L’Opéra Comique, une programmation audacieuse qui rencontre le succès

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Par Philippe Herlin Modifié le 16 janvier 2015 à 13h41

L'Opéra Comique fête cette saison le tricentenaire de sa fondation avec une programmation d'une grande richesse. Aucun "tube" ne figure à l'affiche, pas de Traviata, de Carmen, de Tosca ou de Don Giovanni, pourtant le public est au rendez-vous, comment expliquer ce succès ?

Faisons un peu d'économie. Sur un marché concurrentiel, l'offre et de la demande entrent en adéquation, le marché "répond aux besoins" nous disent les économistes. Mais en y regardant de plus près, les choses ne sont pas forcément aussi simples, et pour cela il faut se tourner vers les entrepreneurs. Il faut répondre aux besoins des clients, tel est l'idée générale la plus répandue bien sûr, mais des trublions s'attachent aussi à créer des produits que personne n'attend, à prendre le contre-pied de la "demande" telle que la majorité des entreprises se la représentent. C'est le cas de Steve Jobs, par exemple, qui affirmait ne jamais faire d'étude de marché et citait souvent ce mot d'Henri Ford : "Si j'avais demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils auraient répondu 'un cheval plus rapide', pas une voiture." Nombre de produits courants que nous utilisons n'étaient attendus par personne : pour une part, l'offre crée sa demande ex nihilo.

Cette démarche se révèle bien plus risquée et le "flop" survient souvent, mais parfois ça marche. C'est le cas de l'Opéra Comique qui programme depuis quelques années, sous l'impulsion de son directeur Jérôme Deschamps, des ouvrages que personne n'attend ou presque, pour la plupart, tant ils sont tombés dans l'oubli, même des lyricomanes assidus. Cette saison propose ainsi des titres aussi méconnus que "Les Mousquetaires au couvent" de Louis Varney, "Ciboulette" de Reynaldo Hahn, "Le Pré aux clercs" de Ferdinand Herold, "Au Monde" de Philippe Boesmans, "La Chauve-souris" de Johann Strauss, célèbre dans l'espace germanophone mais méconnu de ce côté du Rhin et, à la fin janvier, "Les Fêtes vénitiennes" de Campra. Ce dernier opéra, crée en 1710, n'a jamais été redonné sur une scène française depuis 1776. Pourtant, ne cherchez pas de place, les six représentations sont complètes (sur Internet, il reste peut être des places au guichet le jour même), même les places à 120 euros sont parties.

L'objectif consiste ici à remettre à l'honneur le répertoire de l'opérette et de l'opéra comique, pour une grande part oublié depuis plusieurs décennies, et le public suit : le taux de remplissage des opéras s'élève à 89% selon le dernier rapport d'activité. L'amateur qui souhaite explorer cette riche tradition pourra d'ailleurs se plonger dans les archives de l'Opéra Comique qui viennent d'être numérisées et mises en ligne grâce à une opération de mécénat. Cette combinaison de redécouvertes ancrées dans une tradition qui s'était étiolée, et d'interprètes de haut niveau est parvenu à fidéliser un large public. La prise de risque a payé et elle démontre qu'une offre à laquelle le public ne s'attend pas peut tout de même convaincre. L'entrepreneuriat ne va pas sans audace.

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Philippe Herlin est économiste, Docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers, il a publié plusieurs ouvrages chez Eyrolles et rédige des chroniques hebdomadaires pour Goldbroker. Il écrit tous les vendredis un article sur l'art et la culture vus à travers l'économie, et intervient ponctuellement sur d'autres sujets. Son site : philippeherlin.com.

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