Le mariage homosexuel est d’abord une affaire… de transmission du patrimoine #Bestof

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 12 janvier 2013 à 8h43

Bien évidemment, un tel titre et un tel point de vue, sur un sujet aussi conflictuel, ne convaincra pas tout le monde, loin s'en faut. Mais je vous invite à lire l'exemple ci-dessous, qui donne la mesure kafkaïenne du problème clef soulevé par le mariage homosexuel : l'impossible transmission du patrimoine en France.

Pierre (ou Jeanne si vous voulez) a roulé sa bosse toute sa vie, voyageant de pays en pays pour son travail, ne trouvant jamais ni le temps ni la personne avec qui se marier. Ou bien encore n'en avait-il tout simplement pas envie. Les vrais solitaires existent. Entre la petite maison héritée voici trente ans de ses parents, sur la côte bretonne, et les économies qu'il a accumulé pendant des années, puisqu'il avait des besoins limités et qu'il gagnait relativement bien sa vie, Pierre, au soir de son existence, se retrouve à la tête d'un patrimoine d'un peu plus de 800 000 euros. De ce fait, comme 291 630 foyers français en 2012, il s'acquitte (d'un peu) d'ISF, et paye des impôts (augmentés) sur sa retraite.

Ses vieux jours, il les passe évidemment dans sa petite maison bretonne. A l'écart du village. Il ne conduit plus.

Une personne vient le voir tous les jours de la semaine. Même sans raison. Parfois aussi, le samedi, ou le dimanche ou les deux. De temps en temps, avec ses enfants. Passe cinq minutes, parfois dix, parfois plus, pour bavarder avec lui. Malgré son arthrite, Pierre vient tous les jours l'accueillir à la barrière pour l'accueillir. C'est bien sûr la gentille factrice, qui même sans courrier à lui apporter, passe par chez Pierre pour voir si tout va bien, lui déposer du pain ou les courses dont il lui avait donné la liste la veille. Elle complète bien souvent la liste, quand elle n'apporte pas aussi un plat tout prêt, cuisiné par elle, soustrait au plat familial. Par pur altruisme.

Dix ans se passent ainsi. A la louche, Pauline, la factrice, aura rendu 3650 visites à Pierre. Jusqu'au jour ou Pierre ne viendra pas à la barrière. Ou Pauline, la factrice, poussera la porte, et trouvera Pierre endormi pour toujours dans son fauteuil. Ou étendu par terre. C'est Pauline et personne d'autre, puisque Pierre n'a pas de famille, qui préviendra le maire, les pompes funèbres, fera même l'avance de certaines dépenses urgentes avant que le notaire ne prenne en charge la succession, et ne débloque des fonds sur le compte de Pierre pour pouvoir payer son enterrement. Il n'y a pas grand monde à la cérémonie, sauf Pauline, son mari, et ses enfants qui sont bien là, et bien en larmes.

Pauline savait-elle que Pierre l'avait désigné légataire universel ? Certainement pas. A la limite, Pauline, ça l'aurait fait fuir. Elle aurait eu peur qu'on jase au village, pensant qu'elle s'occupait du vieux pour toucher l'héritage. Mais c'est ainsi : Pierre aimait Pauline, d'un amour quasi filial, lui qui n'avait pas eu d'enfant. Pauline était comme sa fille, et les enfants de Pauline, comme ses petits-enfants. Il ne voyait pas d'autre destination possible à sa maison et à ses économies que de revenir à Pauline. Ces dix minutes quotidiennes étaient comme le soleil qui déchire la brume.

Oui mais voilà : En France, que vous soyiez un vieillard solitaire qui veut faire un leg à son infirmière ou à sa factrice, ou un homosexuel qui veut transmettre son patrimoine à ceux qui ont partagé votre vie sans pour autant vous êtres pacsés à chaque fois, ou encore aux enfants que vous avez élevés -ou pas d'ailleurs- (je ne me pose pas la question de savoir comment ils sont arrivés dans le foyer, là n'est pas le sujet), l'Etat agit le drapeau rouge et vous annonce la couleur : 60%. Vous me direz, mais non, il y a un truc, il suffisait d'adopter (chose pour l'instant non prévue dans le projet de loi de mariage homosexuel, mais que les députés socialistes veulent inscrire de force, on comprend avec cet exemple pourquoi). Sauf que l'adoption simple d'un tiers étranger à la famille de l'adoptant n'a qu'une valeur symbolique. Côté droits de succession, c'est 60 % aussi. Pierre aurait pu transmettre à Pauline son patrimoine sans que celle-ci ne soit assommée par les 60 % d'impôts, mais en procédant à une adoption plénière, substituant un lien de filiation juridique à une filiation biologique. Autrement dit, Pauline aurait du renier ses propres parents pour etre adoptée pleinement par Pierre, et bénéficier, et de droits de succession moins élevés, et de la franchise d'impôt sur les 100 000 premiers euros. Kafkaïen on vous dit.

A la place de cela, la maison de Pierre, à laquelle elle s'était évidemment attachée, lui rappelant son vieil ami, elle devra quoi qu'il arrive la vendre... pour payer les droits de succession. C'est ballot, elle est locataire ! Ca paye pas cher, factrice à la campagne, avec un mari pécheur qui ne péche plus grand chose. L'héritage de Pierre mettra bien du beurre dans les épinards, c'est sûr, mais Pierre, c'était la maison qu'il voulait lui transmettre, pour l'abriter du besoin, elle, ses enfants et son mari ! Pour transmettre un patrimoine qui était un peu lui, à une amie. Pas lui faire un chèque. Résultat, la maison abritera des inconnus, pour laquelle Pierre est un inconnu. Et Pauline touchera un chèque qui lui brûlera les doigts.

Alors oui, quand on parle de droits de succession, il y a l'éternel débat qui consiste à dire que cela permet de redistribuer les cartes de la vie, et de donner sa chance à tous en prenant à ceux qui ont tout, pour le redistribuer aux autres. Voire. Comme si l'Etat, en prenant sa part sur les successions (j'ai faillit écrire sa dîme, mais la dîme, c'était 10 %... si l'on ne parlait que de ça !), le redistribuait à ceux qui en ont besoin. On le sait désormais, l'Etat prélève l'impôt d'abord pour lui-même, pour se goinfrer de dépense publique, à l'efficacité définitivement douteuse.

Or, est-ce l'Etat qui est venu voir tous les jours Pierre, même en plein hiver par grand froid, par temps de brouillard, ou sous la pluie ? Vous allez me dire, dans mon histoire (authentique bien entendu, seuls les prénoms ont été changés), Pauline est factrice, elle assure une mission de service public en distribuant le courrier, même aux usagers les plus éloignés. Pire, en faisant un détour par chez Pierre avec sa voiture de fonction (pas son vélo, je vous l'ai pas joué Zola à fond sur ce coup-là quand même), elle a volé la Poste, donc indirectement l'Etat, de quelques gouttes d'essence tous les jours. Tiens, si le receveur principal avait su ça, il aurait du la renvoyer ! Bien sûr qu'il savait, ballots, vu que la Pauline rentrait parfois bien tard de sa tournée, d'autant que des petits vieux qu'elle allait voir sans arrière-pensée, de manière totalement altruiste, elle n'avait pas que Pierre au compteur. Moi, je suis pour le maitien à tout prix des services publics de proximité, à commencer par le facteur, même s'il a de moins en moin de courrier à porter. Y en a des cons, y en a des adorables, comme partout.

Mon histoire de quelques lignes commence en fait à devenir longue, mais vous avez bien entendu compris mon propos. L'un des enjeux majeurs du mariage homosexuel, et derrière de l'adoption, n'est pas tant juridique, à savoir pouvoir ranger dans le tiroir d'une commode des bouts de papier avec marqué mari et femme dessus, pardon, conjoint 1 et conjoint 2. Le sujet principal qui est la raison d'être de l'Homme sur la Terre, c'est bien évidemment la transmission. Quand Pierre, pour remercier Pauline de sa gentillesse et de son dévouement pendant tant d'années, décide de transmettre à Pauline son patrimoine, c'est pour le transmettre à elle, et changer son destin et celui de ses enfants, alors qu'il ne sera plus là pour le voir. Pauline est altruiste, Pierre est altruiste, l'Etat est rapace, vorace, égoïste et injuste.

Le vrai problème du mariage homosexuel à mon sens (si vous n'êtes pas d'accord vous pouvez poster en dessous votre avis ou nous envoyer un billet développé) n'est pas le bout de papier (la belle affaire), qui va terminer dans un tiroir, mais sa principale conséquence sur le plan patrimonial : La transmission vers des tiers (amis, amants) ou enfants (d'où qu'ils viennent), taxée aujourd'hui à 60 % quand on n'a pas d'enfant(s) biologique(s).

Tant que la transmission du patrimoine à n'importe qui, pour des raisons qui n'incombent qu'à chacun d'entre nous et qui ne regardent pas l'Etat, sera différenciée selon que l'on est fils, fille, frère, soeur, cousins ou sans lien familial, alors, le problème demeurera. D'ailleurs, c'est pour lutter contre une injustice manifeste que les enfants illégitimes sont aujourd'hui traités de la même manière que les enfants légitimes en cas de succession. Non sans créer des histoires terribles. Si demain, la transmission du patrimoine se faisait de la même manière pour tous, avec une taxe forfaitaire, acceptable, et identique pour tous, une grande partie du débat sur le mariage homosexuel ne tiendrait pas.

Alors, si sous le règne de Hollande Ier, le changement dans la justice, c'est maintenant, voilà une réforme courageuse et audacieuse à entreprendre, qui résoudra du même coup l'épineux problème du mariage homosexuel, et de l'adoption homoparentale !

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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