Contrôle des chômeurs ou contrôle des politiques ?

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Par Pascal de Lima Publié le 5 septembre 2014 à 2h55

Sans entrer dans un débat de personne qui n'intéresse finalement pas grand monde, l'idée d'un contrôle des chômeurs pose-t-elle une question de fonds qui mérite deux minutes de réflexion ? On fait l'hypothèse d'un individu normal qui n'est pas en dépression etc...il n'est pas anormal de contrôler les chômeurs et de sanctionner ceux qui abusent du système sans rien faire pour se réinsérer, sans rien engager comme action concrète de recherche d'emploi. Gardes toi le ciel t'aidera, c'est quand même un bon premier principe. Et si de plus amples développements sont nécessaires pour démontrer une telle évidence c'est bien qu'on a un souci face à la notion de responsabilité en France et la confiance n'exclue pas le contrôle...

Revenons à nos moutons : le chômage est une notion finalement assez récente. Elle date de la révolution industrielle et le chômage de masse conjoncturel existe surtout depuis 1973. C'est depuis cette date et les chocs pétroliers qu'il est devenu un problème particulièrement prégnant en France et en Europe. Ici on peut bien évidemment dire que la situation de chômeur est plutôt subie et le contrôle d'une situation subie m'apparait dangereuse : en clair si les chômeurs sont dans cette situation c'est contre leur volonté et venir leur taper dessus c'est certainement difficile à vivre et assez injuste, ce d'autant plus que normalement c'est à la politique économique de lui venir en aide. On se retrouverait dans une situation hallucinante ou un individu vivant une situation dont il n'a pas la responsabilité subissant et la crise pétrolière et ensuite l'inefficacité des politiques publiques, se retrouverait potentiellement puni par le contrôle de ceux qui doivent mener des politiques efficaces de lutte contre le chômage...rocambolesque.

Le chômage peut donc être conjoncturel, comme ici, mais aussi structurel, lié aux inerties du marché du travail. Dans les deux cas, il peut être involontaire ou volontaire.

En France le chômage concerne 11% de la population active. Les chômeurs sont donc en recherche d'emploi. Ce ne sont pas des inactifs faut-il le rappeler. Bien sûr il y a le halo du chômage mais laissons de côté cette idée pour l'instant. S'ils sont au chômage c'est qu'ils recherchent un emploi et donc inscrits administrativement comme tel. Le suivi par rendez-vous réguliers normalement est obligatoire et de la responsabilité du conseiller de pôle emploi.

Chômage structurel involontaire : Dans la théorie classique, l'offre de travail est une marchandise avec un prix attaché représentant sa rareté. Le travail a un prix d'équilibre, où se rencontre la courbe de l'offre et celle de la demande à son point optimal. Si ces deux courbes ne se rencontrent pas, il y aura chômage ou sous-emploi. Le prix légal du travail (SMIC), n'est pas forcément le prix d'équilibre. Un prix légal minimal inadapté peut être cause de chômage dans la mesure où elle empêche le salaire de descendre à son niveau optimal. Le chômage involontaire est créé par un déséquilibre dans la structure du marché du travail. La rigidité du marché, générée par la politique de salaire minimum et d'allocation chômage peut être responsable du chômage involontaire. Ce n'est donc pas un contrôle qu'il faut, mais des réformes structurelles efficaces sur le marché du travail (baisser le SMIC, augmenter l'offre d'emploi ou baisser la demande d'emploi).

Peut-il dans ce contexte y avoir une désincitation du chômeur à retrouver un emploi qui justifierait un contrôle plus resserré. Ce sujet s'appelle la trappe à chômage. En d'autres termes : un chômeur peut-il être désincité à retrouver un emploi tant l'écart entre le salaire minimal et l'allocation chômage est insuffisante à ce qu'il arbitre en faveur du travail. Sur cette question les études statistiques tendent à prouver que la trappe à chômage n'existe pas. Le concept de trappe à chômage n'est pas pertinent dans l'analyse des causes du chômage aujourd'hui, tant cette réalité théorique ne fonctionne pas effectivement. Du coup, le contrôle est plutôt étrange dans ce contexte comme nous allons le voir.

On parle de chômage conjoncturel involontaire quand par la situation économique du marché global, le sous-emploi est généré. Selon la théorie keynésienne au lieu de postuler la transparence des informations et la rationalité des acteurs, Keynes parle de l'inégalité dans le rapport de force dans la détermination du coût du travail, de l'incertitude des agents face aux fluctuations du marché. Le marché du travail n'est pas simplement le reflet des décisions des agents, mais le lieu de contestations et d'anticipations dû à l'inflation. Les déterminants du chômage se situent au niveau de la demande de bien et de services. Le marché du travail n'a pas de fonctionnement propre, il dépend directement du marché de biens et de services. L'article « Trappe à chômage ou trappe à pauvreté, quel est le sort des allocataires du RMI ? » de Danièle Guillemot, Patrick Pétour et Hélène Zajdela est une étude sur plus de 200 RMIstes. Elle démontre que seul un tiers des chômeurs ayant retrouvé un emploi n'y gagne pas financièrement. Sur ceux qui ont obtenu une proposition d'emploi, 10% seulement ont refusé. Seulement 13% de ces refus à cause du salaire trop bas. 84% des chômeurs ayant repris un emploi sans avantage financier déclarent se sentir mieux depuis qu'ils ont un emploi. 73% se disent plus optimistes. 69% se disent plus à l'aise et plus disponible pour leur entourage. Le chômage apparaît ici comme une situation largement subie. Le contrôle apparaît de nouveau étrange sauf peut-être pour les 10% ayant refusé un emploi (encore faudrait-il peut être soustraire aussi les inadéquations de poste ce qui pousserait le chiffre encore plus bas). Alors l'arbitrage ne se fait plus entre loisir et travail mais entre insertion et chômage. Selon Bourdieu, l'existence sociale est davantage définit par le statut que confère l'emploi plutôt que par la rémunération : Blâme de l'entourage, réduction du cercle relationnel, perte de confiance en soi...

En guise de conclusion il nous semble que la question des contrôles est justifiée mais pour une frange très marginale des chômeurs et que le contrôle de certains inactifs, ou de l'efficacité des politiques publiques restent tout aussi un enjeu de taille si ce n'est plus.

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Chef économiste, Economiste de l'innovation, knowledge manager des cabinets de conseil en management (20 ans). Essayiste et conférencier français spécialiste de prospective économique, mon travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Responsable de l'offre "FUTURA : Impacts des innovations sur les métiers de demain". Vision, Leadership, Remote of Work, Digital as Platforms...secteurs Banque Finance Assurance, PME TPE, Industrie et Sport du Futur. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Consultant et Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'Altran - dont un an auprès d'Arthur D. Little...), je fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, je deviens en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management. En 2022, je deviens Chef économiste de CGI et Directeur de CGI Business Consulting. Intervenant en économie de l'innovation à Aivancity, Sciences po Paris, ESSEC, HEC, UP13, Telecom-Paris... et Conférenciers dans le secteur privé, DRH, Directions Métiers... J'ai publié plus de 300 tribunes économiques dans toute la presse nationale, 8 livres, 6 articles scientifiques dans des revues classées CNRS et j'interviens régulièrement dans les médias français et internationaux. Publication récente aux éditions FORBES de « Capitalisme et Technologie : les liaisons dangereuses – Vers les métiers de demain ». Livre en cours : "La fin du travail" Site personnel : www.pascal-de-lima.com

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