Un parallèle franco-allemand : quand la peur est mauvaise conseillère

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Par Jean-Pierre Riou Modifié le 29 novembre 2022 à 9h23
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248gCO²/kWhSelon le rapport EMBER, le contenu carbone attendu pour l'Allemagne en 2030 est de 248gCO2/kWh

Les débats présidentiels ne sauraient faire l’impasse sur la problématique qui lie l’énergie au
climat. Celle du climat cristallise les angoisses, celle de l’énergie réveille les fantasmes. Or, si une politique énergétique éclairée et de long terme est nécessaire, les concessions à l’électoralisme seront d’autant plus dangereuses que les électeurs seront mal informés.

Agitant le spectre du risque nucléaire et d’une planète bientôt en feu, des sauveurs de tout poil tentent de justifier les programmes politiques les plus fantaisistes et se bousculent dans les médias, réseaux sociaux et rassemblements divers.

Or, si la problématique de l’énergie et celle du climat sont intimement liées et largement diffusées auprès du grand public, un fossé sépare le niveau de popularité entre les 2 émanations des Nations unies que sont les groupes d’experts internationaux : du GIEC pour le climat et de l’UNSCEAR pour les effets des rayonnements ionisants.

Le GIEC

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, ou Intergovernmental Panel on Climate Change : IPCC) a été créé en 1988 « en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade ». Il a été créé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et par l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

Ses évaluations sont notamment rédigées à l’intention des décideurs afin d’éclairer leurs politiques.

Le sens de leurs conclusions est largement porté à la connaissance du public, afin de lui faire comprendre les enjeux des politiques climatiques.

L’UNSCEAR

Le Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR ou United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) a été créé par l'Assemblée générale des Nations unies en 1955. « Son mandat au sein du système des Nations unies est d'évaluer et de signaler les niveaux et les effets de l'exposition aux rayonnements ionisants. Les gouvernements et les organisations du monde entier s'appuient sur les estimations du Comité comme base scientifique pour évaluer le risque radiologique et pour établir des mesures de protection ».

Pourtant, si les conclusions du GIEC sont familières au grand public, qui lui sont quotidiennement rappelées par les médias, les travaux et l’existence même de l’UNSCEAR restent clairement plus confidentiels.

C’est la raison pour laquelle le 9 décembre 2015 l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution A/RES /70/81 «[…] considérant la grande qualité des travaux du comité scientifique » [sur les effets des rayonnements ionisants] qui "encourage le secrétariat du Comité à diffuser les conclusions de ses examens systématiques, en particulier auprès du public".

En effet, les accidents de Tchernobyl et de Fukushima ont été commentés d’une façon d’autant plus fantaisiste qu’ils ont constitué le fonds de commerce des marchands de peur et une occasion privilégiée de recrutement dans les rangs des antinucléaires historiques.

L’alerte récente des premières conclusions du 6ème cycle d’évaluation du GIEC, ainsi que la lenteur de la décarbonation du mix électrique de notre « modèle » allemand ne manqueront pas d’inviter l’énergie nucléaire dans les débats présidentiels de 2022. Et les travaux de l’UNSCEAR représentent une référence dont la qualité ne saurait être mise en doute, à condition toutefois que ses conclusions ne soient pas occultées.

Retour sur Fukushima : Rapport 2013

Après 2 ans de travail, le rapport UNSCEAR 2013 « Niveaux et effets de l'exposition aux rayonnements dus à l'accident nucléaire après le grand tremblement de terre et tsunami de 2011 au Japon » avait été divisé en 6 domaines thématiques : rejets de radionucléides dans l'atmosphère, dispersion et dépôt ; Rejets de radionucléides dans l'eau, dispersion et dépôt ; Évaluation des doses pour le public ; Évaluation des doses pour les travailleurs ; Implications pour la santé des travailleurs et du public ; et Évaluation des doses et des effets pour le biote non humain.

Dix-huit États membres des Nations unies avaient fourni plus de 80 experts pour effectuer ce travail analytique.

Les principales conclusions de ce rapport (The Fukushima-Daiichi Nuclear Power Station Accident: An overview) étaient (voir Further information on the 2013 Report : main finding)

- Les taux de cancer resteront stables

- Risque théorique accru de cancer de la thyroïde chez les enfants les plus exposés

- Aucun impact sur les malformations congénitales/effets héréditaires

- Aucune augmentation perceptible des taux de cancer chez les travailleurs

- Impact temporaire sur la faune

Rapport 2020

Après avoir pris acte du fait que les nombreuses expertises publiées depuis avaient établi que les niveaux d’exposition avaient été surestimés à titre conservatoire. (As more information became available with time, there was increasing evidence that some of the doses to the public set out in the 2013 Fukushima Report were overestimated, with those from ingestion significantly so), l’UNSCEAR a entrepris 2 années de travail supplémentaires destinées à publier une mise à jour du rapport en 2020.

Ce rapport 2020 mentionne notamment (p 197) que l’accident avait entraîné l’exposition à une dose de rayonnement comprise entre 0,2mSv et 10mSv pour la première année d’exposition des habitants de la préfecture de Fukushima, et entre 0,3mSv et 3mSv sur la moyenne des 10 premières années. Ainsi qu’une exposition comprise entre 0,05mSv et 6mSv, pour les populations évacuées.

Les travailleurs dans la centrales ont été exposés en moyenne à 13mSv la première année puis à une dose décroissant jusqu’à une fourchette de 2 à 6mSv en 2020.

Pour comparaison, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) évalue l’exposition moyenne des Français à 4,5mSv par an, dont 1,6mSv pour l’imagerie médicale et 1,43mSv pour le rayonnement naturel du radon.

L’IRSN rappelle que la dose autorisée pour les travailleurs du nucléaire est de 20mSv et recommande l’évacuation à partir de 50mSv.

Effets collatéraux du principe de précaution

On considère que le tsunami a entrainé 20 000 morts directes.

Le rapport UNSCEAR 2013 mentionnait explicitement que l’accident du réacteur n’avait entraîné aucun décès ni syndrome aigu lié à son caractère nucléaire. (No radiation-related deaths or acute diseases have been observed among the workers and general public exposed to radiation from the accident)

Selon l’IRSN, plus de 120 000 personnes ont été déplacées sur le critère d’une exposition locale supérieure à 20mSv, et plus de 40 000 ont choisi volontairement de quitter leur domicile par peur de la contamination.

En plus des problèmes sanitaires, notamment sur la santé mentale des populations déplacées, le bilan de cette évacuation est estimé à plus de 1600 morts.

Malgré le fait que ces populations résidaient dans les zones les plus contaminées, le bilan dramatique de leur évacuation peut évoquer l’idée qu’à l’instar du principe de précaution, la peur n’est pas toujours bonne conseillère.

Rayonnements ionisants et production électrique

En 2016, l’UNSCEAR a publié un rapport sur les « Sources effets et risques » des rayonnements ionisants » qui se penche notamment sur l’exposition liée à la production d’électricité, qu’il détaille dans ses annexes. Et résume p13 [n°48], que la plus forte exposition concerne les travailleurs de l’extraction du charbon et, de façon contre-intuitive, conclut qu’en tenant compte de la phase de construction, l’exposition la plus importante des travailleurs par unité d’énergie produite concerne la filière de l’énergie solaire, suivie par celle de l’éolien, en raison de l’extraction des minéraux nécessaires.

Concernant la dose totale reçue par l’ensemble de la population (dont les travailleurs) au niveau mondial, et rapportée à l’unité d’énergie produite (en 2010) [p 13 n°49], le cycle de production par le charbon entraîne une exposition aux rayonnements ionisants supérieure à celui du nucléaire, même en intégrant la permanence des radionucléides concernés pendant 500 ans.

Le propos n’est pas de nier l’importance du risque lié à l’exploitation de l’énergie nucléaire. Mais de le remettre sur une échelle objective et quantifiée pour en comparer le ratio bénéfice/risque, notamment avec une rupture de barrage hydraulique ou tout autre catastrophe de type AZF, Seveso ou celle de Bhopal, dont le poison tuait encore en 2014, 30 ans après l’accident qui fit plus de 20 000 morts.

Cependant personne n’a revendiqué la sortie de l’hydraulique ou de la chimie.

Mais la véritable apocalypse de l’explosion d’une bombe nucléaire, dont le principe est pourtant physiquement impossible dans une centrale nucléaire, ainsi que l’angoisse de la mort invisible liée aux rayonnements ionisants, pourtant naturels, marque autrement plus les esprits que les effets des centrales au charbon/lignite alors qu’elles provoquent bien davantage de décès par leurs diverses émissions toxiques, dont celles d’arsenic que l’excellent site de l’Institut Fraunhofer illustre ci-dessous pour les centrales au lignite allemandes.

Lenteur de notre « modèle » allemand

Mais par peur de l’atome, l’Allemagne a privilégié la sortie du nucléaire à celle du charbon, et prévoit de fermer ses 8,11GW nucléaires en 2022, alors qu’elle en exploitait 22,43GW en 2002, et repousse à 2038 son objectif de sortie du charbon.

En toute logique, la décarbonation de son mix électrique en est ainsi ralentie, puisque, d’après les données du GIEC (annexe 3 p7) le facteur d’émissions médian du nucléaire est de 12gCO2/kWh, celui de l’éolien de 11gCO2/kWh, du solaire de 48gCO2/kWh, mais surtout de 490gCO2/kWh pour le gaz et 820gCO2/kWh pour le charbon qui restent nécessaires quand le vent ou la nuit tombent.

C’est ainsi qu’en 2020, l’Allemagne avait annoncé une part prépondérante d’énergies renouvelables (50,9%) grâce à l’éolien qui devenait la première source de production d’électricité (27%), tandis que l’année 2021 n’augure aucun progrès, puisque cet éolien n’aura produit que 79,06TWh sur les 9 premiers mois, contre 94,57TWh sur la même période 2020, selon les données de l’Institut Fraunhofer.

Et le charbon/lignite est repassé en première position en 2021 avec 30,1% de la production d’électricité.

Les mauvais élèves

Le rapport EMBER de 2020 analyse l’évolution des différents mix électriques de l’Union européenne.

Et dénonce la lenteur des progrès allemands au sein des principaux pays qui, selon lui, « bloquent la transition énergétique de l’UE » et dont l’illustration ci-dessous reproduit les attentes pour 2030.

L’Allemagne prévoit pourtant de multiplier par 6 sa puissance intermittente installée (éolien + PV) d’ici 2050 dans le scénario de référence de l’Institut Fraunhofer. Et, dans ce même scénario, prévoit malheureusement de doubler sa puissance pilotable, avec 158,6GW de centrales à gaz (dont CH4 et H2) contre 73,41GW en 2020.

Or, quelles que soient les avancées technologiques allemandes espérées d’ici là sur ces « gaz verts », ou la faiblesse espérée des taux de charge de ces centrales à gaz, on ne peut ignorer la mise en service imminente du Gazoduc Nord Stream 2 qui a divisé l’Europe pour relier directement GAZPROM Germania à sa maison mère de Saint-Petersbourg.

C’est pourquoi les 248gCO2/kWh allemands attendus à horizon 2030 par le rapport EMBER font piètre figure en regard des 22gCO2/kWh prévus pour la France, et qui ne représenteront pourtant qu’un progrès insignifiant par rapport aux performances actuelles du mix français, c'est-à-dire 34,2gCO2/kWh en 2020, avec 17,1MtCO2 pour 500,1TWh, selon RTE.

Pour compléter cette comparaison, notons que le Bureau fédéral de l’Environnement allemand a chiffré en 2021 la composante carbone de l’électricité allemande à 408gCO2/kWh en 2019 et l’a estimée à 366gCO2/kWh pour 2020.

Année 2020 dont nous venons de voir la générosité remarquable, mais non renouvelée en 2021, de la production des éoliennes allemandes.

Notons que ce rapport de plus de 1 à 10 avec le kWh français ne peut pas cependant être repris avec rigueur, dans la mesure où la méthodologie de calcul allemande reste à comparer avec celle de RTE.

Pour autant, ces chiffres donnent une idée assez claire des situations respectives.

La grande manipulation

Il est permis de contester les rapports de l’UNSCEAR, comme il est permis de contester ceux du GIEC.

Mais les conclusions de ces 2 groupes d’experts internationaux émanant des Nations unies ne sauraient être remplacés sans dommage par les chiffons rouges agités par des ONG ou associations diverses qui militent depuis leur origine contre le nucléaire civil après l’avoir fait contre le militaire.

D’autre part, il est troublant d’observer des intérêts étrangers qui tiennent à expliquer aux français qu’ils sont favorables aux éoliennes ou à agiter les risques du nucléaire qui serait ruineux, en multipliant les sondages dans l’Hexagone, comme le fait notamment la fondation politique allemande Heinrich Böll, affiliée au parti Alliance 90/Les verts.

L'École de guerre économique est un établissement d'enseignement supérieur français, fondé en 1997, spécialisé dans l'intelligence économique. En mai 2021 elle a publié une édifiante analyse :

« Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »

Cette analyse observe les manœuvres allemandes destinées à verrouiller les postes clés des instances européennes et l’activisme de son lobbying auprès de l’U.E pour favoriser les intérêts de l’Energiewende en s’efforçant d’influer sur les décisions européennes, notamment au sujet de l’inclusion, ou non, du nucléaire parmi les bénéficiaires de la « finance verte ».

C’est avec cet éclairage qu’il faut d’ailleurs comprendre la question au Gouvernement de la Sénatrice A.C. Loisier sur la présence d’industriels allemands des énergies renouvelables au sein même du ministère de l’écologie alors que les intérêts de la France dans ce domaine ne sont manifestement pas ceux de l’Allemagne.

Lors des débats présidentiels, la qualité des informations choisies et la bonne compréhension des enjeux par les électeurs seront déterminantes pour l’avenir du pays.

Quel que soit le type de société désiré, un certain nombre d’« évidences électriques », développées dans un précédent article, devront être connues, afin de comprendre comment l’avenir de la France sera intimement lié à sa production d’énergie.

Afin qu’au moins on nous épargne le poncif du retard qu’aurait la France sur l’Allemagne quant au développement de ses énergies renouvelables.

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Jean Pierre Riou est chroniqueur indépendant sur l'énergie Membre du bureau énergie du collectif Science Technologies Actions Rédacteur du blog lemontchampot.blogspot.com

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