Qui est-ce qui a coulé la SNCF ?

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Par Daniel Moinier Modifié le 13 avril 2018 à 6h14
Sncf Crise Entreprise Publique Etat
54,5 milliards d'eurosLe déficit de la SNCF se monte à 54,5 milliards d'euros.

En ce début d’Avril 2018, la SNCF est en grève tout le monde le constate et chacun a son commentaire sur la question : Grévistes, syndicats, journalistes, politiques, économistes, particuliers et j’en oublie certainement puisque comme chaque fois cela touche presque tout le monde directement ou non.

Avec Air France qui s’est ajouté au tableau, c’est le comble ! Pourquoi la SNCF s’est mise dans cette situation malgré toutes les aides reçues ? Il faut analyser depuis le début les éléments qui sont les facteurs de difficultés de gestion positive.

A sa création en 1938, la SNCF employait 514.700 salariés. A fin 2016, elle comptait 144.742 : 130.045 avec le statut cheminot et 14.697 contractuels (soit 11,6% dont beaucoup de cadres). Par comparaison, en 2010, le nombre de salariés était de 147.117 au statut de cheminot et 7.816 contractuels (chiffre qui a donc presque doublé en 6 ans). En 2016, au niveau de la pyramide des âges, 4% avaient entre 18-24 ans, 25% entre 25-34 ans, 35% entre 35-44 ans, 23% entre 45-54 ans et 12% de 55 ans et plus.

Le statut des cheminots

- Avoir moins de 30 ans au niveau de l’embauche
- Un an de stage d’essai pour les non cadres après embauche, c’est 2 ans ½ pour les cadres
- Seul un licenciement pour faute peut rompre le contrat de travail
- 28 jours de congés payés
- Des RTT en fonction du nombre d’heures travaillées par jour au-delà de 7 heures. Entre 8 et 25 jours de RTT (22 jours en moyenne)

Un régime de retraite spécial
- 52 ans pour les conducteurs de train
- 57 ans pour les autres, mais complètement effective en 2024
- Base de calcul des retraites sur les 6 derniers mois avec une grande partie des primes incluses
- Majoration des pensions pour enfants : 10% pour 3 enfants et 5% par enfant en plus sans plafond
- Réversion sans condition d’âge, ni de ressource
- Une protection sociale avantageuse, avec un réseau de médecins généralistes et spécialistes que l’on peut consulter gratuitement et sans avance de frais
- Jusqu’à 3 jours supplémentaires de congés pour les agents qui ont fait plus de 35 ans dans l’entreprise : Médaille d’or, de vermeil…
- 10 jours de congés payés par an sur un compte épargne (8 jours maximum de CP et 2 jours RTT récupérés) jusqu’à 200 jours maxi en fin d’activité
- Prime d’intéressement appelée dividende : 200 à 400 euros
- Participation aux bénéfices : 0 actuellement
- Treizième mois = Prime de fin d’année = un salaire mois brut, (Contrat sur 12 mois)
- A la place de la bonification de traction supprimée par la réforme de 2010, augmentation de la retraite de 4,6% de la rémunération liquidable
- Prime variable sur objectifs individuels : 0,0% à 1%, (

Exemple :
210 euros suivant poste, pour un salaire mensuel de 1700€), Technicien supérieur non cadre = 50% objectif individuel et 50% objectif collectif = 400 euros.
- Prime de vacances payée en juin = 400 euros bruts.
- Gratification annuelle d’exploitation : 400 à 600 euros (dont 200€ versés en juin pour un salaire de 2000€)
- Abondement annuel sur PEE ou PEG, 300€ maximum pour un versement de 1500 euros.
- Self (Cantine) suivant horaires. Télétravail, jusqu'à 900 à 1510€ de primes, intéressement ou participation, self, tickets restaurant, mutuelle, prévoyance, salle de sport, parking, tickets cinéma, subventions vacances, chèques cadeaux, culture et sport, CE, top employeur, ...
- Tickets restaurant, si pas de cantine (à moins de 10 minutes à pieds)
- Mutuelle d’entreprise (Régime spécifique pour les agents au cadre permanent) obligatoire pour les agents contractuels avec participation entreprise.
- Un Régime de prévoyance.
- Chèque vacances
- Tickets cinéma à prix réduit
- Centres de vacances SNCF
- Tarifs négociés chez les tours opérateurs et centre de vacances
- Chèques cadeaux
- Activités culturelles et sportives du CE

Hors statut :
- Gratuité des billets pour les agents (appelés « facilité de circulation ») (Non dans le statut)

Idem pour les retraités (Seule la réservation est payante, de 1€50 à 17€ suivant le type de train et la fréquentation de la ligne). ?
- Ce tarif est valable pour les agents ainsi que leurs enfants jusqu’à leur 12ème anniversaire. ?
- Ensuite les conjoints et les enfants de plus de 12 ans jusqu'à leur 18ème anniversaire (jusqu'à 22ans en cas d'études) bénéficient de 90% de réduction. ?
- Les parents et grands-parents ainsi que les conjoints bénéficient en outre de 4 voyages gratuits par an.

D'après la Cour des comptes, le système représente pour la SNCF un manque à gagner compris entre 50 et 100 millions d'euros. Le problème de la dette ne vient pas de là. Bien d’autres sociétés offrent des privilèges à leurs employés, notamment EDF, La Poste, les banques, etc…et la fonction publique.

Il faut reprendre l’historique pour bien analyser les points défaillants

514.700 salariés en 1938. Un peu plus de 144.000 aujourd’hui qui partent très tôt en retraite. En 1971, la SNCF se débattait déjà avec son déficit, à tel point que l’état a déjà signé à cette époque, une nouvelle convention pour qu’elle ait plus d’autonomie avec rétablissement de son équilibre financier. C’est l’état qui aura des obligations financières de compensation de service public qu’il lui impose.

Les déficits ne se résorbant toujours pas, il a été créé au 1er janvier 1997, RFF (Réseau Ferré de France) pour gérer les infrastructures. C’est également à cette date que les régions vont accepter un transfert de la compétence du transport régional (TER) pour décharger la SNCF financièrement. Malgré ces deux modifications, les déficits ne s’arrêteront pas, surtout ceux de RFF qui gère le secteur le plus dispendieux.

Les déficits s’accumulant, il est décidé au 1er janvier 2015, sous François Hollande, de regrouper les deux entités SNCF infra (RFF) et SNCF mobilités sous la même direction. Entre 2010 et 2016, la dette a augmenté de 15 milliards d’euros, elle se monte aujourd’hui à 54,5 milliards.

C’est plus que le budget annuel de l’éducation nationale. Si l’état le prenait en charge, ce que demandent les syndicats, cela ferait exploser, le déficit national et repasser allègrement la barre des moins 3% !

Alors quelles sont les causes réelles d’un déficit presque constant ?

Quelle influence pourrait avoir les départs en retraite plus tôt par rapport au privé sur les déficits ?

Supposons que les durées de travail aient été augmentées de 10 années, soit :
- 60 pour les conducteurs et 65 ans pour les autres sur la période 1938-1983 (date de la retraite à 60 ans)
- Puis 60 ans pour tous de 1983 à 2017.

Et toujours 60 ans pour les conducteurs et 62 ans pour les autres après 2017. Cette durée plus importante d’activité depuis le début de la création de la SNCF aurait permis une forte baisse des effectifs tout en gardant les mêmes horaires de travail. Le calcul a été fait en tenant compte des salaires existants tout au long des années. En francs, puis en euros, le tout présentés en euros. Pour info, le salaire moyen après les grèves de 1968 était de 520 francs par mois, soit près de 80 euros d’aujourd’hui.

L’ensemble des années non effectuées (ou des effectifs en moins) toutes charges comprises de 1938 à fin 2017, représente un manque à gagner de plus de 60 milliards d’euros. (Tout en laissant les conducteurs entre 5 années et deux années de travail en moins que la loi générale depuis 2017)

Le déficit apparent à fin 2017 se monte à 54,5 milliards, mais devraient être ajoutées annuellement toutes les subventions, aides gouvernementales, régionales… Les avantages retraite des agents sont en réalité payés par le contribuable, par le biais d’un système de double cotisation patronale particulièrement généreux (37,44% au total en 2017) et d’une subvention qui finance près des deux tiers du coût du régime. Il s’est élevé à 3,2 milliards d’euros, par rapport à un montant des pensions de 5,3 milliards.

Il faut ajouter :
- 5,7 milliards, coût des services ferroviaires payé par les régions et le Syndicat des transports de l’Ile de France.
- 3,1milliards d’achat de matériel roulant pour la modernisation et les extensions de réseaux. (3 milliards non comptés ?) qui serait un déficit supplémentaire au calcul de l’accroissement de la dette !

Dans son rapport Jean Cyril Spinetta a encore ajouté 2 milliards de redevance d’accès au réseau non encore comptabilisé. Le coût annuel des aides se situerait entre 13 et 15 milliards. Soit entre 800 et un peu plus de 900 euros par foyer fiscal par an.

Certains analystes annoncent que ce sont les lourds investissements pour la mise en place des TGV qui se sont faits au détriment des lignes secondaires. Sans TGV est-ce que la SNCF existerait-t-elle encore ? A-t-on compté tous les revenus financiers rapportés par ces lignes ? Le nombre d’autres lignes étaient largement suffisantes pour desservir les campagnes. Le seul reproche pourrait être lié à celui de la maintenance des infrastructures et de certains matériels. Beaucoup n’osent pas attaquer le statut et le défendent même, mais ce n’est pas l’ensemble du statut qui est à incriminer (voir l’analyse ci-dessus) mais les durées d’activité bien trop faibles et encore plus au regard d’une durée de vie qui augmente de 7 heures de plus par jour. Augmentation à elle seule source de nombreux déficit et pas qu’à la SNCF.

Un élément non négligeable a entamé quelque peu les marges de la société, ce sont les grèves

Le coût estimé par Guillaume Pepy son Président, serait de 20 millions d’euros par jour. Celle qui vient de commencer le 2 avril 2018, prévue jusqu’au 28 juin sous forme intermittente : 2 jours de grève suivi de 3 jours travaillées, etc… Si elle allait au bout (voir plus + !), elle coûterait environ 700 millions d’euros, soit 129 euros par agent et par jour. S’il était pris le même coût par agent de 2018, le montant des pertes pour la SNCF serait de 3,3 milliards d’euros.

Sur le schéma ci-dessous vous avez une vue des jours de grève depuis 1938 Le total représente donc 103 jours de grève par agent sur la période 1938-2016 (à ajouter 2017 et surtout 2018…)

Autre point non évoqué, le prix du transport ferroviaire en Europe

La dernière étude place la Suisse, et de loin, en première position des pays les plus chers avec 47,44€ aux 100 kms, suivit du Royaume-Uni 29,50€, l’Espagne 29€, des Pays-Bas 23,50€, l’Allemagne 21€ et la France 17,59€. Sans être au niveau de la Suisse, un prix plus élevé pourrait atténuer très sensiblement les déficits. Cela pourrait être plus facilement accepté si le pouvoir d’achat des français était plus élevé. (Voir un de mes derniers articles sur ce sujet).

Malgré cela, les français devraient se montrer plus enthousiastes concernant « notre SNCF », car le Cabinet BCG (Boston Consulting Group) vient encore de la placer 3ème européenne (ex-aequo avec le Danemark) sur 25 pays, en baisse tout même après une 2ème place en 2012. Le premier pays depuis longtemps est la Suisse, suivi de la Suède 2ème, la France est 2ème dans le classement de la ponctualité, la vitesse, le rapport qualité-prix (Alors que beaucoup de français sont râleurs) devancée seulement par la Finlande. Guillaume Pepy qui dirige la SNCF depuis 2008, a pourtant répondu aux attentes des pouvoirs publics. Il a fortement augmenté le réseau, diminué les prix et les coûts, notamment par une diminution des effectifs.

Il a entrepris une modernisation numérique de la SNCF, il a créé des centaines de filiales pour essayer de faire de la SNCF une entreprise plus agile et présente sur tous les marchés. Maintenant que les lignes TGV sont presque toutes en place, le budget investissement va se restreindre et il pourra être beaucoup plus consacré aux lignes secondaires, à une maintenance optimisée et à des changements ponctuels de matériel. Mais tant que l’on ne touchera pas à l’âge de départ en retraite, il sera difficile d’avoir des comptes équilibrés sur l’ensemble de l’entreprise.

Et ne dites pas que le métier est très pénible comme l’annoncent les grévistes et autres soutiens. Aucun poste ne se ressemble. Et en ce qui concerne les 3 X 8, feux continus, il existe des postes dans des entreprises qui sont largement plus pénibles, avec des conditions de travail, salubrité, déplacements plus compliqués, sans emploi à vie !

www.livre-daniel-moinier.com

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.

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