[Best Of] La retraite des fonctionnaires « actifs », un scandale comptable

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Par Jacques Bichot Publié le 11 août 2019 à 20h32
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Cet article initialement publié le 17 mars 2019 vous est proposé en « Best-of » pendant l’été 2019. Lors de sa première publication il a été consulté par 5166 lecteurs.

Le haut-commissariat à la réforme des retraites vient d’examiner les conditions de départ anticipé accordées aux fonctionnaires dits « actifs ». Ne nous appesantissons pas sur l’adjectif « actif » utilisé pour désigner des emplois physiquement ou psychologiquement pénibles, comme celui des CRS chargés de canaliser des manifestants excités ou celui des infirmières amenées à soulever et réconforter des malades grabataires : dans le jargon administratif, il désigne des fonctions caractérisées par ce que, dans le privé, on nomme « pénibilité ». Le problème à étudier est celui du droit au départ anticipé accordé à ces fonctionnaires classés « actifs ».

Le compte professionnel de prévention

Pour les salariés du secteur privé, la pénibilité du travail donne lieu à une compensation mesurée par des « points » inscrits sur un « compte professionnel de prévention » (C2P pour les intimes). Ce C2P est le résultat de la transformation de ce qui s’appelait jusqu’à l’automne 2017 « compte de pénibilité », transformation réalisée par ordonnance du 22 septembre 2017 signée Emmanuel Macron. Les périodes d’exposition à des conditions de travail pénibles donnent droit à l’attribution de points, dûment inscrits sur ce compte. Lesdits points peuvent servir, soit à bénéficier d’une formation, soit à être exonéré de décote lors d’un départ à la retraite anticipé.

Curieusement, cette formule n’a pas été appliquée aux fonctionnaires : il ne semble pas qu’ils aient droit à la « prévention », mot flatteur mais pas tout-à-fait exact pour désigner une formation rendant possible un changement d’activité professionnelle. Les 765 000 fonctionnaires « actifs » relèvent pour 59 % d’entre eux de la fonction publique hospitalière, 23 % servent l’Etat, et 18 % les collectivités territoriales ; beaucoup seraient probablement intéressés par des formations leur permettant une évolution vers des emplois moins pénibles, pourquoi ne leur donner comme compensation que le droit à une retraite anticipée ?

La dissimulation du coût de la pénibilité dans la fonction publique

Percevoir une pension nettement avant 62 ans, cela est un avantage pour le fonctionnaire concerné, mais c’est un coût pour les finances publiques. Toutefois, ce coût est différé : le travail pénible effectué à 30 ans est rémunéré pour une partie notable sous forme d’une promesse de quelques années de pension supplémentaires, prestations qui ne seront versées que nettement plus tard, par exemple un quart de siècle. Autrement dit, ce sont les ministres du budget ou des finances des années 2030 à 2050 qui auront à trouver les recettes nécessaires à la compensation de la pénibilité d’un travail effectué en 2019.

Une telle situation est très malsaine, et de plus elle constitue une entorse au principe posé par l’article 47-2 de la Constitution, qui dispose : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. » La pension servie au cours des premières années de retraite, disons par exemple 2040 à 2044, lorsqu’elle constitue la contrepartie de la pénibilité du travail effectué dans les années 2010 à 2039, devrait clairement donner lieu à constitution de provisions durant toutes ces années.

Plus précisément, les administrations concernées devraient abonder une sorte de fonds de pension donnant aux fonctionnaires « actifs » la possibilité de percevoir une pension durant quelques années précédant l’âge « normal » de départ en retraite (l’âge dit « pivot », dans un régime moderne). Dès lors, les dépenses engagées en 2019 seraient dûment payées, sous forme de cotisations à un fonds de pension, sur les budgets 2019. Demander à nos enfants ou petit-enfants de payer à notre place, dans un certain nombre d’années, une partie du travail effectué aujourd’hui par les fonctionnaires « actifs », c’est anormal, et même inadmissible.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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