Quelques mesures structurelles à prendre pour bien commencer le quinquennat 2022-2027

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 février 2022 à 16h16
Pexels Jordi Gamundi Domenech 8432762
13,6%En 2019 l'ensemble des pensions de retraite, en France, a représenté 13,6 % du PIB.

Les hommes et femmes politiques qui envisagent de se présenter à la prochaine élection présidentielle ont commencé à dévoiler leurs « programmes » : les mesures qu’ils entendent prendre, ou faire prendre par leur gouvernement et, le cas échéant, par le Parlement, s’il s’agit de modifications de la législation actuelle. Mais rien n’interdit aux simples électeurs de réfléchir à ce qui serait bon pour notre pays et utile à sa population. Les dispositions structurelles étant les plus déterminantes, c’est à ce type de mesures que je propose de réfléchir ici, et de réfléchir en quelque sorte par « petites doses », l’ensemble de ce qu’il conviendrait de réformer ou d’inventer étant trop vaste pour être étudié en une seule fois.

Les lecteurs d’Economie matin vont donc disposer d’une petite série de textes assez courts explorant ce qui pourrait utilement être amélioré, ou fortement modifié, ou créé, ou supprimé, par les personnes et institutions auxquelles vont être confiées pour cinq ans les rênes du pays. Nous n’avons pas la prétention de couvrir tous les domaines, mais simplement de montrer que la France pourrait innover dans différents secteurs de manière profitable à ses citoyens, ainsi qu’au reste du monde, bien plus et surtout bien mieux qu’elle ne l’a fait durant le quinquennat qui s’achève.

Chaque petit texte, dit « pack », sera lisible indépendamment des autres, mais ces packs forment un ensemble, la cohérence étant évidemment l’une des qualités les plus importantes que le citoyen attend légitimement d’un projet présidentiel.

Pack N°1 : Soigner notre démographie

« Il n’est richesse que d’hommes » : la célèbre phrase de jean Bodin devrait être prise très au sérieux. C’est ce que Charles de Gaulle avait parfaitement compris : en avril 1945, chef du gouvernement provisoire, il instaura un Haut comité de la population et de la famille, dont il présida personnellement les premières séances. L’INED, Institut national d’études démographique, créé dans la foulée, avec à sa tête Alfred Sauvy, fut le volet scientifique d’une politique démographique dont les prestations familiales, simples et généreuses, assurèrent l’efficacité.

Pour une politique démographique assumée

Il existait un tout petit nombre de prestations, mais elles étaient conséquentes : les seules « allocs » représentaient à elles seules bien davantage, en proportion du PIB, que la vingtaine d’allocations actuellement en vigueur ! Grosso modo la moitié du montant total des prestations dites « sociales » était destinée aux familles, de façon que les couples ayant le désir de donner naissance à des enfants ne soient pas détournés de leur projet, comme c’est hélas souvent le cas aujourd’hui, par la paupérisation inhérente à la création d’une famille nombreuse, et même à l’arrivée d’un premier enfant, en l’absence d’un soutien financier convenable.

Les dispositions favorables à la procréation ont ensuite petit à petit décliné. Nos hommes politiques, à quelques exceptions près, ont perdu de vue l’importance du dynamisme démographique ; ils ont oublié que la source première de la puissance d’une nation et du bien-être des citoyens, c’est la famille, solidaire, féconde et bonne éducatrice. Aujourd‘hui la politique familiale française est quasiment devenue une politique sociale ayant comme principal objectif de venir en aide aux familles pauvres. Bien sûr, il faut se préoccuper des pauvres en général, et donc, en particulier, des familles dont les revenus sont insuffisants pour assurer à tous leurs membres un niveau de vie convenable, mais la politique familiale ne doit absolument pas se limiter à cette assistance.

Le stupide passage d’une politique démographique à une politique d’assistance aux familles

En créant de multiples prestations familiales sous conditions de ressources, les hommes politiques au pouvoir ont donné satisfaction aux dirigeants et salariés des caisses d’allocations familiales : l’informatisation aurait en effet conduit à une forte réduction des effectifs salariés de la « branche famille » de la Sécu si les prestations familiales avaient conservé leur simplicité originelle. En compliquant progressivement le système, il a été possible de maintenir les effectifs salariés malgré les gains de productivité apportés par l’informatique !

L’utilité d’un dynamisme démographique ayant été perdue de vue, donner la vie puis éduquer et entretenir les enfants ainsi mis au monde n’a plus été compris comme un service rendu à la collectivité nationale : en haut lieu, et dans une grande partie de l’intelligentsia, le fait de procréer puis de bien élever des enfants n’a plus été envisagé que comme un plaisir que l’Etat se devait de subventionner de façon inversement proportionnelle aux revenus du ménage. C’est ainsi que la politique familiale a perdu concrètement son objectif démographique pour devenir une assistance aux ménages pauvres.

Pour une politique d’immigration intelligente

Si la mise au monde, l’entretien et l’éducation des enfants étaient à nouveau considérés comme le plus vital des investissements dont notre pays a besoin, bien des dispositions changeraient. Notre malthusianisme actuel débouche sur une immigration excessive et qualitativement pas très bien adaptée à nos besoins. Ainsi la population française a - t - elle augmenté, l’an dernier, de 187 000 âmes, mais cela est dû pour l’essentiel (140 000 sur ces 187 000) au solde migratoire. Pas grave ? Si, hélas, car nous « exportons » un assez grand nombre de travailleurs hautement qualifiés, tandis que nous « importons » des personnes qui, pour beaucoup d’entre elles, ne correspondent pas aux besoins de notre économie. La formule « nous exportons des Bacs plus 7 et nous importons des Bacs moins 7 » est certes simpliste, caricaturale, mais elle devrait nous mettre la puce à l’oreille.

Si la France a intérêt à voir arriver des immigrants aptes à participer efficacement à la production nationale, il ne faut pas pour autant être égoïstes, priver les pays en développement de trop de personnes compétentes en les poussant à s’installer dans les pays riches. Notre intérêt bien compris est d’accueillir des travailleurs étrangers qualifiés ou capables de le devenir, qui retourneront un jour dans leur pays d’origine et le feront profiter de leur expérience : c’est ainsi que se nouent des relations favorables à tous, et que se forme une sorte de patriotisme planétaire. Cela n’a rien à voir avec la réalisation d’un melting-pot universel dans lequel la spécificité française, et celle des autres peuples, disparaîtraient. C’est la diversité qui fait le charme de l’existence et qui stimule les progrès.

La grande politique familiale qui a beaucoup contribué à redresser la France à partir de 1945 a été sottement abandonnée

Le grand élan, à la fois économique et démographique, qui eut lieu après la Libération, a été soutenu par une politique familiale à la fois très simple et très ambitieuse, dont le budget dépassait largement celui des retraites. Aujourd’hui, la politique familiale disperse en prestations diverses et variées, compliquées, coûteuses à calculer et à verser, des sommes qui, au total, ne représentent même plus le cinquième de l’ensemble des pensions attribuées aux personnes dites « âgées ». Notons d’ailleurs que l’adjectif « âgé » ne correspond guère aux retraités de fraîche date, car en France les retraites peuvent être liquidées à taux plein à des âges où l’on est, le plus souvent, encore pleinement capable de travailler.

Pour parler chiffres, en 2019 l’ensemble des pensions de retraite, en France, a représenté 13,6 % du PIB, tandis que les prestations familiales au sens large, c’est-à-dire y compris les aides au logement et d’autres prestations qui relèvent plus de l’assistance que du souci de la démographie française, sont seulement à 1,7% du PIB. Tout est fait au niveau des finances publiques pour que les Français travaillent le moins possible, et s’arrêtent à des âges précoces, pour profiter de très, très longues vacances de fin de vie.

Voilà qui est fort sympathique pour les personnes du troisième âge, mais quid des jeunes ménages ? Ce sont eux qui donnent naissance à des enfants, lesquels assurent le renouvellement des générations et l’avenir du pays ; ils devraient donc être bien traités. Or ils sont quasiment mis à la portion congrue ! Les jeunes parents sont obligés de prouver leur pauvreté pour recevoir un peu d’argent, car l’Etat ne leur en donne guère qu’au titre de l’assistance ! Ce qu’ils devraient percevoir au titre d’un partage des frais nécessaires pour assurer l’avenir du pays, les jeunes couples n'en perçoivent qu’une petite fraction – et le législateur leur fait l’injure de la leur donner, cette fraction, comme une aumône, en raison de leur pauvreté, et non pour service rendu à la patrie !

Nos législateurs et gouvernants ont ainsi, sans le dire explicitement, choisi de sacrifier la natalité au profit de la retraite précoce : c’est une politique à courte vue ! Et un cercle vicieux, car moins il naît aujourd’hui de petits Français, moins il y aura de cotisants dans un quart de siècle, si bien que la réduction de la politique familiale au profit des « vieux » s’amplifiera encore.

Pour un changement radical de politique démographique

Comment redresser la barre ? Bien sûr, en augmentant fortement les prestations familiales, mesure finançable par un recul de l’âge de la retraite, particulièrement bas dans notre pays, mais aussi en prenant des mesures originales. Prenons un exemple, particulièrement important du fait que, de nos jours, la moitié des bébés naissent de jeunes femmes qui exercent une activité professionnelle. Certaines dispositions législatives et réglementaires leur procurent quelques semaines de congés liés à la naissance, mais le législateur ne s’est nullement soucié du problème que l’indispensable congé de maternité pose à l’employeur, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une administration ou d’une association : souvent, c’est un coup dur pour cet organisme, le remplacement provisoire de la jeune maman étant difficile et coûteux.

Le législateur n’a pas compris que l’organisme dont une salariée met au monde un bébé rend un service d’importance nationale, service qui profite au pays tout entier. En bonne justice, cet organisme devrait recevoir de quoi gérer sans qu’il lui en coûte un sou le problème qui lui est posé. Peut-être même pourrait-on envisager une prime de naissance pour l’entreprise ou l’administration employeur de l’heureuse maman ! En jargon économique, il s’agit d’internaliser une externalité : l’employeur agit pour le bien commun en assumant les difficultés que lui posent les grossesses de ses salariées, et comme cela lui coûte, il a droit à des compensations en provenance de la collectivité.

Ce sont des mesures de ce genre qu’il faut mettre au point puis appliquer si l’on ne veut pas en rester à la politique familiale de grand-papa. C’est en innovant intelligemment que l’on sortira de l’ornière démographique où la France risque de s’enliser, alors que sa population a naturellement (mais pour combien de temps encore ?) une propension assez importante à donner la vie.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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