De nouvelles lignes directrices pour lutter contre les « prêts non-performants »

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Par Adil Lahlou Publié le 9 novembre 2020 à 6h13
Banques Europe Creances Douteuses Crise
124 MILLIARDS ?La France détient 124 milliards d'euros de créances douteuses.

L’EBA (Autorité Bancaire Européenne) a publié le 29 mai dernier sa version finale des orientations sur l’octroi et le suivi des prêts*. Au moment où les banques font face à une crise sanitaire sans précédent, le timing était-il le bon ?

Une réponse aux niveaux élevés de « prêts non-performants » dans le bilan des banques européennes

Après la crise de 2008, les banques européennes ont renforcé leurs fonds propres mais elles ont conservé des montants importants de prêts « non-performants » (NPL : Non performing Loans). On parle aussi de « créances douteuses » lorsque plus de 90 jours se sont écoulés sans que l’emprunteur ait versé les tranches ou les intérêts prévus.

La situation est variable en Europe. Lorsque l’on évoque les créances douteuses massives, on pense généralement à l’Italie, la Grèce, Chypre ou le Portugal. Pourtant la France est également concernée car elle détient le deuxième stock de créances douteuses en Europe (124 milliards d’euros en juin 2019**).

Ces niveaux élevés de NPL constituent un problème pour les banques : ils impliquent des besoins de provisionnement qui pèsent sur le niveau de fonds propres et ils affectent négativement la capacité des banques à générer de nouveaux prêts. Si ces niveaux de NPL deviennent trop élevés, ils constituent un risque pour la viabilité des banques.

Ils peuvent aussi constituer un problème pour la stabilité financière globale et pour l’économie réelle. Les NPL ont atteint un niveau de 636 milliards d’euros en juin 2019**. L’UE a mené plusieurs plans d’action pour y remédier, y compris la recapitalisation des banques. Sur le plan réglementaire, l’EBA a quant à elle mené une consultation et vient de publier sa version définitive de ses guidelines sur l’origination des prêts qui entreront en vigueur à partir de juin 2021.

Des orientations qui visent à améliorer la stabilité et la résilience des banques européennes

Ces guidelines fixent un cadre fondamental des activités de crédit et définissent le contenu des politiques et des procédures relatives au risque de crédit. Elles se concentrent sur les aspects clés de l’évaluation des différents types d’emprunteurs.

L’objectif est d’harmoniser le processus d’octroi de crédits dans les établissements bancaires. L’évaluation de la solvabilité d’un emprunteur par les analystes financiers est normée à l’échelle européenne. Les critères d’octroi de crédits sont standardisés pour accroitre l’objectivité, l’impartialité et protéger le consommateur en incluant des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).

Ces orientations structurantes concernent différents types de financements : les prêts aux particuliers ; les prêts aux petites, moyennes et grandes entreprises, les prêts au développement immobilier mais aussi les financements à effet de levier et les financements maritimes.

Des impacts majeurs pour les banques

Ces orientations vont entrainer des transformations majeures en matière de gestion de la donnée et de stratégie d’octroi pour les institutions financières européennes.

Les défis pratiques seront sans doute les plus grands en matière d’évolution des systèmes d’information : construction d’un cadre de suivi des prêts efficace, revue de l’infrastructure de données pour soutenir le processus d’octroi, collecte et agrégation automatique des données précises, fiables, cohérentes et traçables, etc.

En matière de gouvernance, c’est toute la culture du risque de crédit qui doit être revue. Les banques devront veiller à ce que tout le personnel impliqué dans le processus d’octroi, de suivi et de contrôle de crédit soit en phase avec la culture du risque et le RAF (Risk Appetite Framework).

L’évolution des procédures internes des banques pour qu’elles convergent vers les procédures cibles sera un autre chantier à mener et constituera aussi un défi en matière de conduite du changement : les écarts entre les procédures actuelles et celles promues par l’EBA devront être identifiés, corrigés puis celles-ci devront être mises en application par les professionnels du crédit.

Le timing était-il le bon ?

Initialement prévues avec une date d’application en juin 2020, ces directives ont vu leur date d’application repoussée à juin 2021. En pleine pandémie de la COVID-19, l’EBA a fait preuve de mansuétude pour que les banques puissent se concentrer sur la gestion de la crise et leurs opérations courantes. En ces circonstances exceptionnelles, elle offre une période de transition jusqu’en 2024, date de pleine application de l’orientation :

  • Juin 2021 : Application de la guideline pour les nouveaux prêts octroyés

  • Juin 2022 : Application pour les prêts existants renégociés

  • Juin 2024 : Application à l’ensemble du stock de prêts

Confrontées à une crise sanitaire sans précédent, sous pression réglementaire avec d’autres projets qui visent à réduire les NPL comme NDOD (New Definition of Default) qui entrera en vigueur en janvier 2021 et dans un contexte de déréglementation unilatérale aux États-Unis, les banques européennes vont devoir une nouvelle fois s’adapter et faire le dos rond. Il en va de la stabilité financière internationale : à une crise sanitaire comme il n’en arrive qu’une fois par siècle, il ne faudrait pas que s’ajoute une nouvelle crise financière.

*https://eba.europa.eu/regulation-and-policy/credit-risk/guidelines-on-loan-origination-and-monitoring

**European Banking Authority Risk Dashboard 2Q 2019

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Consultant Senior du groupe Square

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