Les natifs de l’IA

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Par Dominique Monera Publié le 22 août 2019 à 6h42
Generation Millenials Entreprises Adaptation

La génération Z, née après 1997 n’a connu que le monde avec Internet et pas le monde sans. La génération précédente, Y, née entre 1980 et 1997 a connu dans son enfance la domination du dieu papier, des livres et des dictionnaires, mais a rapidement adopté les smart phones et les réseaux sociaux. Ces deux générations sont considérées comme des natifs d’Internet. Ils sont jeunes et si Internet était une marque, ils en seraient l’égérie. Qu’un quinquagénaire revendique cette fonction et il sera aussitôt taxé d’usurpateur même s’il maîtrise parfaitement le digital.

Pour l’IA, nous assistons à un phénomène étonnant. Certes, les start ups du Big Data et des algorithmes regorgent de jeunes pousses mais un grand nombre de cadors de l’IA comme Laurent Alexandre, Yan Le Cun, Yoshua Bengio, Jean Gabriel Ganascia et Ray Kursweil, ont déjà ou vont très prochainement fêter leur soixantième printemps. Ce sont des références importantes que les médias réclament et que l’on écoute avec attention et souvent avec passion.

Ce sont incontestablement des natifs de l’IA. Mais pourquoi ?

Si l’on examine l’historique d’internet, nous sommes en présence d’un processus linéaire. Internet apparait, puis des moteurs sont créés pour y accéder et enfin des smartphones pour faciliter cet accès. Il y a un avant (jusqu’au début des années 90), puis une période de transition, et un après (à partir de la fin des années 2000). Ce processus va probablement encore évoluer mais il n’y a pas eu et il n’y aura certainement pas de retour en arrière. On a Internet et on va le garder, le chouchouter et l’améliorer, mais surtout pas l’éliminer. Il est donc naturel que les natifs d’Internet soient les générations YZ.

A l’opposé de la courbe d’évolution d’Internet régulière et croissante, celle de l’IA, née il y a 63 ans a connu au contraire une évolution en dents de scie et décrit un W. Son histoire est une aventure contrastée, jalonnée de périodes de fortes espérances et de désillusions. Sa création en 1956 laissait augurer le meilleur et l’IA a bien connu un âge d’or durant quelques années. La recherche a pu bénéficier de crédits considérables, justifiés par la perspective d’une brillante carrière. Malheureusement les promesses ne sont pas tenues. Parmi les désillusions, figurent l’échec des traductions automatiques de masse, les capacités limitées du perceptron et l’impuissance de la machine au jeu d’échec. La possibilité qu’une IA puisse vaincre le champion du monde avait été prédite à brève échéance.

Lassés, les organismes qui finançaient la recherche ont réduit leur concours. Les crédits se sont taris et une première période glaciaire s’installa jusqu’au début des années quatre-vingts. Progressivement, le développement des ordinateurs permet aux outils d’aide à la décision de se propager au sein des entreprises. Les premiers systèmes experts d’envergure font leur apparition. Qualifiée d’intelligence artificielle symbolique, cette IA est utilisée dans le domaine des risques bancaires, du diagnostic médical et des premiers jeux électroniques. Elle sera à l’origine de la victoire de DeepBlue (société d’IBM) sur le champion d’échecs Gary Kasparov en 1996.

Un autre courant de recherche, né dans les années cinquante, s’est intéressé au fait qu’un programme informatique puisse se corriger tout seul en confrontant ses prédictions à la réalité. Cette approche repose sur une représentation mathématique du comportement des neurones biologiques qu’elle organise en réseaux. La technique a été considérablement perfectionnée à la fin des années 80, pour donner naissance aux réseaux de neurones multi-couches. Les modèles mathématiques qui permettaient de la formaliser, firent l’objet de progrès significatifs à cette époque. Les réseaux de neurones pouvaient prédire des phénomènes complexes et surtout apprendre à s’améliorer sans aide extérieure.

Des résultats spectaculaires dans les domaines de la reconnaissance visuelle, vocale ou musicale...

L’IA semblait repartie vers de nouveaux sommets mais à la fin des années quatre-vingt-dix, une série de déceptions la plonge à nouveau dans l’indifférence. Les réseaux de neurones étaient trop instables et les systèmes experts trop rigides, ce qui entravait la construction d’une machine auto apprenante efficace. Une seconde période glaciaire semble s’établir durablement et sonner le glas de l’IA, jusqu’à ce que la puissance de calcul des ordinateurs atteigne le niveau nécessaire pour offrir aux algorithmes le terrain de jeu qu’ils attendaient.

S’il fallait définir un point névralgique, on peut le situer aux alentours de l’année 2013, année où le marché a réellement découvert le Big Data. Les développements se sont accélérés depuis. Des résultats spectaculaires ont été obtenus dans les domaines de la reconnaissance visuelle, vocale ou musicale et dans celui des traductions de textes. Des véhicules autonomes roulent déjà en Amérique et en Chine. L’IA challenge les diagnostics médicaux. Les campagnes marketing baissent en intensité au profit d’une gestion de la relation client hyper personnalisée. Les centres de tris s’automatisent. Les pannes s’anticipent mieux. Des robots répondent à nos emails. Des assistants virtuels nous épaulent au bureau et dans nos maisons. Amazon teste des magasins sans caisses. L’Arabie Saoudite donne la nationalité à un robot androïde…

Il a donc fallu attendre 30 ans pour que des découvertes que les revues scientifiques refusaient de publier à l’époque, deviennent les locomotives de l’IA actuelle. Il est donc logique que l’évolution en W de l’IA fasse apparaître deux cohortes de natifs, séparées de plusieurs dizaines d’années. Tout comme la génération Z et la partie la plus jeune de la génération Y, qui produisent nos data scientists actuels, les trentenaires des années 80, dont je fais personnellement partie, sont bien des natifs de l’IA.

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Dominique Monera est docteur en Finance et titulaire d'un Master II de mathématiques appliquées. Au cours de son parcours comme cadre dirigeant au sein du secteur financier (Etablissement de crédit, banque et assurance), il a créé et dirigé plusieurs équipes d'ingénieurs et mis en place un grand nombre d'algorithmes dans les domaines du risque, du marketing et de la relation client. Il a fondé l'IA ACADEMIE, organisme de conseil et de formation à destination des managers, sur les sujets relevant de l'Intelligence Artificielle. Dominique Monera est l'auteur de « l'Intelligence Artificielle et le Management » paru en mars 2019 aux éditions Eyrolles. 

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