Crise du Covid-19 : lorsqu’un local commercial est fermé, qu’advient-il de l’obligation de paiement du loyer ?

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Par Patrice Grenier Publié le 27 mai 2020 à 5h55
Villefranche Sur Mer Commerces
1500 EUROSLes aides pour les indépendants sont d'un maximum de 1.500 euros par mois.

À l’heure où de nombreux établissements commerciaux sont fermés (restaurants, bars…), que prévoit la loi concernant le paiement des loyers commerciaux et professionnels en cette période de crise sanitaire ?

Au carrefour de textes spécifiques à la période et du droit commun, le cabinet Grenier avocats décrypte comment s’applique l’obligation de payer ces loyers et la nuance entre non-paiement et neutralisation des sanctions associées à un retard ou à un non-paiement.

Dès l’annonce du confinement le 16 mars dernier, la suspension des loyers des plus petites entreprises a été abordée dans le discours présidentiel. Or, si des bailleurs ont renoncé au recouvrement des loyers, certains n’ont pas encore franchi le pas et d’autres, souvent de grands bailleurs institutionnels, veulent le maintien des loyers, mais demandent une loi aménageant montants et modalités de paiement. Après deux mois de confinement et la promulgation de lois d’urgence, qu’est-il possible de ne pas payer, ou de payer en retard sans sanction en matière de loyer professionnel et commercial ?

Texte spécifique à la période

Concernant les loyers commerciaux et professionnels, un texte spécifique est entré en vigueur dés le mois de mars : l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, complétée par le décret n°2020-378 du 31 mars 2020.

Ce texte ne fait pas état d’un report ou d’un étalement du paiement des loyers tels que prévus par la loi d’urgence 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid19. En effet, l’ordonnance du 25 mars circonscrit le champ d’application de cette mesure à une mise à l’écart de certaines sanctions liées au non-paiement des loyers et des charges locatives, notamment à son article 4 visant les loyers et charges locatives afférentes aux locaux professionnels ou commerciaux. Ainsi, le texte paralyse les pénalités, les clauses résolutoires et « l’activation des garanties ou caution » en cas de non-paiement des loyers et charges locatives à échéance entre le 12 mars et le 24 juillet 2020 – à noter qu’il ne s’agit donc pas de la période pour laquelle les loyers et charges sont dus. Autrement dit : les loyers et charges semblent rester dus pour la période couverte par ce dispositif.

Une application sous condition

De plus, l’application de cette « paralysie des pénalités » est soumise à condition : elle ne concerne que les petites entreprises bénéficiaires du fonds de solidarité. Précisément, pour pouvoir bénéficier des mesures prévues par l’ordonnance, le locataire doit entrer dans son champ d’application ratione personae, avoir déposé une demande d’aide avant le 30 avril 2020 par voie dématérialisée (article 3 du décret n°2020-371) et la communiquer[i].

Ainsi, la neutralisation des pénalités pour non-paiement du loyer professionnel ne peut concerner que les sociétés de dix employés et 60 000 euros de bénéfice imposable maximum, dont l’activité a cessé (fermeture d’un commerce notamment) ou enregistrant une perte de plus de 50 % du chiffre d’affaires du fait du Covid-19.

Les mécanismes de droit commun en renfort

Si les textes spécifiques à la crise sanitaire n’offrent pas tous les recours espérés pour éviter la charge d’un loyer quand le chiffre d’affaires est en berne, plusieurs mécanismes de droit commun peuvent ouvrir une issue. Parmi ceux-ci figurent la très commentée force majeure (article 1218 du code civil) et la révision pour imprévision. Autre recours : les délais de grâce qui doivent être motivés et demandés au juge.

L’exception d’inexécution mérite une attention particulière par les locataires professionnels en difficulté. Elle s’appuie sur l’obligation continue de délivrance de la part du bailleur, prévue aux articles 1170 et 1719 du code civil. Or, dans le cas de locaux réglementairement contraints à la fermeture, dans lesquels le locataire (« le preneur ») n’est plus autorisé à exercer son activité, le bailleur ne peut plus respecter cette obligation de délivrance des locaux, même si la fermeture n’est pas de son fait. En effet, dans ce cas, la cause d’inexécution est indifférente et seul le résultat compte : le locataire ne peut plus jouir des locaux. D’où une atteinte même à la substance du contrat. Dès lors, le mécanisme de l’exception d’inexécution peut permettre de conclure à l’extinction de l’obligation de paiement des loyers pendant la période de fermeture.

En conclusion, il ne peut y avoir de réponse tranchée à la question de savoir s’il convient de payer on non les loyers des locaux commerciaux fermés. L’incertitude reste donc entière quant au sort de ces loyers et il convient de procéder au cas par cas avec l’éclairage d’un conseil d’expert.

[i] Critères d’octroi d’aide par le fonds de solidarité : être une personnes physiques ou morales de droit privé (résidentes fiscales françaises et exerçant une activité économique) dont l’effectif est inférieur ou égal à dix salarié, dont le montant du chiffre d’affaires est inférieur à un million d’euros, dont le bénéfice imposable n’excède pas 60 000 euros et ayant fait alternativement soit l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, soit ayant subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50% en mars 2020 par rapport à mars 2019.

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Avocat au Barreau de Paris depuis 1990, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Science Po), titulaire d’un troisième cycle de droit de l’Université Paris II, Patrice Grenier est un expert de la pratique juridique des enjeux industriels, aussi bien en France qu’à l’international. Il est membre de l’Association Française d’Arbitrage (AFA), de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) ainsi que de l’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise (AMRAE). Il a été nommé, en tant que personnalité indépendante, par un grand groupe industriel français présent dans plus de 50 pays pour présider son Comité d’audit éthique.

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