Démystifier la religion de la mobilité

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Par Alain Astouric Publié le 2 janvier 2018 à 5h02
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Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix c’est à marche forcée que, surtout dans les grandes entreprises, le dogme de la mobilité a imposé aux salariés de fréquents changements de poste et/ou géographiques. Le leitmotiv étant devenu dans les secteurs public comme privé, « Il faut changer ! ».

Des changements souvent imposés aux prétextes de devoir par exemple, prendre un nouveau départ ou relancer sa motivation ou briser la routine ou encore, mieux s’armer face à la concurrence. L’air du temps étant en quelque sorte « Changer pour changer ». Un peu comme si un nouvel adage était né, nous disant « Ce qui est sain, c’est de changer ! ».

Dans les faits la bougeotte n’a le plus souvent satisfait que les entreprises elles-mêmes, et encore pas toujours entièrement. Par contre ce n’est pas par hasard qu’elle a très efficacement participé à la casse des collectifs de travail.

Pudiquement rebaptisée « Mutation organisationnelle permanente » par quelques théoriciens la présentant comme vecteur de dynamisme et de modernité, cette nouvelle religion de la mobilité a longtemps fait l’objet de formations et de programmes de coaching. Avec maintenant quelque recul, nombreux sont ceux qui pensent que ces changements, souvent intempestifs, nous ont été imposés (et dans une large mesure le sont encore, malgré le nouveau discours ambiant regrettant leurs conséquences négatives) surtout dans l’optique d’obtenir la désocialisation des équipes et par voie de conséquence, obtenir des salariés dociles et même (artificiellement) zélés, parce que fragilisés.

La mutation organisationnelle permanente

Pendant longtemps donc, un dirigeant digne de ce nom se devait, à peine arrivé, d'imposer des changements de fonctions et/ou de service aux salariés auxquels il expliquait longuement qu’ils auraient à changer de métier de nombreuses fois dans leur carrière. Certains hiérarchiques n’hésitant pas au passage à cataloguer de ringard, passéiste, fossile, dinosaure, sénateur ou carrément burnout (syndrome grave d'épuisement professionnel qui existe effectivement par ailleurs) celui ou celle des employés qui aurait eu l’outrecuidance d’avancer un risque de perte de repères ou bien de demander timidement une pose dans les changements.

Les salariés ont vite compris que persister sur la voie du répit était passible de « placardisation » voire d’éviction directe, si les circonstances légales le permettaient. Une sorte de mise aux rebus qui pouvait accessoirement servir aussi d’exemple pour calmer toute velléité revendicative. La peur ayant souvent pour effet de faire taire, a fortiori après vingt ans de chômage de masse.

À cette même époque tout écrit osant avancer un risque de perte de repères consécutif aux mobilités incessantes, risquant à leur tour de conduire au désinvestissement, parfois au drame ; de même que toute étude sur les limites du papillonnage fonctionnel, pouvant aller jusqu’à métamorphoser un expert en un amateur qui ne connaît plus la réalité du travail parce que victime de « désajustement professionnel » ; ou encore tout écrit prévenant du danger que présente le déracinement géographique et social des individus qui n'existent pas sans leur cadre environnemental, ont alors systématiquement été balayé d’un revers méprisant de type, « Chez nous, ça marche très bien ainsi ! ».

Quant aux ouvrages avertissant que l’invocation perpétuelle du changement, en considérant les dimensions sociale et humaine comme de simples paramètres à adapter et en faisant simultanément de l’homme au travail une seule variable d’ajustement, finirait par dissoudre tout repère et par amputer les résultats, ils n’ont connu qu’une diffusion quasi confidentielle tellement était grand l’aveuglement des décideurs n’ayant que les chiffres à court terme pour ligne d’horizon.

Il a alors suffi à quelques consultants de dire et répéter qu’« On ne peut plus faire comme avant car il faut aller vite » en ajoutant « Les nouvelles réalités conduisent à de nouveaux comportements nécessairement plus réactifs et innovants », pour vendre leurs théories du chaos et du management par la peur (et/ou la rupture). Ce qui s’est traduit par le plaquage de pratiques anglo-saxonnes ? le plus souvent sans le moindre ajustement au mode de fonctionnement de la société française ? dont on savait pourtant depuis longtemps déjà qu’elles n'ont de sens que dans leur contexte culturel d'origine.

Une réalité que nous expliquaient à nouveau Marie Pezé, Psychanalyste, spécialiste de la souffrance au travail et Danielle Linhart, Sociologue du travail, directrice de recherches au CNRS, sur France Inter.

La course à la mobilité ne s’est donc pas contenté de louer la flexibilité ni de dénoncer la supposée résistance qu’opposeraient certains avec parait-il entêtement à l’idée même de changement, mais elle a aussi contribuée à briser l’identité professionnelle des personnes qui construisent la leur en mêlant des valeurs attachées à l’entreprise (obligations, rites, image) avec d’autres valeurs relevant du professionnalisme (savoir-faire, expérience, goût du travail bien fait).

Ceci est un extrait du livre « Encadrer une équipe » écrit par Alain Astouric paru aux Éditions Chronique Sociale. (ISBN-10 : 2850089540, ISBN-13 : 978-2850089541). Prix : 14,50 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Chronique Sociale.

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Alain Astouric,Spécialiste de la com et des relations interpersonnelles : Conseil en pédagogie ; Conseil en management d'équipes ; Conseiller en communication. Auteur de : - Concevoir et gérer une formation ; - La tyrannie du marketing ; - Encadrer une équipe ; - Le management durableLes excès du marketing et de la pub ;  - La Sécurité-Spectacle des radars Son site: http://astouric.icioula.org/

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