prononce pas, à ce jour, en faveur de normes précises et contraignantes » indique Benoît de Juvigny, secrétaire général adjoint en charge de la direction des émetteurs de l'AMF. »

Proposition:
A la place d'extrapoler à tous les porteurs de parts les gains ou les pertes réalisés par une très faible minorité, pourquoi ne pas prendre comme techniques de mark-to-model la répartition des gains ou pertes réalisés par les spéculateurs à tous les porteurs de parts ? Ne serait-ce pas moins déstabilisateur que le système actuel ? Ne serait-ce pas plus logique en terme juridique ? Ne serait-ce pas plus honnête ?

Un espoir
Laurence Boisseau dans « Les Echos » du 2 juillet 2012
Article intitulé : AMF : Jean-Pierre Jouyet tire sa révérence aujourd'hui
«Enfin, les normes comptables devront être regardées de très près, notamment dès qu'il s'agit de comptabiliser à la valeur de marché, ce qui ne peut que générer une forte volatilité. »

Réflexion
Le propos de cet écrit n'est pas de prôner une « révolution » des cotations boursières trop déstabilisatrice dans la situation actuelle, mais bien de la préparer en imposant, dès maintenant, une double information boursière :
- Mark to market : prix du marché pour les opérations achats/ventes réalisées par les spéculateurs du jour.
- Mark to model : prix pondéré par les volumes pour les porteurs de parts. Sauf erreur, c'est bien les volumes qui crédibilisent les performances pour les détenteurs de titres et non l'inverse.

Il me paraît également important que l'ensemble des frais et honoraires soient perçus sur la valeur « mark to model » pour les détenteurs de titres. A contrario, il est impératif de relibérer les gestions en mettant fin au dogme idiot de ne pas trop faire « tourner » un portefeuille. Un portefeuille qui ne tourne pas est un portefeuille qui n'est pas géré mais affecté. La gestion d'affectation amplifie tous les risques. Cela sera le thème de mon prochain écrit.

Solution
Pour mettre en place la cotation mark-to-model, je propose le principe de doubler la Variation Spéculative du Jour (CAC 40 actuel qui serait renommé CAC 40 VSJ) de la Variation Humainement Responsable (CAC 40 VHR) . La Variation Humainement Responsable, à contrario de la Variation Spéculative du Jour, n'extrapole pas la hausse ou la baisse boursière réalisée par un petit nombre à tous les porteurs de parts mais divise le gain ou la perte du jour sur l'ensemble des porteurs de parts. Certes, ce n'est pas le « paradis » mais on s'en approche par rapport au mensonge du mark-to-market. Qui sait ? D'autres auront peut-être l'idée géniale.....

Exemple de différence de valorisation :
Variation du CAC 40 du 16 mai 2013 en valeur spéculative du jour ou CAC 40 VSJ© : - 008%
Variation du CAC 40 du 16 mai 2013 en valeur humainement responsable CAC 40 VHR© : - 0,0003%
L'indice de destruction comptable de valeur ©*, différence entre la variation officielle et la variation humainement responsable, est de 99,62.
* L'indice de destruction comptable de valeur © calcule le pourcentage de la baisse du cours due uniquement à la méthode de valorisation comptable. Cette dernière en ne prenant pas en compte la faiblesse des volumes échangés a généré une inflation à la baisse de 99,62% ! Baisse boursière ou baisse comptable ? Volatilité boursière ou volatilité comptable ?

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Universitaire. CEDS. Ancien président de société de gestion de portefeuille et gérant d'OPCVM. Créateur de l'approche SOCIOECOPOFI et de l'agence de cotation boursière alternative IHR.

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