Dessine-moi le monde après un accord commercial sino-américain

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 5 mars 2019 à 11h54
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6,5%Le ralentissement de la croissance du PIB reste minimal : entre 6,0% et 6,5% en 2019.

Le marché paraît vouloir passer à autre chose. Et de s’interroger sur les autres dimensions des relations entre les deux pays, sur la réalité du reflux des réflexes protectionnistes du Président Trump et sur le profil de la croissance mondiale à l’horizon des prochaines trimestres.

Marché : Huawei à suivre

Les marchés d’actions « reprennent leur souffle », après, il est vrai, un parcours résolument haussier depuis le début de l’année. Aux Etats-Unis, l’indice S&P 500 a fini la séance d’hier sur une baisse de 0,4% et ce matin en Asie, la bourse japonaise reproduit peu ou prou la performance américaine de la veille tandis qu’en Chine il aura fallu attendre les dernières minutes de cotation pour que l’indice CSI 300 enregistre une inflexion haussière. Celui-ci in fine gagne 0,6%. On peut avoir l’impression, même si c’est à confirmer, que les investisseurs sont en train de mettre derrière la « saga » des négociations commerciales sino-américaines. Un accord sera trouvé ; mais il ne réglera pas tous les aspects des relations entre les deux pays. Tout comme il ne garantit pas que la Maison Blanche soit dorénavant « vaccinée » contre les tentations protectionnistes.

Les deux points sont à suivre de près. Concernant le premier, le point d’attention immédiat est le dossier Huawei. Meng Wanzhou, la directrice financière, et fille du fondateur, est toujours sous la menace d’une extradition du Canada, où elle est en résidence surveillée, vers les Etats-Unis. L’entreprise chinoise, pour sa part, serait sur le point d’attaquer en justice la décision du gouvernement américain d’interdire aux agences fédérales d’acheter les équipements qu’elle produit. La question de l'extradition imbrique les dimensions juridique et politique, au point que toute décision de justice fera l’objet de polémique. D’un côté, Huawei aurait violé la loi américaine sur le commerce avec l’Iran ; de l’autre, le Président Trump s’est dit prêt à intervenir en faveur de Madame Meng, si cela facilite un accord avec Pékin. Il est certain que « laisser la justice suivre son cours », pour non-respect de la législation américaine, sera lue comme une décision influencée par des considérations politiques. Les relations entre les deux pays en porteront dans ce cas la trace. Interdire à Huawei l’accès au marché des administrations américaines est-elle une bonne politique ? Oui, peut-être, si c’est un moyen momentané de forcer l’entreprise à se conformer aux standards élevés, exigés d’un industriel de rang mondial ; non, assurément, si, dans un contexte d’économie mondiale ouverte, le but est d’empêcher un compétiteur chinois de se développer et ainsi d’entraver la montée en puissance de l’économie chinoise.

Les autorités confirment une politique de relance

La signature, espérée et probable, d’un accord commercial sino-américain sera-t-il le signe du reflux de la vague protectionniste en provenance de la Maison Blanche ? Le marché le souhaite ; mais il va rester attentif à tout signal montrant que cela pourrait ne pas être le cas. Il y a d’abord la question d’une éventuelle surtaxe sur les voitures européennes importées. Elle devrait être tranchée avant la mi-mai. Il y a ensuite, même si le sujet est probablement de moindre importance et aussi d’une nature différente, l’annonce faite hier que la Maison Blanche réfléchirait à supprimer les préférences commerciales accordées à l’Inde à la Turquie. Concernant ce premier pays, l'initiative s’expliquerait par les entraves mises à l’accès aux produits américains sur le marché intérieur. Pour ce qui est du second, son niveau de développement ne justifierait plus un traitement préférentiel. Une fois encore, les arguments présentés sont-ils de la plus haute objectivité ?

Toujours dans cette approche post accord sino-américain, le marché va interroger la capacité de l’économie mondiale à ré-accélérer. En la matière, les anticipations concernant la croissance chinoise sont au cœur du questionnement ; simplement au titre de la contribution importante de celle-ci à la performance totale tout au long des dernières années. Le discours du Premier ministre Li, mardi matin devant l’Assemblée nationale populaire, permet sans doute de caler les choses. Pour dire les choses de façon à la fois simple et un peu caricaturale, les autorités confirment une politique de relance, mais pour aboutir simplement à un ralentissement mesuré de la croissance économique. N’y a-t-il pas ici de quoi être un peu déçu ? En fait, l’objectif est certes de prendre des mesures de soutien à l’activité (dont la baisse de la TVA), mais sans pour autant afficher une volonté de revenir sur l’objectif structurel de contenir l’endettement du pays. Au final, il est prévu que d’une année à l’autre le ralentissement de la croissance du PIB reste minimal : entre 6,0% et 6,5% cette année après autour de 6,5% l’an passé. De quoi considérer que d’un trimestre à l’autre, il n’y aura pas d’accélération de la croissance.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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