Réforme du code du travail : le CDI, plus qu’un contrat, un mode de vie ?

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Par Emmanuel Cudry Publié le 22 juillet 2017 à 5h00
France Contrat Travail Cdi Disparition
85 %Plus de 85 % des contrats de travail en France sont des CDI.

Sans conteste, en 3 petites lettres, le CDI cristallise pléthore de fantasmes sociétaux : sécurité, stabilité, prospérité ou encore accession au logement, au crédit…

Sont-ils vraiment des garanties offertes par le CDI ? On en entend beaucoup sur ce Contrat à Durée Indéterminé, sacralisé, adulé, porté aux nues… Porterait-il sur ses épaules un costume plus élégant que celui d'un simple contrat de travail ? Et si, finalement, le CDI était symptomatique d'un problème de regard de la société plutôt que d'un réel problème de travail ?

Marché du travail : une transformation profonde

Finalement, tout laisse à croire que l'on porte sur le travail un regard biaisé, puisqu'il n'est finalement pas concevable de l'aligner avec ce que nous vivons : une société qui est mobile et flexible avec toute la part de risque que cela peut induire mais aussi d'opportunités et de rencontres. Pour autant, face à ces nouveaux enjeux, les propriétaires, assureurs, banquiers, employeurs & consorts sont frileux, absolument pas prêts à accompagner cette nouvelle flexibilité. Or, il est temps que cet état de fait soit partagé des deux côtés de la barrière, et qu'il ne soit tout simplement plus vécu comme une menace, mais comme un nouveau mode de vie.

Cette émergence de modèles variables et flexibles traduit au plus près l'évolution, la transformation profonde mais néanmoins progressive du marché du travail, et surtout des actifs qui le composent ! Ils seront de plus en plus nombreux à opter pour des formes de travail temporaire afin de diversifier les expériences, picorer des instants professionnels et faire plus de découvertes « hors les murs » plutôt que de s'engager platoniquement avec un même employeur pour une longue durée.

Toutes ces formes de contrat et de travail ne sont pas nouvelles et ne sont pas nées avec les plateformes qui ubériseraient le monde du travail. Des secteurs comme la restauration, le médical, la sécurité, l'agriculture fonctionnent avec beaucoup de flexibilité depuis des années pour répondre au mieux à la demande des clients ou des cycles de production. Ses détracteurs diront du CDI qu'il est trop étroit, cloisonnant ; ses défenseurs qu'il s'agit d'une garantie de sécurité que peu de gens sont prêts à perdre. Les mentalités doivent évoluer et il tient du devoir commun que de se poser la bonne question : ce besoin de sécurité est-il intrinsèquement lié au travail ou à la vie elle-même ? Deux batailles radicalement différentes.

CDI = Prison dorée ?

Certes, cette idée de sécurité est rassurante et réconfortante… Lorsqu'on est en recherche de sécurité, on s'expose nécessairement à une forme d'entrave, à une certaine renonciation de son indépendance, voire à consentir d'avoir les mains liées.

Signer un CDI induit nécessairement des mécaniques qui sont de vrais freins structurels à la mobilité, cela dès le commencement du contrat et l'exercice imposé de la période d'essai. En cas d'erreur de casting, qu'elle vienne de l'employeur comme de l'employé, la rupture anticipée peut se résumer par un « Passez par la case départ, ne touchez pas votre chômage ». Le CDI permet l'essai, mais ne permet pas l'erreur. Ce schéma peut être poussé à un stade plus avancé ; en situation de harcèlement, un employé peut se trouver en position défavorable s'il souhaite quitter son emploi, CQFD. Dans notre société, le CDI est un cadeau (empoisonné ?) qui ne se refuse pas, et s'en affranchir n'est pas vraiment encore dans les habitudes. En somme, c'est se retrouver au sein d'une prison dorée où aimer ses geôliers est une nécessité. Il est difficile d'y rentrer mais encore bien plus difficile d'en sortir.

Hors CDI, point de salut ?

Intermittent du spectacle, contrat à durée déterminée, contrat d'intérim, saisonnier, par choix ou non, force est de constater que contrat court rime souvent avec frein dans l'accomplissement d'étapes significatives de la vie. Toutefois, il est illusoire de croire qu'occuper un poste de manière temporaire induit un manque de compétences, de performance ou encore de sérieux. La capacité à s'adapter à des environnements différents (méthodes, horaires, collègues, …) et à être immédiatement opérationnel sont de véritable atouts et des savoir-être de très grandes qualités. Une infirmière, un cariste ou encore un opérateur en CDD sont-ils moins à même de prétendre à la même qualification qu'un employé/salarié permanent ? Ne sont-ils pas plus aptes que la moyenne, avec leurs multiples expériences, à accompagner les entreprises dans leur mutation ? Une fois de plus, c'est une preuve tangible que l'on tend à faire porter au contrat de travail des attributions qui lui sont invariablement exogènes. La prise de risque souffre encore à ce jour d'une mauvaise réputation, tandis que la société se mue progressivement en territoire de mobilité, d'adaptabilité et d'audace. Un comble alors même que ce sont des qualités que l'on intime de cultiver !

Alors, ce contrat court n'aurait-il que des défauts ? Si l'on prend le temps de creuser, ce modèle de collaboration dispose d'atouts qui redistribuent les cartes . En voici quelques exemples : une échappatoire à la pression managériale ou au harcèlement, la possibilité d'explorer de nouvelles expériences et la liberté de ne pas renouveler son contrat si s'en viennent des envies d'ailleurs. Il est probable que tout le monde n'ait pas conscience de ce vaste champ des possibles qui s'ouvre à lui.

Finalement, la seule différence entre “précarité” et liberté ne serait-elle pas qu'une question d'état d'esprit ? Un état d'esprit qui saura se démocratiser lorsqu'un équilibre entre sécurité et risque sera envisagé et surtout promulgué par la société et ses composantes. C'est pourquoi, par exemple, il ne faut plus laisser venir s'immiscer dans cette relation privée qu'est le contrat de travail, les banquiers, assureurs, propriétaires (...). Ce qui peut les intéresser, c'est le revenu d'une personne, mais pas sa forme de travail. Ce serait déjà un premier pas vers plus de sécurité pour accompagner les salariés qui tentent la liberté.

Employeur vs. Employé : et si le pouvoir changeait de mains demain ?

Pour que cette projection devienne réalité, il faut qu'une profonde prise de conscience s'opère, notamment du côté des employeurs. S'ils écoutent et comprennent les nouvelles envies et exigences de leurs salariés, un nouveau raisonnement se mettra progressivement en place et leur évitera de nombreux écueils. N'est-il donc pas temps de repenser le contrat d'association salarié-employeur ? De se laisser la liberté de réévaluer les termes de l'engagement ? Ou encore d'apporter plus de souplesse tout en élaborant des modalités plus sécurisantes ?

Pour rendre le marché du travail plus agile, plus dynamique et avec plus d'opportunités, il faut aussi revoir le terrain de jeu. Ne serait-il pas intéressant de pouvoir rallonger la durée du contrat en fonction des besoins mutuels ? De définir de nouvelles règles symétriques et simples entre l'employeur et le salarié, notamment en cas de rupture ?

Dans ce bras de fer, le travailleur reprend le pouvoir, puisque sans lui, l'entreprise ne peut avancer, ni gagner… Les formes de travail sont amenées à évoluer et les jeunes générations insufflent déjà de nouveaux usages et besoins : de l'intérêt dans la mission acceptée, de la flexibilité dans les horaires, le télétravail,…. Tant de façons d'exprimer différemment une même envie : celle de vivre son travail comme on le souhaite, dans une recherche de liberté, de travailler ensemble vers un objectif commun, de plus d'exaltation. Il y a un envie à multiplier les sentiers que prendra leur parcours professionnel, aux antipodes d'une route unique, tracée d'avance réservant peu de surprise, et surtout génératrice de grandes déceptions au moindre incident.

Avec un tel contexte, tout est réuni pour que loin des positions dogmatiques et clivantes actuelles, actifs et entreprises définissent un nouveau mode de fonctionnement agile et équilibré, pour plus de respect et de sécurité de toutes les parties. C'est une nécessité incontournable pour créer la souplesse et le dynamisme attendus et construire un avenir à la hauteur de nos espérances communes.

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Emmanuel Cudry est Président et co-fondateur de Coffreo.

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