La restructuration de la dette détenue par les banques centrales est sans doute la «moins mauvaise» des solutions

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Par Christophe Morel Modifié le 23 mars 2023 à 10h04
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60%Les critères de convergence du traité de Maastricht placé à 60% du PIB la zone de danger du ratio d'endettement

La soutenabilité d’une dette publique ne s’apprécie pas à l’aune d’un « plafond » sur le ratio d’endettement, mais d’un excédent primaire « socialement acceptable ».

La notion de soutenabilité de la dette a fortement évolué dans le temps. Sans doute très influencé par l’expérience des crises émergentes, le critère de convergence de Maastricht plaçait la zone de danger du ratio d’endettement public rapporté au PIB à 60%. Après la crise financière mondiale de 2007-2008, les travaux de Reinhart & Rogoff concluaient qu’au-delà de 90%, l’endettement pénalisait la croissance[1]. En fait, la soutenabilité d’une dette publique ne s’apprécie pas à l’aune d’un ratio d’endettement « plafond ». Sur le plan strictement financier, une dette publique n’est plus soutenable lorsqu’elle ne peut plus être supportée par le contribuable. La notion de soutenabilité d’une dette est donc associée à celle d’excédent budgétaire « acceptable socialement », c’est-à-dire le plus fort excédent primaire tolérable sur longue période.

Avec la crise liée au Covid-19, les dettes publiques vont atteindre un nouveau « palier ». Or, plus le ratio d’endettement augmente, plus il faut un effort budgétaire important pour stabiliser la dette, et plus cela est socialement compliqué. Cela l’est d’autant plus que les inégalités (de revenu, de patrimoine et d’accès à des services fondamentaux comme l’éducation et la santé) ont augmenté rendant de plus en plus compliqué toute hausse de la pression fiscale sur les ménages. C’est pourquoi, le plus probable est que les ratios d’endettement publics continuent d’augmenter sur le moyen/long terme, s’approchant d’un niveau insoutenable au sens où cette dette ne peut plus être assumée seulement par les contribuables.

Un endettement élevé n’est pas forcément synonyme de tension financière. L’exemple du Japon montre que c’est une question de « convention politique »

Cependant, le cas japonais montre aussi qu’une dette peut ne plus être soutenable stricto sensu, sans pour autant provoquer immédiatement des tensions financières. Ainsi, un ratio d’endettement très élevé est possible sans tension financière pour peu que 3 conditions soient remplies. D’abord, un solde externe positif qui réduit la dépendance au financement international ; cette contrainte a un pendant, à savoir une économie qui importe peu, et donc qui consomme faiblement[2]. Ensuite, une répression financière avec des achats inconditionnels de la banque centrale. Enfin, la stabilité politique parce que la réponse à la question « qui rembourse une dette ? » est fondamentalement politique (arbitrage entre la génération actuelle et les générations futures, entre les épargnants domestiques et le financement externe, ...) et tant qu’il y a stabilité politique, il y a convention implicite qu’un ratio d’endettement élevé n’est pas gênant. L’initiative franco-allemande de mutualisation de la dette reprise par la Commission européenne constitue un signal politique très fort qui atténue les aléas politiques, conforte la « convention » et, ce faisant, limite les tensions sur les spreads de dettes publiques.

Une restructuration de la dette détenue par les banques centrales est la « moins mauvaise » des solutions

Si les tensions financières sont contenues, il se posera quand même un jour la question de « qui rembourse la dette ? ». Ce sera une décision politique au sens où elle impliquera des transferts. L’annulation de la dette détenue par les banques centrales n’est sûrement pas sans coût notamment si la décision est prise unilatéralement : baisse de la devise et questionnement sur la crédibilité. Cependant, une banque centrale n’est pas un agent économique comme les autres, et l’annulation d’une créance impliquera une annulation d’un passif qui n’est pas exigible. Certes, il y aura moins de liquidités « disponibles » dans l’économie et cela sera ponctuellement perçu comme un resserrement monétaire comme le fut la baisse des réserves excédentaires au bilan de la Fed à partir de 2015. Mais les banques centrales auront les moyens en temps voulu de maintenir des conditions monétaires accommodantes sur les nouveaux prêts. Au final, une restructuration de la dette détenue par les banques centrales est sans doute la « moins mauvaise » des solutions, et en ce sens, elle très probable !

[1] la publication de Herndon et al. (2013) parue dans Cambridge Journal of Economics a ensuite largement remis en question les résultats empiriques de Reinhart & Rogoff (2010).

[2] La prime de risque fiscale du Japon (exprimée au travers du CDS) s’est tendue à chaque fois que l’excédent courant s’est dégradé, notamment, après l’accident nucléaire de Fukushima en 2011 qui avait conduit le Japon à importer de l’énergie.

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Christophe Morel est titulaire d'un DEA Finance (1994), et d'un Doctorat en Gestion (spécialisation finance) de l'Université Paris IX-Dauphine (1997-2000). Il débute sa carrière en 1998 comme Economiste au Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Il était en charge des secteurs banques et assurances. Entre 2000 et 2004, il a rejoint les équipes d'Ixis Asset Management comme Stratégiste de marché " Asie et pays émergents " puis stratégiste " global ". De 2004 à 2006, il fut responsable des départements " Allocation stratégique " et " gestion Overlay " au Fonds de Réserve pour les Retraites. Entre 2006 et 2008, il était Directeur de la gestion " Allocation tactique " chez Natixis Asset Management. Depuis 2008, il avait rejoint Lombard Odier Investment Managers en tant que Deputy CIO du groupe " Asset Allocation ". Début 2013, Christophe Morel rejoint le pôle d'analyse économique de Groupama AM en tant que Chef Economiste.

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