Offre publique en vue d’un retrait : attention à ne pas être trop gourmand

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Par Philippe Get Modifié le 15 juin 2021 à 10h43
Offre Publique Retrait

Depuis quelques années, en cas d’offre publique d’achat en vue d’un retrait de la cote, une tendance nouvelle est apparue, le refus de certains minoritaires, actionnaires individuels ou gestionnaires de fonds d’apporter leurs titres, accompagnés parfois par des non-actionnaires se positionnant à l’achat au-dessus du prix de l’offre dans l’espoir qu’une deuxième Offre Publique d’Achat (OPA) plus généreuse, donc à un prix plus élevé, soit lancée ultérieurement.

Traditionnellement, les porteurs de titres apportaient massivement leurs actions à l’offre, car ils savaient qu’en général, le cours rebaissait après la clôture de l’OPA et la liquidité devenait anémique. Parfois, mais cela restait l’exception, un ou plusieurs institutionnels se constituaient une position représentant plus de 5% du capital et n’apportaient pas à l’offre avec pour objectif de bloquer le retrait obligatoire et de forcer l’actionnaire majoritaire à relever son prix.

C’est notamment dans ce contexte, et avec l’idée que des possibilités limitées de sorties de cote étaient de nature à dissuader les demandes d’admission, que la loi PACTE du 22 mai 2019 a abaissé le seuil à atteindre par un actionnaire majoritaire pour lancer une procédure de retrait obligatoire d’une société cotée de 95 % à 90 %, l’abaissement de ce seuil devant faciliter l’offre de retrait et rendre plus difficiles les tentatives de blocage.

De ce fait se pose désormais, à chaque offre publique d’achat, la question d’apporter ou de ne pas apporter ses titres à l’offre, voire de se porter acheteur sur le marché à un cours supérieur à celui de l’offre. C’est notamment la question qui se pose aujourd’hui aux porteurs d’actions Natixis et à laquelle ils devront répondre en se fondant en priorité sur les critères classiques que sont le prix de l’offre, le cours de bourse, la conjoncture boursière, et en évaluant les chances de succès ou d’échec de l’offre.

Le prix de 4€ par action proposée pour les actions Natixis fait apparaitre une prime importante aussi bien par rapport aux valorisations des analystes que par rapport aux cours de bourse avant l’annonce de l’offre :

- +18% par rapport au cours de clôture de Natixis avant l’annonce de l’offre ;

- +43% par rapport au cours moyen de Natixis (pondéré par les volumes) des 60 jours de cotation précédent l’annonce de l’offre ;

- Entre +52% et +97% par rapport aux valorisations résultant des méthodes analogiques ;

- Entre +9% et +41% par rapport aux valorisations résultant des méthodes intrinsèques ;

- +38% par rapport au multiple moyen de résultat net 2022E des banques françaises, en date du 25 mai 2021 ; et

- +40% par rapport au multiple moyen d’actif net tangible (reporté au T1 2021) des banques françaises, en date du 25 mai 2021.

Ce prix de 4€ est supérieur aux 30 références de valorisation, comprises entre 2,1€/action et 3,8€/action, présentées par l’expert indépendant dont le rapport est disponible sur les sites internet de Natixis et de l’AMF, et ne laisse que peu d’espoir aux partisans d’un prix supérieur à 4€.

Le cours de bourse après l’annonce du prix de l’offre est un autre indicateur central dans la mesure où il permet d’apprécier si le prix proposé par l’initiateur de l’offre et accepté par l’expert indépendant, est validé ou non par le marché, un cours de bourse supérieur au prix de l’offre étant le signe indubitable de prise de position à l’achat en vue de constituer une minorité de blocage de la procédure de retrait. En l’occurrence, le constat est sans appel, la stabilité du cours à 4€ après l’annonce de l’offre met en évidence l’acceptation par le marché du prix proposé.

La conjoncture boursière est un troisième critère d’appréciation également essentiel selon que l’on se trouve en haut ou en bas de cycle. Il est évident qu’un effondrement des cours tel qu’il a pu se produire au début de la crise sanitaire peut constituer une fenêtre d’opportunité pour offrir une prime généreuse tout en proposant un prix modéré. Deux primes d’égal montant n’ont pas la même valeur selon que l’on se situe en haut ou en bas de cycle. Dans la conjoncture boursière actuelle, si l’on peut hésiter entre la réalité d’un haut de cycle ou la poursuite de la hausse des cours, l’hypothèse d’un bas de cycle et d’un éventuel effet d’aubaine pour l’initiateur de l’offre est en revanche exclue.

Si l’on regarde enfin les expériences passées, on constate que très rares ont été les démarches couronnées de succès au terme de laquelle l’actionnaire majoritaire, initiateur de l’offre a relancé une nouvelle offre à un prix augmenté. Le succès de référence constamment mise en avant est celui de l’offre CEGID avec une première offre à un prix de 62,25 euros par action en avril 2016 puis une seconde offre à un prix de 85 euros par action en mai 2017. La réalité est que cette référence est restée et restera probablement quasiment unique. Avec le nouveau seuil de 90%, tel qu’il résulte désormais de la loi PACTE, la seconde offre ne serait pas intervenue. En effet l’actionnaire majoritaire détenait déjà 90,80% du capital et 90,40% des droits de vote au terme de la première offre. Il n’aurait donc pas eu besoin de lancer une seconde offre et aurait pu engager la procédure de retrait obligatoire au prix de la première offre, à savoir 62,25 euros par action. En tout état de cause, dans le cas particulier de l’offre du Groupe BPCE sur Natixis, la structure simplifiée non centralisée de l’offre empêche tout relèvement de prix par l’initiateur durant la période d’offre, les titres étant apportés par les actionnaires au fil de l’eau entre l’ouverture et la fermeture de l’offre.

La conclusion est sans appel. Garder ses actions et ne pas les apporter à une offre d’achat en vue d’un retrait, ou encore plus risqué, se porter acquéreur en période d’offre à un prix supérieur, est une démarche qui doit être mûrement réfléchie et rester exceptionnelle. Cette démarche s’accompagne par ailleurs d’une prise de risque, celle de rester actionnaire d’une société ayant un flottant très réduit pour un temps potentiellement long, comme ce fut le cas par exemple de la banque CIC (détenue elle aussi pour un groupe bancaire mutualiste, le groupe Crédit Mutuel) qui est restée cotée pendant presque 20 ans avec un flottant oscillant entre 5% et 10% avant que le Crédit Mutuel décide finalement de racheter les minoritaires en 2017.

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