L’Allemagne délocalise ses seniors

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Par Charles Sannat Publié le 21 janvier 2013 à 11h39

Un article qui nous vient du Royaume-Uni, du Guardian, et intitulé « L’Allemagne exporte ses vieux » montre à quel point le vieillissement de la population, le financement des retraites et de la dépendance devient un problème insoluble. Mais ce qui retient mon intérêt dans cet article, c’est le chiffre actuel avancé de 400 000 seniors dans l’incapacité de payer leur maison de retraite, dont le coût très similaire à celui en France est compris entre 2 900 et 3 400 € par mois. Une grande association allemande attire donc l’attention du gouvernement sur le fait qu’il est hors de question de « déporter ceux qui ont fait de l’Allemagne ce qu’elle est devenue ». Encore faut-il en avoir les moyens, mais vous l’aurez compris, l’ampleur de ce mouvement va rapidement poser des questions essentielles sur ce que c’est qu’une nation, le rapport entre les générations, les responsabilités des uns à l’égard des autres.

Il ne s’agit pas d’assistanat dans tout ça. Il s’agit de savoir si on doit euthanasier nos seniors ou pas. Il s’agit de savoir jusqu’à quel prix on laisse vivre quelqu’un. Choquant n’est-ce pas ? Pourtant, bien qu’encore personne n’ose vous le dire, c’est bien cela la réalité cachée. Le coût du vieillissement alors que nous avons le coût de la crise à absorber… l’équation est délicate. Très délicate. La crise apparaîtra bientôt financièrement insurmontable pour de très nombreux pays occidentaux. Le coût du vieillissement de la population et de retraite doit être financé maintenant et ce coût n’est tout simplement pas supportable par une économie saine, encore moins évidemment par des économies malades.

Alors, en attendant, on peut toujours exporter nos vieux en les délocalisant dans des maisons de retraite low cost à l’étranger, là où la main d’œuvre plus ou moins qualifiée coûte moins cher. Ce sera sans doute l’ultime avatar d’une mondialisation, d’une globalisation et tout simplement d’un monde devenu fou et sans repères car désormais c’est la nature même des nations et des peuples qui est remise en cause. La primauté du politique sur l’économique a toujours été une réalité. Disons que ces trente dernières années, voire quarante, nous avons décidé d’abandonner notre pouvoir politique au profit du pouvoir économique, mais ce n’est en aucun cas une fatalité et il ne tient qu’aux peuples de reprendre le pouvoir.

Certains, pour ne pas dire beaucoup, me diront que c’est de la naïveté, de l’idéalisme ou les deux à la fois. Je répondrai simplement que les peuples restent au bout du compte maître de leur destin ou les victimes consentantes d’un destin qu’on leur propose. Il en fallait du courage, de la naïveté et de l’idéalisme pour dire « non » en 1940, et pourtant cela a été fait. Paradoxalement, je pense que l’on arrive au point où, désormais, l’économie dans sa forme actuelle – à savoir une espèce de libéralisme totalement dégénéré où les profits des banques sont privatisés et les pertes socialisées de façon inouïe – va se confronter à la raison d’État.

La raison d’État

La raison d’État est un concept complexe à définir. C’est un peu une auberge espagnole intellectuelle. Néanmoins, on peut en général s’accorder sur le fait que la raison d’État permet de s’affranchir des lois pour permettre de sauvegarder ce que l’on qualifie d’intérêt national supérieur. Bien souvent, lorsque la raison d’État est invoquée c’est que l’existence même d’une nation est potentiellement menacée. Nous y sommes, et pas qu’en France bien entendu. L’homme vit dans le présent. Tout ce qui est, a été et sera toujours. Nous sommes ainsi faits. Pourtant, le monde va changer radicalement dans les années qui viennent et ce sera un changement global. Beaucoup diront que dans un monde ouvert comme le nôtre, on ne peut rien faire seul. Je pense l’inverse, mais ce n’est pas le débat. Car nous n’aurons sans doute pas à le faire seul et paradoxalement ce sont les États-Unis qui devraient ouvrir le bal, car ce sont eux qui ont le plus à perdre dans l’évolution actuelle de la situation. Cela fait quelques siècles que la France n’a plus de leadership à défendre. Ce n’est pas le cas des USA.

Le FMI, bras armé de Washington

Un article de Marianne du 18 janvier intitulé « L’incroyable erreur des experts du FMI » explique qu’un récent rapport de la Direction du FMI montre à quel point le Fonds monétaire international a sous-estimé les conséquences des politiques d’austérité et à quel point ces dernières sont vouées à l’échec car entraînant des récessions telles que les pays deviennent aussitôt ou presque insolvables, ce qui est disons-le clairement le cas de la Grèce. Le titre de l’article de Marianne et le reste de l’article passent, à mon sens, à côté tout simplement de la réalité. Ce n’est pas une erreur. Le FMI n’a commis aucune erreur.

Le FMI a été créé suite aux accords de Bretton Woods. Il est devenu, dans un contexte de guerre froide entre les deux blocs, un outil – certains diront une arme – détenu par les USA pour empêcher l’expansion soviétique et également acheter à vil prix certaines économies étrangères notamment en Amérique du Sud. Les résultats des politiques d’austérité ne sont pas nouveaux. On ne les a pas découverts avec la Grèce. L’Argentine en 2001 fut un exemple… exemplaire, ainsi que la Malaisie en 1998, et de façon générale l’ensemble des pays qui ont fait appel au FMI qui a toujours, TOUJOURS mis en place des PAS, c’est-à-dire des plans d’ajustement structurels qui sont génétiquement des plans d’austérité avec baisse drastique des dépenses en général sociales, baisse des impôts et privatisation du maximum de secteurs, surtout ceux dignes d’intérêt pour les entreprises de l’Oncle Sam.

Tant que cela concerne des économies périphériques, la politique de rigueur est dans l’intérêt des grandes firmes US qui profitent à plein des privatisations bradées. Si l’on suit aujourd’hui la politique mise en place pendant 40 ans par les experts du FMI dans de « petits » pays, les États-Unis d’Amérique devraient sans aucun doute se lancer dans un plan d’ajustement structurel majeur… mais ce serait signer l’arrêt de mort du leadership américain, d’autant plus que l’empire du Milieu, la Chine, attend patiemment en embuscade la chute du fruit mûr.

Au nom de la raison d’État, les règles du jeu vont changer

Je parlais au début de la primauté du politique sur l’économique. L’économie n’a été que l’un des outils brillamment utilisés par les Américains pour conquérir de façon (presque) pacifique la place de pays numéro un. Il ne faut pas imaginer que les USA vont se laisser dépasser sans combattre et ce combat sera un combat titanesque, d’abord entre des forces au sein même des États-Unis et ensuite au niveau international sans oublier les aspects monétaires. Ce combat vient de commencer.

Le combat vient de commencer

Reprenons. Le FMI sort un rapport en disant : « On a mal calculé l’impact de nos politiques d’austérité et il nous a fallu 40 ans pour nous en rendre compte… » Pas très crédible. L’une des spécialités de nos grands « amis » américains est le changement de règle du jeu à leur convenance. Une règle qu’ils imposent, y compris en se servant d’amicales pressions (pouvant être exercées grâce à la flotte de porte-avions la plus importante), n’est utile que tant qu’elle arrange les intérêts américains. Jusqu’à présent, l’austérité à la sauce FMI leur permettait de racheter des pans entiers de pays à la dérive. Le problème c’est qu’aujourd’hui ce sont eux qui sont à la dérive.

Heureusement, le FMI vient de faire son mea culpa en reconnaissant son erreur. Mais le FMI va plus loin. Beaucoup plus loin. Dans un autre rapport du mois d’août 2012 passé quasiment inaperçu et intitulé le « The Chicago Plan Revisited », le FMI donne la vision de ce que pourrait être l’une des solutions pour s’en sortir. Ce rapport est passionnant car il propose le retour au « 100 % money ». Le 100 % money, ce serait un retour pour la France par exemple au mode de fonctionnement que nous avions avant la loi de 1973, où la Banque de France ne prêtait plus directement au Trésor. Le retour au 100 % money sonnerait la fin des banques et de la financiarisation actuelle. Pour le moment, les banques empruntent à 0 % ou guère plus pour reprêter aux États à des taux largement supérieurs. La différence c’est leurs marges et leurs bénéfices.

Mais on peut faire autrement, puisque l’on faisait autrement. C’est probablement ce qui va finir par se passer.

La guerre civile américaine

Évidemment, les banques ne l’entendent pas forcément de cette oreille. Si les banques centrales prêtaient directement aux États… il n’y aurait plus de travail facile fortement rémunérateur pour les banquiers. Pourtant, historiquement, les liens entre le pouvoir américain et les banquiers sont extrêmement forts. Au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, les services secrets anglo-saxons étaient tenus par… des banquiers. Une partie non négligeable de la finance US est profondément patriote. De l’autre côté, le pouvoir militaro-industriel dont le poids est également historique. Ils ne veulent pas entendre parler de rigueur budgétaire, de réduction de dépenses (si ce n’est sociales). Leur objectif ? Le maintien de revenus importants et de la suprématie de l’hégémonie politique et militaire américaine qui seraient compromis par une politique d’austérité massive qui semble pourtant indispensable.

Il existe une ligne de crête

La seule solution : sortir du système et du cadre actuels. Redonner aux banques centrales le droit de refinancer les Trésors Nationaux. Rembourser les dettes avec de l’argent imprimé fraîchement et emprunté à taux zéro auprès de la Banque centrale. Rien que pour notre pays, le service de la dette, c’est-à-dire les intérêts que nous devons payer chaque année, représente le premier ou deuxième poste de dépenses de l’État, soit environ 50 à 60 milliards d’euros… Imaginez les gains !! Cette solution ne sera utilisée qu’en dernier recours et lorsqu’il n’y aura plus que le choix entre une rigueur insupportable et la perte du leadership américain ou le sacrifice des gains des banques.

Face à la raison d’État, les banquiers perdront. Les Banques centrales refinanceront directement les États, la création monétaire nécessaire pour sortir de l’impasse financière créera un moment plus ou moins long d’inflation forte. L’or en sortira comme le grand gagnant et permettra de refonder un système monétaire international certainement mieux équilibré et basé sur les véritables richesses que sont certaines matières premières et les métaux précieux. Le protectionnisme fera son grand retour et pourrait permettre de faire en partie dérailler la Chine.

De très nombreux épargnants seront ruinés, mais ce ne sera pas la première fois. Les obligations d’État ne vaudront plus grand-chose, et les grands perdants seront certains pays excédentaires comme la Chine – qui récupérera sans doute Taiwan en échange de quelques paquets de dollars ne valant plus rien et de l’économie d’une guerre – et les pétromonarchies qui n’ont plus beaucoup de pétrole… contrairement aux États-Unis qui exploitent désormais leur gaz de schiste. Ils deviendront autosuffisants… et pourront ainsi ne pas rembourser leur dette sans craindre de rétorsion.

Dès lors, l’Europe n’aura plus qu’à trouver sa propre voie. Nous ne sommes pas encore à la réalisation de ce scénario mais sa probabilité se rapproche car, au bout du compte, nous aurons le choix entre le chaos ou la fin des profits des banquiers, ce qui sera somme toute mondialement très populaire.

D'autres articles du même auteur sur le site du contrarien.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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