Impôt sur le revenu : la mauvaise réforme chasse la bonne

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Par Jacques Bichot Publié le 14 avril 2018 à 5h00
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2019Le prélèvement de l'impôt à la source sera effectif au 1er janvier 2019.

Au XVIème siècle, époque où la monnaie métallique était encore « la monnaie » par excellence, Thomas Gresham expliqua que la mauvaise monnaie (les pièces usées, rognées, ou composées d’un alliage trop pauvre en métal précieux) chasse la bonne (les pièces comportant exactement la quantité réglementaire d’or ou d’argent).

lus précisément, il observait que les pièces d’excellente qualité étaient thésaurisées, tandis que l’on donnait préférentiellement en paiement celles dont la valeur libératoire (la capacité à éteindre une dette exprimée en unités monétaires) découlait d’une décision politique ordonnant de recevoir en paiement toutes les monnaies pour le montant décidé par le Prince, indépendamment de leur valeur intrinsèque (leur contenu en or ou en argent).

Les pouvoirs publics du XXIème siècle n’émettent plus des monnaies contenant trop peu de métal précieux, mais ils ont – hélas – une ressource encore plus nocive pour le bon peuple : faire des réformes qui ne servent pas à grand-chose, si ce n’est à rien, ou qui sont carrément nuisibles, mais qui donnent l’impression qu’ils agissent. La production de nouveaux textes abondants et de mauvaise qualité empêche ainsi de prendre les dispositions moins nombreuses mais intelligentes qui auraient été bonnes pour le pays.

La France est depuis longtemps dans une situation d’inflation législative et réglementaire du fait de ces émissions de textes dont le contenu est médiocre, très en deçà de ce qui serait nécessaire pour redresser notre pays, quand il ne s’agit pas d’un poison. Comme nous allons le montrer, la réforme de l’impôt sur le revenu qui est maintenant sur des rails – le prélèvement à la source – fait hélas partie de ces mauvaises réformes qui, en saturant notre capacité de changements législatifs et réglementaires, interdit de procéder aux innovations réellement utiles.

Compliquer au lieu de simplifier

Le Monde du 11 avril le reconnaît : « la réforme ne semble pas aller dans le sens d’une simplification ». Premièrement, « la déclaration de revenu, à remplir chaque printemps, ne disparaît pas. » C’est toujours à partir de cette déclaration que sera calculé l’impôt dû par le contribuable au titre de l’année antérieure, mais déjà payé, en partie, en totalité, ou même davantage, selon les cas, du fait du prélèvement à la source. C’est aussi à partir de cette déclaration de revenus que sera calculé le taux d’imposition utilisé pour le prélèvement à la source de la période suivante, en étant communiqué aux employeurs, caisses de retraite et autres organismes tenus de verser au fisc une certaine proportion de ce qu’ils doivent au contribuable.

La période durant laquelle s’appliquera le taux calculé sur la base de la déclaration faite au printemps N ne coïncidera plus avec une année civile : elle ira du mois de septembre N au mois d’août N+1. Au lieu d’additionner simplement les montants de deux acomptes, comme dans le système actuel, le contribuable désireux de vérifier ce qu’il a déjà payé pour le comparer à ce qu’il doit sera obligé d’additionner douze prélèvements mensuels réalisés les uns avec le taux de l’année N et l’autre avec le taux de l’année N+1. Qui a dit « simplification » ?

De plus, lorsque le contribuable est un ménage, il pourra demander l’application de deux taux différents, un pour chaque conjoint ; il pourra même demander que, pour chacun, le taux soit calculé comme s’il était célibataire sans enfant à charge. Quant au fisc, il devra transmettre les informations requises aux différents employeurs ou caisses de retraite, et on ose à peine penser à ce qui se passera lorsqu’une personne enchaînera des CDD avec différents employeurs, ou combinera un emploi salarié avec une activité de travailleur indépendant. Les employeurs, et particulièrement les petites entreprises, en lesquelles les pouvoirs publics mettent beaucoup d’espoir pour le redressement du pays, sont aux cent coups.

Le chiffre d’affaire des cabinets d’expertise comptable augmentera certainement, mais au détriment des organismes obligés de recourir davantage à leurs services sans en retirer quoi que ce soit de plus si ce n’est de remplir une fonction d’auxiliaire du fisc, dont le travail ne sera pas diminué pour autant. Travailler plus pour produire autant, tel sera le résultat de cette réforme contreproductive.

Solidaires Finances publiques, qui regroupe les fonctionnaires de Bercy appartenant à divers syndicats, a fait au journal Le Monde la déclaration suivante : « Cette réforme va modifier en profondeur nos relations avec les contribuables et, malgré l’objectif affiché de simplification, amener une complexité supplémentaire. » Bref, la réforme de l’impôt sur le revenu (IR) semble relever du dicton « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

Une réforme qui manquera son but

Officiellement, la réforme de l’IR est supposée éviter une surprise désagréable aux contribuables dont le revenu diminue, par exemple à l’occasion du départ en retraite. Mais le ministre des comptes publics, Gérard Darmanin, a vendu la mèche : répondant aux journalistes du journal Le Monde qui s’inquiétaient de savoir si la réduction des sommes versées par les employeurs sur les comptes des salariés n’allait pas les inciter à réduire leur consommation, ce qui nuirait à la croissance, le ministre a répondu : « on sous-estime le fait que les gens ont tendance à surépargner pour payer leurs impôts ».

Autrement dit, les Français n’ont, pour la plupart, aucun besoin d’être ponctionnés au fur et à mesure de leurs rentrées d’argent, comme des cigales imprévoyantes ; le ministre les reconnaît au contraire comme étant des fourmis qui mettent trop d’argent de côté ! Si cela est vrai, la justification principale avancée en faveur de la réforme, à savoir protéger des imprévoyants et assurer au fisc des rentrées sans problèmes, tombe à l’eau : le Français, sauf exception, est un épargnant bien adapté à la gestion prévisionnel de son revenu ; il n’a nul besoin que Bercy lui serve de nounou. Certes, il existe des ménages qui ne savent pas gérer leur budget, qui souscrivent des crédits à la consommation excessifs et tombent dans le surendettement, mais il s’agit d’une petite minorité, et de toute façon ce n’est pas la retenue à la source de l’IR qui résoudra leur problème.

Une réforme déresponsabilisante et antifamiliale

Le prélèvement à la source exprime la volonté des pouvoirs publics de transformer le citoyen en un être qui n’a rien à prévoir, à préparer. Mettre de côté ce qu’il faut pour régler l’IR ? Et pourquoi pas aussi épargner en prévision de sa retraite, acheter un logement où l’on pourra vivre sans avoir de loyer à payer une fois que les revenus professionnels auront été remplacés par des pensions ? Voilà, aux yeux de nos gouvernants, un comportement dangereux, voire même séditieux : le citoyen prendrait ses responsabilités, s’occuperait de ses propres affaires, ne compterait pas uniquement sur l’Etat-providence ! La réforme de l’IR est un pas de plus en direction de ce « pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort » à propos duquel Tocqueville ajoutait : « que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »

Ce qui empêche l’Etat de coucouner en rond c’est, pour une bonne part, la famille. Corps intermédiaire à l’intérieur de laquelle on se serre les coudes – sauf exceptions, bien sûr – la famille est la bête noire de ceux qui voudraient être « l’unique agent et le seul arbitre de notre bonheur », pour reprendre encore une expression d’Alexis de Tocqueville. Or une forme importante de la reconnaissance de la famille par les pouvoirs publics est la notion de « foyer fiscal ». Etre imposé, non en tant qu’individu, mais en tant que membre d’un corps intermédiaire composé de quelques personnes unies par des liens conjugaux ou de filiation, structure la société d’une façon qui ne plait pas à tous nos dirigeants. Un émiettement de la société, laissant l’individu seul face à l’Etat, est désiré par certains de ceux qui détiennent ou cherchent le pouvoir. Que l’IR puisse être un impôt familial, portant reconnaissance de la famille comme cellule de base de la société, voilà qui leur est pénible.

Pour contrer la structuration familiale de la société française, il y eut d’abord l’invention de la CSG : cette contribution sociale strictement individualisée a pris progressivement une place plus importante que l’IR, dont la place au sein du système français de prélèvements obligatoires est devenue modeste. Le prélèvement à la source de l’IR le rapproche de la CSG : il ne s’agit plus de retenir globalement l’impôt sur un revenu familial, mais au coup par coup sur chaque rentrée d’argent de chaque individu. La dimension familiale qui subsiste dans l’IR nouvelle formule étant un facteur de complication, un jour viendra où le gouvernement – celui-ci ou un autre – proposera une simplification, consistant à passer à un IR strictement individuel. Dès aujourd’hui, certains expliquent que c’est ce qui se fait dans la plupart des autres pays européens, et que c’est dans ce sens-là qu’il faudra se diriger.

Le prélèvement à la source est une attaque de la cellule familiale dont l’habileté est redoutable, car revenir en arrière posera un problème : cette année-là, l’IR ne procurera aucune ressource ! Néanmoins, que les Français conscients de l’importance de la structuration familiale de notre société ne désespèrent pas : nos fiscalistes ont de l’imagination à revendre ; s’il existe une véritable volonté de mettre un terme à l’expérience malheureuse qui va nous être imposée, ils trouveront le moyen de prélever autrement les quelques dizaines de milliards qui, l’année du retour à un IR « normal », ne seront pas prélevés au moyen de l’IR !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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