Travailleurs polonais détachés = danger ?

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Par François Nicolas Wojcikiewicz Modifié le 20 mai 2014 à 5h19

A l’heure où la France perd ses entreprises et ses hommes, faut-il avoir peur des entreprises étrangères ? Faut-il redouter nos voisins européens au point d’entraver la vie économique ? Ne nous trompons-nous pas de cible ?

La Pologne est de longue date l’un de ses partenaires économiques de premier plan ; ceci est d’autant plus vrai que la France est l’un des principaux investisseurs en Pologne depuis les années 90, et que d’après les données du Ministère Français de l’Economie et des Finances, l’on recense actuellement en Pologne environ 800 sociétés polonaises à participation française. L’ouverture du marché français aux entreprises polonaises se fait dans une moindre mesure, mais le devrait à une même échelle selon une normale réciprocité ; malgré cela, l’on s’aperçoit que ces dernières font à tort l’objet d’une certaine méfiance, tout à fait injustifiée.

Personne n’a oublié la polémique du plombier polonais lors de l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne en 2004, il y a 10 ans déjà, plombier qui ne serait pas venu si on n’était allé le chercher !

La Pologne vit un essor économique sans précédent avec une croissance soutenue et des perspectives économiques florissantes annoncées pour la période 2014-2020. Ses élèves de lycée se sont classés en 2012 au 14ème rang mondial des pays de l’OCDE (dans le peloton de tête des pays de l’Union Européenne) ; ses étudiants sortent pour la majorité trilingues des universités et grandes écoles. En résumé, un pays de bientôt 40 millions d’habitants, principal pays d’Europe Centrale, qui ne craint pas de se trouver dans quelques années au niveau de ses voisins Allemands et Français.

C’est sous cet angle qu’il faut désormais compter avec la volonté entrepreneuriale, le savoir-faire et les technologies de pointe des Polonais ; ce sont des partenaires avec lesquels la coopération économique ne peut être que bénéfique au tissu économique français, et qui ne doivent donc plus être regardés avec méfiance.

Or indéniablement il y a aujourd’hui un non-dit sur les conditions de traitement des entreprises polonaises par les administrations françaises ; comme le camion polonais est une cible privilégiée pour les contrôles sur les routes françaises, les entreprises de bâtiment en sont une autre sur les chantiers.

Il est en effet difficile d’admettre en France que des prestations de services puissent être moins chères quand elles sont fournies par les étrangers. C’est pourtant une réalité économique qu’il faut admettre.

Si le détachement de salariés est autorisé dans un autre pays de l’Union Européenne dans le cadre de la sous-traitance, il y a des règles à respecter, en particulier celles de l’application en France aux travailleurs étrangers de la législation sociale française en termes par exemple de durée du travail et de rémunération minimale, le but étant de combattre le dumping social.

L’application que les administrations françaises font des conditions de réalisation de la sous-traitance et d’emploi des travailleurs détachés est souvent confuse et prête à contestation, et sert bien souvent des intérêts corporatistes et/ou locaux au détriment des beaux principes communautaires. Sous des qualifications de prêt illicite de main d’œuvre ou de marchandage, elle s’érige fréquemment en tactique de harcèlement des entreprises polonaises qui, pour les moins volontaires, capituleront sous la pression et abandonneront le marché français, lasses des gardes à vue et de la mobilisation de leurs services comptables et directions à répondre aux interminables questions des enquêteurs plutôt que de se consacrer à leur activité économique.

Le cas de la société polonaise MANUALIS

La fin de l’année 2013 a été l’occasion pour des fédérations du bâtiment de défrayer la chronique au moyen d’un arrêt du 7 novembre 2013 de la Cour d’Appel de Chambéry qui est cependant loin de faire jurisprudence au vu des conditions dans lesquelles il a été rendu. Selon cet arrêt, un promoteur immobilier serait responsable pénalement en cas de recours aux services de sociétés exerçant un travail dissimulé, au prétendu motif qu’il aurait omis de satisfaire aux obligations de contrôle imposées par la loi.

Les quotidiens nationaux et régionaux, sans questionner l’ensemble des parties au procès, mais reprenant des informations partielles et partiales, s’appliquaient alors non seulement à faire part de condamnations pour ‘prêt illicite de main d’œuvre et marchandage’ et ‘recours aux services de sociétés exerçant un travail dissimulé par dissimulation de salariés’, mais aussi à prétendre que le chantier de Pringy (74) aurait été confié par un maître d’ouvrage à une société turque qui aurait elle-même sous-traité à une société polonaise MANUALIS qui aurait honteusement sous-payé ses salariés en les faisant prétendument travailler dans des conditions d’hygiène et de sécurité non conformes.

Entre fantasmes, allégations fausses et accusations gratuites, qui auraient pu être évitées si la société polonaise MANUALIS avait été jugée autrement que par défaut, on découvre surtout que le Parquet n’a pas correctement fait délivrer une citation à son encontre en tant que société ayant son siège à l’étranger. Suite à opposition, tant le jugement rendu en première instance par le Tribunal Correctionnel d’Annecy que l’arrêt rendu en appel par la Cour d’Appel de Chambéry, sont purement et simplement inopposables à la société MANUALIS, et l’affaire doit être rejugée en date du 3 juin prochain par le Tribunal Correctionnel d’Annecy.

La société prétendument ‘turque’ n’était en fait qu’une société locale dirigée par un Français d’origine turque…, amalgame malheureux et révélateur du contexte dans lequel ce dossier a été traité médiatiquement.

Quant à la société polonaise MANUALIS (qui use ici de son droit de réponse et de démenti), celle-ci a été constituée en 1987 en Pologne par la famille URBANCZYK, avec à sa tête un ingénieur du bâtiment, Monsieur Jaroslaw URBANCZYK ; elle est une entreprise de construction, mais aussi de rénovation d’anciennes bâtisses et monument classés ; elle intervient tant en Pologne qu’en France par exemple dans le cadre de marchés publics (gendarmerie, lycées).

Lors de l’enquête, les procès-verbaux d’audition des salariés polonais ont été entachés de nullités : est-il par exemple normal qu’on ignore qui aurait auditionné les ouvriers ? Qu’il ne leur ait pas été indiqué s’ils avaient ou non le droit à un Avocat mais qu’on les ait simplement assis devant un formulaire prérempli en langue polonaise ? Que les PV ne soient pas signés ? Que des erreurs substantielles de traduction soient glissées dans les questions du formulaire préétabli (inversion entre les notions de CDD et CDI) ? Toutes sortes de ‘détails’ qui n’en sont pas et auxquels le Tribunal se devra obligatoirement d’apporter des réponses.

Aucun prêt illicite de main d’œuvre ne pouvait être reproché, contrairement à ce qui a été jugé à Chambéry, dans la mesure où la société polonaise MANUALIS n’avait vis-à-vis d’aucune autre société du chantier de lien de subordination tant organisationnelle (les salariés du sous-traitant ne répondent qu’aux ordres de leur propre patron), technique (le sous-traitant est en possession de ses propres outils), qu’économique (le sous-traitant n’a pas comme unique client son donneur d’ordre), mais réalisait sa prestation dans le cadre précis de la sous-traitance.

Quant aux salariés, ils étaient rémunérés entre 1.600 et 2.000 € nets par mois et hébergés et nourris aux Gîtes de France ; des conditions bien éloignées de ce qui a été qualifié d’esclavagisme !

Enfin, il doit être mis l’accent sur le fait que nombre de chantiers publics (gendarmerie, lycées, HLM, etc.) sont confiés en sous-traitance, et en toute transparence, à des entreprises de l’Union Européenne, et sont ensuite, comme décrit ci-dessus, le prétexte au déploiement de contrôles systématisés à l’encontre desdites entreprises, un piège qui se referme sur elles.

Pire encore, est-il normal qu’une société française reçoive une ‘recommandation’ officielle de cesser sur-le-champ toute relation commerciale avec son sous-traitant de l’Union Européenne, au risque d’interférences non seulement sur une relation commerciale privée mais aussi dans le libre jeu de la concurrence nationale et communautaire ?

Le cas de la société MANUALIS n’est qu’un exemple parmi tant d’autres car nombre de sociétés françaises ont recours à la sous-traitance des sociétés polonaises. Il ne fait nul doute que, confrontées aux mêmes problèmes, les entreprises sous-traitantes polonaises (recherchées par les entreprises françaises pour leurs compétences professionnelles spécifiques) s’associent à la présente démarche d’alerte de l’opinion publique visant à un regain de confiance.

C’est consciente qu’une fermeture de son marché aux entreprises européennes la plongerait dans l’asphyxie que la France devra repenser les conditions dans lesquelles ses administrations contrôlent systématiquement et souvent abusivement ceux qui respectent de leur mieux la règle du jeu et contribuent à l’essor économique commun de leurs pays comme de l’Union Européenne.

Ce n’est qu’en respectant nous-mêmes le droit et la procédure que nous pourrons exiger des autres qu’ils les respectent également. A la veille d’un scrutin européen, chacun devrait y réfléchir à deux fois…

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Avocat du Barreau de Paris 

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