L’antithèse de la fiche de paie vérité fait son apparition sous la forme de fiche de paie simplifiée

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Par Jacques Bichot Modifié le 29 novembre 2022 à 10h08

La mauvaise simplification chasse la bonne. La feuille de paie simplifiée telle qu'elle est prévue pour 2016 est un exemple important de cette variante de la loi de Gresham.

La loi de Gresham concernait initialement la monnaie : la mauvaise monnaie métallique (rognée ou de titre insuffisant, voire contrefaite) prenait dans la circulation la place de la bonne monnaie, car elle brûlait les doigts de ceux qui en avaient reçu. Il en va de même, mutatis mutandis, pour les réformes : comme nous avons eu l'occasion de l'écrire ici même, les réformes bâclées, inutiles, voire nuisibles, sont les pires ennemis des réformes nécessaires et bien préparées, car il n'est pas possible d'effectuer un trop grand nombre de changements, si bien que le terrain occupé par les réformettes est autant de perdu pour les vraies réformes. La "fiche de paie simplifiée" prévue pour 2016 illustre cette propriété générale.

Cette nouvelle fiche devrait ramener le nombre de lignes, actuellement compris entre 25 et 30, aux environs de 15. Pour ce faire, elle ne comportera plus la mention des cotisations dites "patronales", comme si celles-ci ne concernaient pas les salariés. Cette façon de faire accréditera la fable, dénoncée par la plupart des économistes, selon laquelle les cotisations patronales ne seraient pas autant d'argent soustrait au salaire net. Selon cette fable, les employeurs seraient seuls à supporter les cotisations dites patronales, celles-ci n'intervenant pas dans le passage du salaire brut au salaire net.

Mais les comparaisons internationales comme le raisonnement montrent que le prix du travail est le salaire dit "super-brut", somme du salaire brut et des cotisations patronales : là où ces dernières sont inférieures à leur niveau français, le salaire net est plus élevé, et les salariés sont ou bien davantage imposés sur le revenu, ou bien moins correctement couverts par les assurances sociales, et donc amenés à payer sur leur salaire net diverses cotisations ou primes pour compléter leur couverture sociale obligatoire.

Supprimer la mention des "charges patronales" consiste donc à priver le salarié d'une information indispensable concernant le coût réel de la sécurité sociale – un coût qu'il supporte pourtant inévitablement. Autrement dit, le nouveau bulletin de salaire sera mensonger, comme une pièce de monnaie métallique contenant moins de métal précieux qu'elle ne devrait selon la loi. Pour prendre une comparaison ménagère, les pouvoirs publics se proposent de pousser la poussière sous le tapis, pour donner à la pièce l'apparence de la propreté. On sait que ce n'est pas ainsi que l'on empêche le développement des acariens !

Mais il y a plus. La réforme réellement simplificatrice à laquelle il conviendrait de procéder est la suppression des cotisations patronales, remplacées par une augmentation du salaire brut (qui deviendrait égal au super-brut) et une augmentation des cotisations salariales calibrée de telle manière que ne change ni le salaire net ni les ressources des organismes sociaux.

Ce changement comporterait de plus un regroupement des cotisations actuelles en seulement quatre : assurance maladie, assurance chômage, redevance vieillesse, investissement dans la jeunesse. La simplicité ne serait pas seulement de façade (diminution du nombre de caractères imprimés), mais d'organisation réelle de la protection sociale, dont la réforme est indispensable.

Au lieu de pousser la poussière sous le tapis, on rationaliserait l'aménagement du logement de façon à ce que sa propreté soit beaucoup plus facile à obtenir en permanence.

Cette réforme nécessaire, qui doterait la France d'une sécurité sociale en avance sur celle de ses concurrents, et boosterait de ce fait sa compétitivité, est évidemment impossible à préparer si les services sont occupés à mettre en place des réformes-gadgets comme cette simplification de la fiche de paie obtenue par simple mutilation de l'information qu'elle transmet.

De plus, la pseudo-réforme va coûter cher aux employeurs, obligés de changer leurs logiciels de paie ; ils n'auront nulle envie de recommencer à en changer deux ou trois ans plus tard, cette fois pour une bonne raison. Autrement dit, à supposer que l'opposition actuelle décide de réaliser les réformes nécessaires au cas où les urnes lui seraient favorables en 2017, cette réformette inutile lui savonnerait la planche, rendant nettement plus difficile de faire accepter une nouvelle réforme sur le même sujet.

Hélas, les réformettes du type de cette fausse simplification de la fiche de paie sont légion. Nos gouvernants, de droite comme de gauche, ont depuis plusieurs décennies pris l'habitude de saturer le pays de changements inutiles, parce que leur conception et leur mise en oeuvre ne requièrent pas grande compétence. Il en résulte qu'il n'y a plus d'énergie disponible pour les réformes dont nous aurions véritablement besoin, notamment dans les domaines de la protection sociale, de la fiscalité, du droit du travail et du droit pénal, quatre secteurs agités par un mouvement brownien législatif et réglementaire qui occupe une place de premier rang dans le déclin de notre malheureux pays.

Article initialement publié sur Le Cercle Les Echos et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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