Pas de réforme de l’Etat sans mobilisation du « capital fonctionnaire »

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Par Loïc Jouenne Publié le 17 septembre 2014 à 3h05

Les nombreux chantiers ouverts pour réformer l'Etat et la sphère publique au sens large engagent mécaniquement l'avenir professionnel et personnel de millions de fonctionnaires. La « casse sociale », souvent décriée en parlant du secteur privé, n'est pas une fatalité pour la sphère publique, à condition d'engager un chantier prioritaire : la réforme de la gestion des ressources humaines.

Plus de sens

Les divers projets de réforme de l'Etat engagent, directement ou non, les 4,5 millions de fonctionnaires et le million de contractuels que compte la sphère publique. Le traumatisme de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), engagée en 2007 et qui a achoppé sur le principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, montre qu'une approche purement comptable de la réforme de l'Etat n'est ni fondée en sens, ni envisageable en principe. Que la fusion des Régions, les démarches de mutualisation pour les services de l'Etat et ses opérateurs puissent entraîner des réductions de postes, c'est un fait. Mais ce qui doit guider la démarche, ici, n'est pas tant le souci de l'économie que de l'efficacité réelle des services rendus.

Car avant tout, il convient de répondre à une question simple : pourquoi le service public ? Qu'est-ce qui est, aujourd'hui, le cœur de la mission de service public pour un Etat moderne, son « cœur de métier » ? Se poser la question, c'est déjà commencer à répondre en tournant le regard vers un certain nombre de missions, portées par des femmes et des hommes certes volontaires, mais dont les missions ne relèvent pas nécessairement de la fonction publique. Qui trop embrasse, mal étreint, l'Etat français ne fait pas exception à la règle. Dès lors, un premier pas vers une réforme efficace consiste à remettre à plat les missions que les acteurs publics se sont assignés (par la Loi ou par l'usage) et à déterminer lesquelles pourraient plus utilement être confiées à d'autres acteurs, associatifs ou issus du secteur privé, ou le cas échéant abandonnées.

Marque employeur

Redéfinir ce qui relève du service public doit permettre, en parallèle, de travailler sur le premier levier de renforcement de son efficacité : la qualité des équipes et la fierté d'appartenance. L'Etat est le premier employeur de France. Peut-on pour autant parler d'une marque employeur « service public » ? Où figurent les organisations publiques dans les classements des « best places to work » ? Pourtant, les fonctionnaires de demain, ceux qui seront bientôt à la manœuvre, sont à identifier et à recruter aujourd'hui. Le défi d'attirer les bons profils tout en valorisant ceux qui sont déjà en poste n'est pas anodin. Au-delà, il s'agit d'accompagner les parcours professionnels, de développer un sentiment fort d'appartenance, de stimuler au-delà des émoluments, nécessairement très encadrés. Le service public ne fait pas toujours rêver, sauf pour la sécurité de l'emploi, critère insuffisant pour en garantir l'efficacité.
Il est temps de mettre en avant le sens et la valeur de la mission, la diversité des métiers proposés, la proximité avec les citoyens, le développement des compétences, la richesse des parcours possibles ou encore l'immensité des défis à relever et des réformes à réussir.

Passerelles plus naturelles avec le privé

La richesse des parcours ne doit pas se limiter à progresser dans l'échelle indiciaire, à monter en grade au sein d'une Direction ou d'un service, à décrocher le graal d'un poste de Directeur. Il faut non seulement rendre les fonctions publiques plus perméables entre elles, mais encore favoriser les passerelles plus directes avec le secteur privé. Rien ne justifie ce cloisonnement presque à vie entre la sphère publique et la sphère privée, que l'exception notable de la pratique du « pantouflage » ne rattrape pas. Et pourtant, c'est une réalité qui souligne un autre manquement dans la gestion des ressources humaines : l'adaptation de l'appareil de formation aux nouveaux enjeux, en amont dans la formation initiale, en aval dans la formation continue.
« Réviser le statut de la fonction publique pour garantir une gestion des ressources humaines faisant plus de place à l'expérience, aux compétences acquises, aux responsabilités et aux performances et moins au niveau du recrutement initial. » Telle est l'une des préconisations phares du Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans son récent rapport « Quelle France dans 10 ans ?».

La réforme de l'Etat, de son appareil, ne se fera pas sans la coproduction de ceux qui le font tourner : les fonctionnaires et les contractuels. C'est pourquoi une gestion efficace et stimulante des ressources humaines est impérieuse pour susciter leur adhésion. Cela implique de fortifier et de soutenir une fonction malheureusement encore peu stratégique dans l'écosystème public : le directeur des ressources humaines. C'est à ce prix que, demain, le fonctionnaire ne se considèrera pas comme simple « masse salariale », mais véritablement comme un « capital ».

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Loïc Jouenne est né en 1968. A sa sortie d'HEC en 1991, il s'est intéressé d'emblée à la modernisation de l'Etat et aux réformes territoriales. Son parcours de consultant en stratégie et organisation l'a amené à diriger des équipes au sein de cabinet anglo-saxons, au service d'une grande variété de clients publics en France et à l'étranger. Il est l'auteur de plusieurs articles et publications, dont « l'étude sur le fonctionnaire de demain ». Soucieux de développer des approches sur-mesure, il a rejoint au premier semestre 2014 le cabinet ConvictionsRH (Convictions&Co), pour y créer et y développer une activité de conseil et d'appui auprès d'acteurs publics engagés dans des projets d'envergure.

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