MEDEF : circulez, il n’y a rien à voir !

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Par Sophie de Menthon Modifié le 19 juin 2013 à 4h12

Le MEDEF a donc un Président !? Et ce avant la date de l'élection prévue le 3 juillet 2013 ; mais alors pourquoi maintenir une élection ? Pour juger de l'ampleur du « plébiscite » ?

Si celui-ci n'atteint pas 95% on dira alors que c'était « magouillé » et les commentaires iront bon train ; les opposants s'en offusqueront, les médias ricaneront, etc.

Sous prétexte d'un nécessaire consensus que nous appelons de nos vœux (comme les Français qui rêvent d'un gouvernement d'union nationale mais se déchirent en famille !), on impose en fait une abdication consentante : consensus ou totalitarisme ? Et n'est-ce pas un peu insultant pour ceux qui ont déjà voté ou qui vont voter pour un autre candidat que celui qui a été désigné, on se moque d'eux ?

Certes, les candidats au MEDEF partagent les mêmes valeurs et les mêmes objectifs mais la situation économique est telle qu'il faut que le MEDEF aussi se remette en question justement sans s'en remettre aux mains des élites de toujours qui font les rois.

Pour l'instant aucun des candidats du nouveau triumvirat n'a mis suffisamment en avant la nécessaire notion de « progrès » pour faire évoluer l'entrepreneuriat français en lui-même. On ne peut pas imputer à l'Etat seul une situation économique navrante.

Le MEDEF a failli dans sa mission pédagogique

Nos chefs d'entreprises ont clairement des progrès à faire, ils exportent peu, ne chassent pas en meute, parlent mal anglais, les grandes entreprises se comportent souvent mal envers leurs prestataires et fournisseurs...

Jean-Claude Volot (qui fut candidat au MEDEF au départ) a été un excellent médiateur et a su pointer ces graves défaillances frôlant parfois le manquement à l'éthique. Certes le MEDEF est un « syndicat » patronal et en principe il est là pour défendre les patrons mais au stade où nous en sommes il faut probablement dépasser ce rôle.

La formation par exemple est insuffisante, mal partagée et mal utilisée, et pourtant le MEDEF dispose d'un réseau de correspondants dans la France entière dont les budgets sont conséquents. Pourquoi ne pas mobiliser ce réseau pour dispenser la connaissance et la pédagogie économique en entreprise à partir de programmes qui ont fait la preuve de leur efficacité dans divers groupes industriels aussi bien que dans des PME ? Qui aura le courage d'affronter la réalité et de remettre de l'éthique dans l'utilisation détournée de fonds en principe dédiés à la formation ?

La pédagogie ne semble pas être la préoccupation première du MEDEF, or l'ignorance économique génère des tensions sociales et des erreurs graves dans la compréhension même de la gestion du pays et ce à tous les niveaux En Allemagne, les organismes patronaux achètent des double pages dans les journaux pour expliquer à l'opinion publique en quoi certaines initiatives du pouvoir sont bonnes ou mauvaises.

Il faut expliquer et avoir une position claire en matière de fiscalité, de droit du travail, de réglementation commerciale, etc. De nombreux entrepreneurs se demandent si le MEDEF n'a pas failli dans cette mission pédagogique.


Le MEDEF manque d'un ancrage de terrain

En cette période de crise, il fallait expliquer, démontrer, et surtout démonter certaines idées à la mode : anti mondialisation, anti finance, anti capitalisme, pseudo patriotisme économique, etc.

Le MEDEF a failli dans son rôle politique peut-être justement pour avoir trop couru après les politiques, pour avoir privilégié l'entre soi, même s'il était très difficile de naviguer entre des gouvernements dirigistes et des syndicats révolutionnaires, il fallait s'adresser directement à l'opinion publique et aux élus de tous partis pour défendre le libre échange et la liberté d'entreprendre.

Le MEDEF a failli dans ses choix sociaux qu'il s'agisse des retraites, de la durée du travail, de la lutte contre le chômage, des monopoles syndicaux ; le MEDEF a suivi (en traînant un peu les pieds) la pensée unique. Il est tout de même paradoxal que les patrons critiquent en permanence l'ingérence du politique dans la gestion des entreprises et se battent tous sans exception pour avoir les faveurs d'un ministre au moindre colloque et à la plus petite inauguration. L'onction ministérielle reste un must !

Si le MEDEF ne commence pas à jouer la réactivité et la proximité, des initiatives comme celles des « Pigeons » ou des « Poussins » vont proliférer, c'est une question de survie pour beaucoup d'entrepreneurs et c'est aussi le signe que lorsque les entreprises se sentent attaquées dans leur domaine, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes.

Aujourd'hui, il faut mener une réflexion différente sur la communication grâce aux réseaux sociaux, avec des mots, des exemples et des explications qui d'évidence n'appartiennent pas au langage des hautes sphères patronales. On peut également se demander si le MEDEF ne doit pas prendre la main sur certains débats ; prenons l'exemple de celui sur les auto-entrepreneurs, il pouvait être du rôle du MEDEF de mener une réflexion et de proposer des solutions entre d'un côté un statut qui a favorisé la liberté d'entreprendre et de l'autre une certaine distorsion de concurrence pour des artisans et le BTP.

Ne pas laisser cela aux lobbies des uns et des autres mais bien s'instaurer comme médiateur si nécessaire. En tous cas, il faut y réfléchir. Peut-être serait-ce aussi le moyen de redorer l'image de l'instance patronale ?

Le MEDEF est hélas devenu le sigle le plus détesté de la population française

Comment dans ces conditions entrainer un pays dans un élan de croissance et de confiance économique ? Les Français aiment leur boîte, aiment leur patron mais n'aiment ni l'économie, ni le libéralisme, ni le capitalisme, ni la bourse, ni les grands patrons, ni... le MEDEF !

Le MEDEF du passé n'a-t-il pas une part de responsabilité dans le fait qu'on en soit arrivé là ?
Sa tradition a toujours été d'emboiter le pas du politique ; l'ambition pour le « patron des patrons » et ses équipes, est d'être photographié sur les marches de l'Elysée et de fouler les moquettes républicaines. La coutume est alors de s'entendre entre gens initiés et « responsables » en jouant sur un donnant / donnant qui a abouti à tous les échecs que l'on connait.

Idem pour les syndicats : « je supprime votre jour de carence et vous nous lâchez du lest sur les retraites » (exemple fictif bien sûr !). Evidemment les promesses pacifiques ne sont pas tenues et sont déconnectées de la réalité du terrain mais tout le monde est d'accord pour la poignée de main sur la photo... avant la grève !

Les médias ? Il ne fallait pas les fuir. Les politiques ? Il ne fallait pas pactiser à coups de connivence. Le terrain ? Il ne fallait pas jouer le Parisianisme. Les syndicats ? Il fallait se pencher sur la vraie représentativité....


Bien que les règles en aient été amendées la liberté de création de syndicats n'est toujours pas reconnue en France et leur représentativité purement arbitraire.

Récemment le MEDEF a accepté la présence de délégués syndicaux étrangers à l'entreprise et le dernier « accord historique » (qui a fait débat chez les petits entrepreneurs) a conduit à de nouvelles concessions sur ce point ; le concept de contrat de travail est finalement accessoire et la négociation collective demeure la règle. Les compromis sont la plupart du temps de médiocres compromis que l'on vend aux médias en mettant en avant le fameux dialogue social, alors qu'il n'existe pas vraiment.

Quant au fond, pourquoi se battre par exemple sur l'âge de la retraite ou sur d'autres réformes paramétriques alors que c'est le système par répartition qui est ingérable et en voie fatale d'explosion sauf à mettre la retraite à 90 ans ! Jamais le MEDEF ne s'est suffisamment penché sur le fond du problème et sur cet aspect de la question. La réforme des retraites n'a pas été défendue comme elle aurait dû l'être, en innovant.

Pour la durée du travail, le MEDEF a accepté les « aménagements » sur les 35 heures mais au moment de l'arrivée du Président Sarkozy qui avait fait la promesse de les supprimer, l'association patronale a clairement reculé et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle n'a pas poussé le Président de la République à la suppression.

Il semble encore que ce soit aujourd'hui un sujet tabou et il faut passer au stade suivant : le vrai challenge consistera à travailler sur la suppression de la durée légale du travail remplacée par un contrat équilibré correspondant à la diversité des contrats des secteurs et des emplois.

Dans les discours électoraux des candidats, les PME sont à la mode : on le jure, on s'y engage, on les aime, on les écoutera, on les défendra... Certes, mais pas un mot sur les relations avec la CGPME ? Qu'en sera-t-il ? Sortirons-nous de la guerre froide ? Qui représente qui ?

Au nom de la croissance, l'Etat continue de se porter en seul recours, en seul stratège et à quel prix ! Mais si nous attendons des réformes, il convient de ne pas oublier la parabole de la paille et la poutre. Aux grands enjeux les grands moyens, ne laissons plus nos entreprises aux mains de pseudos élites qui menacent leur survie avec les meilleures intentions.

Repensons la structure même du MEDEF pour plus de démocratie sans confisquer les décisions. Après tout, pour les prochaines élections de l'organisation patronale pourquoi chaque patron n'aurait-il pas un droit de vote proportionnel bien sûr ? Notre pays ne serait-il pas différent si chaque entrepreneur avait le sentiment d'avoir un peu voix au chapitre économique ?

Ce ne sera pas encore pour cette fois car les entrepreneurs de France viennent d'apprendre qu'ils avaient élu sans le savoir et avant l'élection un nouveau Président du MEDEF et deux Vice-présidents ! Après tout, ils ne seront peut-être pas trop de trois face à l'ampleur de la tâche.

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Sophie de Menthon est la présidente du mouvement patronal Ethic. Elle est également membre du conseil économique et social (CESE), et auteur de nombreux ouvrages pédagogiques ou de vulgarisation pour la jeunesse.    http://www.sophiedementhon.fr/

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