L’exercice du pouvoir dans l’entreprise

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Par Jacques Martineau Publié le 10 août 2014 à 2h54

Il est clair qu'on ne peut plus aujourd'hui se contenter de parler de l'entreprise de manière globale. L'incidence des typologies est sans aucun doute beaucoup plus importante dans la situation qui nous préoccupe que dans le passé.

Il est bon de rappeler que près des deux tiers de l'activité économique française et de l'emploi salarié sont assurés en France par 35.000 entreprises de plus de 50 salariés, incluant les moyennes entreprises (ME), les moyennes industries (MI), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises (GE). Dans cet article, l'essentiel des réflexions concernant l'exercice du pouvoir vont donc s'adresser essentiellement à leurs patrons, dirigeants et responsables des ME, MI, ETI et GE qui ont à leur charge près des deux tiers des actifs salariés.

Une parenthèse à part pour les PE et TPE

Une parenthèse tout de même. La notion d'entreprendre et sa réalité sur le marché ne sont pas de vains mots pour la plupart de ces entreprises artisanales et de ces très petites entreprises, traditionnelles ou innovantes qui sont au nombre de plus de 3 millions. Toutes ces petites ou très petites entreprises, créatrices d'emploi, vivent dans un système de contraintes qui leur est propre. Toutes ne sont pas performantes. Leur propre part de responsabilité ne doit pas être oubliée ou minimisée. Pourtant, que de leçons à tirer de la façon dont certaines petites entreprises, avec leurs dirigeants, mènent leur combat pour surmonter les obstacles qu'elles rencontrent !

Bon nombre de ces patrons, souvent autodidactes, qui se sont formés sur le tas, ont appris, pour survivre et préserver leur entreprise et l'emploi, à relever de véritables défis. Leur courage, leur expérience et leur savoir-faire, comme leurs résultats, sont parfois exemplaires. Sans pour autant les oublier dans l'analyse globale de la situation, compte tenu du rôle important qu'elles jouent sur le marché de l'emploi, il faut se garder de tomber rapidement dans des généralisations et des raccourcis aussi malheureux qu'inopportuns. Mais ici le patron détient le pouvoir absolu. Dans ces PE et TPE, les difficultés et les problèmes, comme les opportunités ou les solutions, sont de natures trop différentes pour être assimilables et comparables à ceux ou à celles d'entreprises plus importantes.

Pouvoir et performance

C'est le sens même de la stratégie d'entreprise. Cet exercice du pouvoir, nous le vivons et le pratiquons au quotidien, à tous les niveaux, dans nos simples relations de travail. Celles-ci, indispensables au développement de l'activité, impliquent une multiplicité de contacts alternatifs entre supérieurs et subordonnés. De fait, ces contacts plus ou moins formels sont des relations de pouvoir. On peut affirmer que la relation de pouvoir, quelles qu'en soient sa forme et son intensité, est omniprésente dans l'entreprise.

Alors que ces relations devraient en principe s'appuyer sur une confiance et une estime réciproques dans un esprit de justice et de discernement, elles sont trop souvent gérées en termes de rapport de force, un rapport à la peur de l'autre. Le soutien mutuel n'exclut pas la critique raisonnée. L'accord parfait sur tout et pour tout, pas plus que la complicité passive en toutes circonstances, ne sont pas nécessairement des indices de bonne santé des relations. Les relations de pouvoir ne peuvent pas se résumer à une lutte permanente plus ou moins feutrée qui s'apparente à la guerre de cent ans.

De fait le pouvoir peut être défini comme la capacité d'influer sur l'agir d'autrui, que cela concerne une personne ou un groupe. Le management qui accompagne l'exercice du pouvoir, associe pour sa part deux notions : l'homme et l'action. On peut alors comprendre que l'acceptation du pouvoir ne soit pas un acte naturel surtout quand la nature du pouvoir utilisé est statique, c'est-à-dire plus en rapport avec le titre, la fonction, le rang hiérarchique, qu'avec la valeur de celui qui en use. Inversement, le pouvoir dynamique qui a trait à la personne, à son savoir, à son expérience et à la qualité de sa relation interpersonnelle passe mieux. Il est directement lié à l'image exportée dans le concret par celui qui l'exerce. C'est lorsque ses collaborateurs s'impliquent que son champ d'action s'élargit, que son audience s'accroît, que ses idées sont partagées et ses propositions acceptées par sa hiérarchie, que le responsable peut mesurer la réalité et la qualité de son pouvoir. La performance est alors au bout du chemin, il n'y a pas lieu d'en douter.

La qualité et la nature des relations de pouvoir dépendent, pour l'essentiel, autant des règles du jeu explicites ou implicites que l'entreprise a admises ou tolérées que de la personnalité des individus en présence. La force des habitudes peut aussi légitimer ici ou là, certaines règles du jeu illicites, et ce, à l'insu ou à l'instar du supérieur. Le processus quand il se généralise pollue petit à petit l'ensemble des relations de pouvoir, favorisant le non-dit et la loi du silence. Les subordonnés sont soumis ou résignés. Il n'est plus question dans ce cas-là de parler de performance.

Le temps où seul le pouvoir absolu et discrétionnaire pouvait être utilisé comme instrument de management est révolu. Cette philosophie des relations de pouvoir est à l'origine de l'ensemble des problèmes de communication et d'autorité dans les organisations. Si beaucoup s'accordent sur ce point, combien sont réellement prêts à modifier leurs pratiques et leurs comportements d'autorité ? Peu en réalité.

Le pouvoir et l'argent

Un des aspects du pouvoir à ne pas ignorer, c'est celui de l'argent. Personne n'ignore son importance, surtout lorsqu'il s'agit d'investissement, de développement, de montages économiques ou techniques. L'augmentation en termes de fonds propres, l'ouverture à l'actionnariat sont autant de données qui vont modifier la relation au pouvoir. Les dirigeants sont astreints et contraints, dépendants eux-mêmes de leur relation à l'argent.

L'importance du pouvoir de l'argent va dépendre des actionnaires. Elle sera d'autant plus grande que leur influence sera décisive. Les multinationales en sont un bel exemple. Le pouvoir d'achat baisse, les entreprises ferment, les multinationales délocalisent et la puissance financière continue à distribuer sans compter du crédit pour leurs projets. Leurs bénéfices ne cessent de croître. La plupart des grands groupes ont des comptes à l'abri des mesures fiscales. Ce sont des « niches officielles » qu'aucun pouvoir politique ne peut contrôler.

De leur côté, les TPE et PE, comme les entreprises de taille moyenne dépendent de leur capacité à investir. Ce pouvoir est lié à la possibilité d'obtenir des financements. Cela doit passer par l'accord de prêts bancaires, l'obtention de subventions et le soutien de l'Etat ou de collectivités locales.

Les jeux sont inégaux. La loi du marché s'impose et les « petits » ont du mal. L'importance de la relation aux autres et de l'exercice du pouvoir dans l'entreprise est essentiel pour établir l'indispensable relation de confiance. Mais dans le doute et en situation économique et financière difficile, le pouvoir du dirigeant est affaibli. C'est le pouvoir de l'argent qui prédomine...

Conclusion

En conclusion, sur le terrain particulier de l'exercice du pouvoir interne dans l'entreprise, des progrès certes dispersés et insuffisants sont néanmoins accomplis et des points de non-retour sont franchis. Malheureusement cette inflexion sensible est encore trop souvent fonction des circonstances, due aux contraintes et à quelques initiatives individuelles plus qu'à une volonté affichée de l'entreprise, vérifiable dans les faits. A tous les niveaux de l'entreprise, publique ou privée, quelle qu'en soit la taille d'ailleurs, le pouvoir de position reste la référence, masquant ainsi les autres qualités de pouvoir. C'est peut-être pour cette raison aussi que nos entreprises ont tant de difficultés à être globalement performantes.

Article initialement publié sur Club Espace 21 et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur.

Image Jacques M

Après un long parcours scientifique, en France et outre-Atlantique, Jacques Martineau occupe de multiples responsabilités opérationnelles au CEA/DAM. Il devient DRH dans un grand groupe informatique pendant 3 ans, avant de prendre ensuite la tête d'un organisme important de rapprochement recherche-entreprise en liaison avec le CNRS, le CEA et des grands groupes du secteur privé. Fondateur du Club Espace 21, il s'est intéressé aux problèmes de l'emploi avec différents entrepreneurs, industriels, syndicalistes et hommes politiques au plus haut niveau sur la libération de l'accès à l'activité pour tous. Il reçoit les insignes de chevalier de l'Ordre National du Mérite et pour l'ensemble de sa carrière, le ministère de la recherche le fera chevalier de la Légion d'Honneur.

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