Problèmes d’économie virale

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Par Jacques Bichot Modifié le 31 mars 2020 à 10h10
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10%Le bâtiment ne tourne qu'à 10% de sa capacité normale à cause du confinement.

La politique de confinement a fortement réduit la production de biens et de services. L’INSEE annonce que chaque mois de confinement nous coûte 3 points de PIB, soit environ 72 Md€. Comme la plupart des pays sont logés à la même enseigne que nous, il ne faut pas trop compter compenser le déficit de production, de consommation et d’investissement par des importations accrues au prix d’un déficit commercial et d’un endettement par rapport au reste du monde.

D’ailleurs les pays classiquement très excédentaires, comme l’Arabie saoudite, ont eux aussi des problèmes : la chute des prix de l’or noir (et de beaucoup de matières premières) réduisant l’excédent de leur balance des paiements, ou le transformant en déficit, ils ne peuvent plus nous permettre de vivre à crédit. La France, comme beaucoup d’autres pays, réduit donc sa consommation et ses investissements. Le plus gênant dans l’immédiat est la réduction de notre train de vie, mais le plus ennuyeux à terme est le retard que prennent nos investissements.

Le bâtiment et les travaux publics

La construction et l’aménagement du territoire (routes, ponts, protection du littoral, etc.) sont particulièrement touchés : selon l’INSEE, ce secteur ne fonctionne plus qu’à 10 % de la normale. Certes, nous pouvons vivre dans l’immédiat sans que, par exemple, avancent les travaux gigantesques prévus pour que la France, et particulièrement l’Ile de France, accueille dignement les Jeux Olympiques 2024, mais que se passera-t-il quand il faudra, soit avouer que nous allons organiser des jeux en quelque sorte « au rabais », ou repousser l’échéance ? Une troisième solution est aussi possible : mettre les bouchées doubles quand le coronavirus aura décliné, mais cela débouchera fort probablement sur une dépense accrue et certains travaux bâclés. Et n’ira-t-on pas jusqu’à sacrifier les travaux relatifs aux hôpitaux et autres installations sanitaires dont nous constatons actuellement le sous-dimensionnement ? L’homme a la mémoire courte, et l’homme politique ne fait hélas pas exception à cette triste règle …

Quant à la construction de logements, actuellement stoppée à 95 %, le redémarrage risque d’être moins rapide qu’il ne serait souhaitable, du fait que l’instruction des permis de construire est en souffrance : l’inachèvement des élections municipales vient s’ajouter à la réduction de l’activité des services municipaux chargés d’étudier les dossiers.

L’industrie

Exception faite de l’industrie agroalimentaire, usines et ateliers tournent à moins de la moitié de leur production habituelle. L’industrie automobile, par exemple, qui a déjà fondu comme neige au soleil dans notre pays depuis dix ou vingt ans, souffre beaucoup : est-ce sur notre territoire qu’elle reprendra, comme on dit, « du poil de la bête », ou bien la mésaventure actuelle accentuera-t-elle son transfert en dehors de nos frontières ? Le journal Les Echos fait état d’une nouvelle inquiétante : Moody’s, l’agence de notation la plus importante, a placé « sous surveillance négative » Renault, PSA et toute une série de fournisseurs. Même au Japon, qui n’a pas (pas encore ?) adopté le confinement, les usines automobiles tournent au ralenti.

Trésorerie et mesures financières

Les mesures de chômage partiel font, en France, l’objet d’aides publiques très conséquentes : le Trésor prend totalement en charge une indemnisation à 85 % du salaire net, du moins jusqu’à 4,5 SMIC, rémunération qu’atteignent presqu’exclusivement des cadres supérieurs. Les ménages ont donc, très majoritairement, de quoi payer leurs loyers, les échéances de leurs emprunts, et leur consommation courante. Mais quand les rayonnages sont vides, et quand les sociétés de vente par correspondance ne sont plus approvisionnées, les comptes en banque ont beau être convenablement garnis, les assiettes ne se remplissent pas. Les difficultés d’approvisionnement ne sont pas encore énormes, parce qu’il existait des stocks conséquents, mais si le confinement dure, en France et à l’étranger (n’oublions pas que beaucoup de ce que nous consommons n’est pas made in France), la situation risque de devenir plus difficile. En schématisant, disons que nous pourrions bien souffrir de notables difficultés d’approvisionnement au moment même où l’activité productive redémarrera, les stocks ayant été réduits à l’extrême.

S’endetter massivement puis sortir de cet endettement excessif

Dans une situation qui ressemblait assez à celle d’aujourd’hui, un homme politique de la IVème République avait prononcé une phrase merveilleuse, que je cite de mémoire : « les Français sont privés quasiment de tout, on ne peut pas en plus les priver d’argent ». A première vue, cela paraît stupide : s’il y a de l’argent mais pas grand-chose à vendre, les prix augmentent et le pouvoir d’achat de chaque euro (de chaque franc, à l’époque) diminue. Mais si l’on y regarde de plus près, il n’est pas mauvais que l’existence d’une demande solvable booste les entreprises, les encourage à reprendre leur production ou à l’augmenter : c’est comme cela que l’économie et l’emploi repartiront. La politique de la BCE et des gouvernements européens est donc bonne dans son principe, pourvu que sa mise en œuvre soit réalisée de manière intelligente, et notamment selon un bon timing.

Le point délicat est la répartition de cette « monnaie hélicoptère », comme on nomme parfois cette abondance de crédit, et de versements de salaires à des gens qui n’ont pas produit grand-chose. Dans un premier temps, de nombreuses personnes sont payées à ne rien faire, ou presque, par des employeurs qui bénéficient de crédits bancaires spéciaux, remboursables à moyen ou long terme : cela permet d’écouler les stocks et de conserver le personnel nécessaire à une reprise de la production. Ensuite, quand les travailleurs se seront effectivement remis à produire, il y aura du cash pour acheter cette production, si bien que le redémarrage de l’activité aura lieu.

La probable, et souhaitable, purge monétaire

Restera, bien sûr, une dette importante, des entreprises et des Etats ; pour la ramener à des dimensions raisonnables, la France disposait jadis d’un instrument bien commode : la hausse des prix, qui ramenait la quantité de pouvoir d’achat à un niveau raisonnable. Avec l’euro et l’inflation zéro, cette façon de résorber les excédents de pouvoir d’achat nous manque cruellement. Je n’exclue pas qu’il faille faire avec l’euro, au niveau européen – ou plus exactement de la zone euro – une opération du même type. Certes, les taux négatifs pratiqués sur une partie importante des emprunts d’Etat vont dans le même sens, mais ils sont insuffisants pour sortir du surendettement plusieurs Etats, dont le nôtre.

Malheureusement, ce sont toujours les épargnants qui font les frais soit de la mauvaise gestion des pouvoirs publics, soit de catastrophes comme l’épidémie de coronavirus. Comme ce sont des médecins, infirmiers et autres personnels médicaux qui font un sacrifice encore plus important, celui de leur santé, et parfois de leur vie. Cela ne va pas jusqu’à l’euthanasie du rentier dont Keynes parlait à la fin de la Théorie générale, mais il faut bien comprendre que l’actuelle distribution de revenus, qui va bien au-delà de la production effectuée, rend nécessaire et difficilement évitable la résorption du surplus de richesse apparente par rapport à la richesse réelle. La réalité finit toujours, d’une manière ou d’une autre, par l’emporter sur la fiction, et l’inflation, quand elle ne se transforme pas en hyper-inflation, n’est pas le pire moyen de faire retour à la réalité.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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