[Best Of] EXCLUSIF – Prélèvement à la source : les premiers bugs sont arrivés

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Publié le 2 août 2019 à 10h30
Bug Prelevement Source
23L'administration fiscale avait promis d'envoyer les informations pour le prélèvement à la source le 23 janvier. Le 29, certaines entreprises n'avaient toujours rien reçu...

Cet article initialement publié le 29 janvier 2019 vous est proposé en « Best-of » pendant l’été 2019. Lors de sa première publication il a été consulté par 20 715 lecteurs.

Nuit blanche en vue dans des millers de cabinets comptables et de services de paie. Et ce ne sera pas à cause de la tempête de neige Gabriel. Contrairement à ses engagements, l'administration fiscale n'a en effet pas envoyé en temps et en heure les fichiers contenant les taux de prélèvement à la source aux entreprises. Et en prime, les informations transmises sont truffées d'erreurs !

"C'est une bombe à retardement". Ces mots lancés par un directeur des ressources humaines d'une grosse PME de la région parisienne, passablement énervé, résument assez bien la situation. Avec ses équipes, il va passer la nuit à tenter de débusquer les erreurs provoquées par le passage au prélèvement à la source (PAS).

Bien entendu, les bugs dont est victime le prélévement à la source ne seront pas tous détectés le 30 janvier ou le 1er février, quand les salariés recevront leur fiche de paie. Qui pense à ouvrir l'enveloppe et à regarder le montant, normalement identique d'un mois sur l'autre, pour les salariés à temps plein ? "En revanche, quand les virements vont tomber, certains vont faire une drôle de tête" ajoute, un brin dépité, notre DRH. Bien sûr, certains salariés vont râler à cause du prélèvement à la source, et même, demander des comptes à leur employeur. Même si le taux qui leur aura été appliqué est le bon.

Le taux neutre, c'est là qu'est l'os

En revanche, combien vont se plaindre d'avoir été trop prélevés, à cause de l'application du taux neutre ? Et surtout, dans quels délais vont-il détecter l'anomalie ? En effet, les salariés habitués à être payés le 28 ou le 29 vont avoir une autre mauvaise surprise ce mois-ci : les paies n'arriveront pas sur leur compte avant le 2 ou le 3, au mieux. La plupart des entreprises ont en effet bloqué les virements automatiques d'avant le PAS, pour pouvoir ajuster individuellement le montant des virements.

Quant au taux neutre, qui va créer bien des tensions dans les entreprises ces prochains jours, il n'a de neutre que le nom. Créé à l'origine pour permettre au salarié de "masquer" sa situation patrimoniale et fiscale à son employeur, ce que quelques dizaines de milliers de salariés ont fait en France, il a été dévoyé de son objectif par l'administration fiscale. C'est en effet ce taux neutre qui doit être appliqué par défaut, lorsque... la même administration fiscale n'aura pas été capable de télétransmettre le taux personnalisé à l'employeur !

Prélévement à la source : la télétransmission a pris du retard

Contrairement à ses engagements, l'administration fiscale n'a pas respecté le délai qu'elle avait négocié avec les éditeurs de logiciels de paie. Les fichiers au format "XML" télétransmis devaient en effet parvenir aux services de paie et aux comptables au plus tard le 23 janvier. Or, dans nombre de cabinets comptables, les premiers fichiers ont commencé à arriver "au compte-gouttes" dans l'après-midi du lundi 28 ! Soit le jour où les fiches de paie sont établies dans beaucoup de services paie... Sachant que chaque fichier doit être récupéré manuellement par le responsable du dossier, et associé à l'espace reservé à l'entreprise dans le logiciel de paie, on imagine aisément le courroux et le désarroi des comptables. Mardi 29 janvier, dans la journée, certains fichiers CRM nominatifs et financiers n'étaient pas encore parvenus aux entreprises. Combien de centaines de milliers ? Ou de millions ?

Pourquoi ? Sybilline, la DGFiP (Direction Générale des Finances Publiques) explique que ce "taux non personnalisé" ou "taux par défaut" s'impose "en cas d'échec d'identification d'un individu". Lors des différents tests réalisés au cours des derniers mois, des problèmes d'identification des contribuables ont effectivement été remontés. Mais Gérald Darmanin a déclaré à plusieurs reprises, et encore en début de mois, que ces bugs avaient été résolus.

Manifestement, c'est faux. Lors de notre enquête, nous avons découvert que nombre de fichiers informatiques (appelés CRM nominatif, et CRM financier), transmis par l'administration fiscale aux entreprises, étaient toujours truffés d'erreurs, contrairement aux promesses du ministre de l'Action et des Comptes Publics.

Le bug le plus courant : le vrai faux numéro de Sécurité Sociale

L'erreur, le bug le plus classique ? Un numéro de Sécurité Sociale ou NIR erroné. Et pas qu'un peu ! Dans un exemple de bug qui nous a été donné à consulter, le numéro de sécu du salarié à imposer commence par 1 72 02 75. Un numéro signifiant qu'il s'agit d'un homme (1), né en février 1972 (7202), à Paris (75).

Or, dans le fichier transmis par l'administration fiscale, ce même salarié était identifé sous le numéro 1 83 12 76, autrement dit un homme né en décembre 1983, en Seine-Maritime ! Un expert en informatique consulté par nos soins croit déceler dans une telle erreur une "incrémentation automatique" des données. Autrement dit, certaines données sont entrées dans la machine, +1. 1972 devient en effet 1983 dans cet exemple, soit + 1 aux dizaines, et + 1 aux unités. Quand à la Seine (75), elle se transforme en Seine-Maritime (76), toujours +1.

Mais il y a pire encore : la suite du "faux" numéro de Sécurité Sociale détecté par le comptable, mais pas par l'administration fiscale, aurait normalement dû déclencher une alerte, car les incohérences sont trop nombreuses. Votre numéro de Sécurité Sociale (inventé sous Vichy, pour identifier individuellement chaque citoyen) désigne en effet aussi la commune dans laquelle vous êtes né, et le numéro d'ordre sur les fichiers d'Etat civil ! Or, dans le cas en question, ce vrai-faux salarié/contribuable était censé avoir vu le jour dans la première commune de son département, sur un numéro de registre ne comportant... aucune naissance ! "Si Bercy s'était vraiment donné les moyens de traquer les bugs, ils auraient écrit des bouts de code capables de vérifier les numéros de Sécu". D'autant plus que les numéros de Sécurité Sociale sont aussi dotés d'une clef de contrôle, comme les cartes bancaires, permettant justement de s'assurer que le numéro est correct..

Le taux neutre, une vraie sanction financière pour certains

Le problème de l'application du taux neutre à des salariés "inconnus" de Bercy, ou non reconnus, donc, en raison de ce genre de bugs, c'est que cela peut rapidement faire très mal financièrement. Prenez par exemple une salarié se trouvant dans la tranche de rémunération allant de 1988 à 2578 euros. Pour cette tranche, le barème établi par l'administration fiscale le soumet à un taux neutre de 9%. Autrement dit, pour un salaire de 2000 euros net, 180 euros d'impôts (PAS) seront prélevés, et il lui restera 1820 euros de salaire net, après impôt.

Et c'est là qu'est l'os. Car ces 180 euros, ce prélèvement à la source indû, l'employeur n'a pas d'autre possibilité que de l'envoyer au fisc ! Quand bien même le salarié ne devait pas être soumis au taux neutre... Pire encore : l'employeur est tenu d'appliquer le taux neutre, jusqu'à ce que l'administration fiscale lui en envoie un autre. Or, Bercy s'est ménagé une confortable soupape de sécurité. Les services fiscaux disposent en effet de droit de deux mois pour corriger et transmettre un nouveau taux, une fois contacté par le contribuable couroucé par l'erreur. Contribuable auquel l'on souhaite d'ailleurs bon courage, le service dédié au prélèvement à la source étant désespérément désormais sur messagerie, assorti d'un message automatique proposant de laisser son numéro de téléphone... Cerise sur le gâteau : si un salarié détecte une erreur le 5 février, le fisc pourra traîner jusqu'au... 5 avril pour la corriger ! Autrement dit, sse salaire sde janvier, de février et de mars seront indument ponctionnés, sans autre forme de procès. S'il s'agit de 180 euros, et que son taux personnalisé est de 0, il lui manquera 540 euros sur son compte au début du mois d'avril. Et le contribuable salarié ainsi lésé devra encore entreprendre une autre démarche en parallèle, afin de récupérer auprès du fisc les sommes indues...

Prélèvement à la source : le fisc a deux mois pour rectifier l'erreur

Autant dire que les comptables et les responsables de la paie de millions d'entreprises en France vont s'arracher les cheveux, en essayant de tenter de débusquer les bugs que Bercy a nonchalamment télétransmis. Et comme ils ne pourront rien faire d'autre que d'appliquer le taux par défaut, le fameux "taux neutre", chaque fois que l'information sur le taux personnalisé leur manquera, ils vont aussi sérieusement se créper le chignon avec les salariés mécontents... Vous avez dit simplification ?

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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