Quand va-t-on enfin dépolitiser l’âge de la retraite et d’autres décisions techniques ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 20 mars 2019 à 8h52
Retraites Seniors
62L'âge de la retraite en France est de 62 ans aujourd'hui au lieu de 65 ans jusqu'en 1982.

La ministre des Solidarités a, selon Les Echos du 19 mars, « suscité l’émoi en évoquant la nécessité de travailler plus longtemps » et en indiquant qu’elle n’était pas hostile à un relèvement de l’âge de départ à la retraite. Décidément, l’étude de la réforme des retraites par un Haut-commissariat ne sert pas à grand-chose : on en est toujours à raisonner dans un cadre archaïque.

L’avenir est à la souplesse

En effet, dans un régime par points pratiquant la neutralité actuarielle, la notion d’âge légal de départ à la retraite n’a plus aucun sens. Un tel régime est fait pour donner de la souplesse, notamment en permettant une liquidation fractionnée du capital de points, de façon à laisser les travailleurs « seniors » libres de réduire progressivement leur activité professionnelle. Il faut pouvoir par exemple passer à trois quarts de temps en percevant une pension sur une partie de ses points, tout en continuant à en acquérir de nouveaux. Puis ensuite diminuer encore sa charge de travail en en liquidant une partie supplémentaire de son capital de points. Et enfin devenir retraité « à plein temps » en liquidant ce qui reste.

Il faut aussi disposer de la possibilité de revenir sur une liquidation totale : une personne ayant liquidé tous ses points à 62 ans, et recevant une proposition d’embauche intéressante quelques mois plus tard, doit pouvoir l’accepter sans être pénalisée, ce qui signifie acquérir de nouveaux points, et remettre sur son compte tout ou partie des points déjà liquidés, qui gagneront ipso facto de la valeur.

Pour que cette souplesse puisse être mise en œuvre, il est nécessaire de remiser au musée la notion d’âge légal de départ à la retraite, et d’instaurer à sa place un « âge pivot », comme il en existe dans les régimes moins archaïques que le nôtre, par exemple ceux de nos amis américains, allemands et suédois. Appelons cet âge P : la valeur de service du point est affichée pour une liquidation à l’âge P, et si la liquidation a lieu à un âge différent A, cette valeur de service est multipliée par un « coefficient actuariel », supérieur à l’unité si A est supérieur à P, et inférieur à l’unité dans le cas contraire. Ce système de décote/surcote garantit à la fois l’équité et la souplesse : chacun peut faire ce qu’il veut sans changer quoi que ce soit à l’équilibre financier du régime.

Laissons les gestionnaires faire leur travail !

L’avenir est également à une division du travail intelligente entre les responsables de la gestion du régime unique, et le Législateur. Il revient à ce dernier d’établir de nouvelles règles, plus justes, plus simples et plus efficaces que ne l’est l’actuel bric-à-brac législatif et conventionnel. C’est au Parlement de supprimer la division actuelle en une quarantaine de régimes, division qui rend notre système actuel de retraites par répartition incompréhensible, deux fois trop cher à gérer, injuste à bien des égards, et privatif de liberté. C’est à lui également de fixer une obligation d’équilibre budgétaire du régime unique, disons par exemple France retraites, ainsi qu’un ensemble de règles de fonctionnement donnant aux gestionnaires les moyens de remplir leur devoir d’équilibrer les comptes. Mais ce doit être le rôle du directeur général de France retraites, appuyé sur son équipe d’actuaires, de manœuvrer les curseurs pour réaliser cet équilibre.

Quels sont ces curseurs ? Premièrement, l’âge pivot. Il est normal que celui-ci augmente sur le long terme de façon à peu près parallèle à l’espérance de vie, et comme « l’âge de la retraite » qu’il remplacera est ridiculement bas (62 ans aujourd’hui au lieu de 65 ans jusqu’en 1982), un rattrapage énorme reste à effectuer. Mettre en place un programme de relèvement devrait être la responsabilité numéro 1 de la direction de France retraites, sans interférence aucune ni du Gouvernement, ni du Parlement. Ce dernier aura fixé une règle d’équilibre budgétaire, et confié à cette direction des outils permettant de la respecter : à elle de faire le job !

Deuxième curseur, la valeur de service du point. Il est normal que celle-ci augmente, mais il ne peut pas y avoir de règle telle qu’une indexation sur un indice des salaires, ou sur un indice des prix : les gestionnaires doivent avoir les coudées franches pour réaliser l’équilibre budgétaire. Et s’il faut revaloriser la valeur du point moins vite que l’inflation, pour corriger les excès commis depuis des décennies, ils le feront, alors que les hommes politiques, sous la pression de la rue, seraient fortement tentés d’augmenter les cotisations et les subventions publiques.

Le taux de cotisation doit-il servir de troisième curseur ? Il ne faut pas totalement interdire cette possibilité, mais il doit s’agir là d’une solution de toute dernière extrémité, le niveau des cotisations vieillesse ayant atteint un niveau insupportable. Une solution à étudier serait de se limiter à autoriser des majorations temporaires de cotisations, majorations non productrices de droits à pension, par exemple pour un an renouvelable une seule fois.

La délicate question des cotisations vieillesse

L’idée de recours aux majorations de cotisations débouche sur une autre question, celle de l’attribution des droits à pension. Actuellement, l’acte générateur de droits, sous forme de points ou d’une double dotation (durée de cotisation et salaires inscrits en compte), est une monstruosité économique : destinés à payer les pensions en cours, ces versements de cotisations ne servent en rien à préparer les pensions futures de ceux qui les effectuent. Il faudra donc – et c’est au Législateur de le faire – modifier du tout au tout les modalités d’acquisition des points : comme nous l’avons expliqué dans maintes publications, c’est l’investissement dans la jeunesse qui doit logiquement être reconnu et valorisé sous forme de points de France retraites.

Quand la loi aura effectué cette indispensable réforme, la question de la modulation des cotisations vieillesse deviendra moins difficile. Actuellement, augmenter le taux de cotisation, dans un régime par points tel que l’ARRCO-AGIRC, revient à attribuer davantage de points, donc à plomber le futur, puisque dans quelques décennies il faudra honorer ces points. Autrement dit, pour ne pas être trop en déficit aujourd’hui, on agit d’une manière qui prépare les déficits des prochaines décennies. Boucher le trou actuel revient à agrandir le trou futur, sauf si on le fait en recourant à l’impôt ! Il faut sortir de cet enfermement désastreux.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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