Pourquoi veut-on supprimer la cotisation retraite sur les hauts salaires ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h33
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10000 EUROSLa réforme des retraites prévoit un plafon de cotisation de 10.000 euros par mois.

Le projet de réforme des retraites comporte une disposition éminemment discutable, révélatrice de la conception antédiluvienne des retraites par répartition sur laquelle est basée ce projet. Il s’agit de ne plus prélever la cotisation vieillesse sur la partie des salaires dépassant 120 000 € par an.

Pourquoi les cotisation vieillesse ouvriraient-elles des droits à pension ?

Ce projet gouvernemental est directement lié à l’idée ubuesque que ce sont les cotisations vieillesse qui doivent ouvrir des droits à pension. Rappelons une fois de plus le théorème de Sauvy : « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». De facto, les cotisations vieillesse ne servent pas à préparer les retraites auxquelles, selon le projet de loi, elles vont donner droit sous forme de points ; elles servent à payer les pensions déjà liquidées.

Alfred Sauvy, retraité depuis peu, le disait en substance à une journaliste (Claude Sarraute) qui, voici un demi-siècle, se faisait les mêmes illusions qu’aujourd’hui nos partenaires sociaux, nos parlementaires et notre président de la République : « les cotisations que vous versez, on me les transmet, et je vis très correctement en les dépensant. Bien sûr, il n’en restera rien pour votre retraite à vous, quand vous aurez mon âge. Pour avoir une pension dans 20 ou 30 ans, vous devez compter sur les personnes qui travailleront alors, et dont beaucoup sont aujourd’hui des enfants. Et si ces personnes ne sont pas assez nombreuses, ou sont mal préparées à la vie active, votre pension sera forcément médiocre. »

Le législateur nous fait vivre dans un décor en carton-pâte

Quand ils se nourrissent de l’illusion qu’en répartition les cotisations vieillesse préparent les retraites de ceux qui les versent, nos dirigeants sont incités à faire n’importe quoi, comme par exemple exonérer les salaires perçus au-delà de 10 000 € par mois. Dans la vraie vie, bien différente du décor en carton-pâte édifié par nos gouvernants et nos parlementaires, les retraités comptent sur une juste redevance versée par les actifs sur la totalité des revenus qu’ils tirent de leur travail. Les retraités ont jadis investi dans la jeunesse ; certains de ces jeunes sont devenus des travailleurs au SMIC, mais d’autres ont atteint des niveaux de rémunération très élevés. Tous sont redevables à leurs anciens, qu’ils gagnent 1000 € par mois ou qu’ils en gagnent 20 000. Comme toujours quand on investit, certains éléments de votre portefeuille sont très rentables, et d’autres le sont moins. Si vous renoncez à percevoir en totalité les beaux dividendes fournis par vos investissements les plus performants, vous vous tirez une balle dans le pied.

C’est exactement ce qui risque de se passer, si la partie supérieure des hauts salaires est exemptée de cotisation, sur proposition d’un gouvernement qui ne comprend rien au fonctionnement des retraites dites par répartition, par le vote de parlementaires également ignorants du fonctionnement réel de nos systèmes de retraite. Les Echos de ce jour citent une étude de l’AGIRC-ARRCO qui chiffre à 3,7 Md€ annuels le manque à gagner du système universel de retraite actuellement en gestation s’il est soumis à cette mesure stupide. Ignorer à la fois le B. A. BA de la gestion de portefeuille et le fonctionnement réel des retraites par répartition, basé sur l’accumulation de capital humain, c’en est trop ! La France a beau être un pays solide qui, depuis des siècles, survit à la bêtise d’une forte proportion de ses gouvernants, il existe des limites à ne pas dépasser. Ces limites sont actuellement atteintes, il est plus que temps de confier la manœuvre du navire à de vrais marins !

Ce qu’il faudrait faire

Rappelons une fois de plus ce que feraient des « loups de mer » expérimentés : ils attribueraient les droits à pension, sous forme de points, au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse. Certains investissent surtout en ayant de nombreux enfants, d’autres en abondant les finances publiques, qui doivent dégager environ 130 Md€ chaque année rien que pour la formation initiale de nos jeunes : il faut l’un et l’autre. Des points de retraite doivent être attribués aux parents pour chaque année durant laquelle ils ont la responsabilité (et la charge !) d’un ou plusieurs enfants, et pour les contributions en argent à l’éducation des enfants et des jeunes, aux soins médicaux dont ils ont besoin, aux dépenses liées à la maternité. Quant aux cotisations vieillesse, toujours affectées au versement des pensions, mais également à l’assurance maladie des retraités, elles doivent être considérées comme le dividende versé par les actifs à ceux qui leur ont permis de devenir des travailleurs compétents, et donc ne plus procurer le moindre droit à pension.

Le mensonge est un poison mortel pour la démocratie. Or les systèmes de retraite par répartition sont, dans leur forme actuelle, basés sur le mensonge. Nous devons pratiquer une réforme qui rende le droit positif cohérent avec la réalité économique. Quels hommes politiques voudront-ils bien faire un peu travailler leurs méninges pour le comprendre ?

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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