Retraites : le pouvoir abuse de notre patience

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Par Jacques Bichot Publié le 4 avril 2019 à 5h43
Senior Travail Barometre

Age de la retraite, durée d’assurance : l’ancien monde des retraites n’en finit pas de mourir. Déjà Delevoye s’était engagé, pour rassurer certains de ses interlocuteurs, à « maintenir l’âge légal de départ à 62 ans », alors que la notion d’âge légal n’a aucun sens dans un régime par points, mais voilà maintenant que, si l’on en croit Les Echos du 3 avril, que « Matignon étudie surtout la possibilité d’accélérer le rythme d’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans ».

Rappelons donc le B. A. BA de la retraite annoncée par E. Macron durant la campagne électorale : chaque euro cotisé donne droit à X points ; lorsque le cotisant veut liquider tout ou partie des points qu’il a engrangé, on calcule d’abord la pension qu’il obtiendrait si cette liquidation avait lieu à un âge dit « pivot », ce qui se fait en multipliant le nombre de points par une « valeur de service du point », pour reprendre la terminologie AGIRC-ARRCO, puis le montant mensuel de la pension s’obtient en appliquant à ce montant un coefficient actuariel qui dépend de l’âge effectif de la personne concernée.

Dans un tel système, il n’y a pas d’âge légal de la retraite : chacun choisit librement la date de liquidation de sa pension, ou d’une partie de sa pension, car rien n’oblige à tout liquider en une seule fois. Cette possibilité de liquidation fractionnée est très pratique pour les personnes qui souhaitent terminer leur vie professionnelle en passant à temps partiel. L’avenir est à la souplesse : chacun doit pouvoir cumuler un revenu d’activité et une pension de façon à organiser sa cessation progressive d’activité professionnelle comme bon lui semble, et comme le lui permettent les opportunités du marché du travail.

Pourquoi donc des personnages politiques qui n’ont visiblement rien compris au film viennent-ils embrouiller les Français avec une notion obsolète ? Et pourquoi Matignon augmente-t-il l’embrouillamini en brandissant la relique antique et solennelle qu’est la durée de cotisation ? Le Premier Ministre et ses acolytes n’ont-ils pas entendu E. Macron promettre aux Français que, dans le nouveau système, tout reposerait sur les points acquis en cotisant ? Si l’on a 10 000 points, peu importe qu’on les ait gagnés en 20 ans ou en 50 ans : exit la notion de durée de cotisation ! Cette novation est fondamentale : comment peut-il se faire qu’à Matignon on l’ait oubliée, que l’on continue à raisonner en utilisant le schéma périmé appliqué dans les systèmes qui fonctionnent « par annuités », ou par trimestres ?

A la décharge des « cons de Matignon », pour reprendre la gracieuse expression employée par Jean-Paul Delevoye si l’on en croit le Canard enchaîné, il est vrai que nous ne résoudrons par le problème des retraites et de la dépendance (étroitement liés, quoi qu’en disent certains amateurs de cloisonnements) si l’objectif du travailleur français moyen est de se retirer du marché du travail à 60 ans, ou à 62 ans. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut continuer à employer la technique obsolète d’un « âge légal de la retraite ». Il y a mieux à faire, en misant sur la valeur bien française de liberté.

Les Français ne sont pas idiots : ils comprennent si on leur dit que la valeur de service du point sera multipliée, pour le calcul de la pension, par un coefficient actuariel dépendant de leur espérance de vie, coefficient calculé de telle façon que la Caisse de retraites soit financièrement à l’abri des petits malins qui croiraient faire une bonne affaire en partant tôt parce qu’aucun règlement ne les en empêche. Chacun sait qu’on ne peut pas avoir le beurre (arrêter de travailler tôt sans avoir acquis beaucoup de points) et l’argent du beurre (une confortable pension mensuelle). Que nos dirigeants arrêtent le caporalisme et prennent les quelques minutes nécessaires pour apprendre comment fonctionne un système de retraite par répartition moderne.

Parler de « réforme d’âge », comme le fait Gérald Darmanin, alors que l’âge pivot est une variable de commande qui doit être entre les mains des gestionnaires du régime unique, appuyés sur les travaux d’une solide équipe d’actuaires, c’est montrer que l’on ne comprend rien à rien. Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a eu parfaitement raison d’appeler « mesure paramétrique » ce que le ministre des comptes publics nomme pompeusement et injustement « réforme ». Il faut dépolitiser la gestion des retraites. Sans prendre nos ministres pour des émules de Catalina, on peut leur dire, à la manière de Cicéron : « jusques à quand abuserez-vous de notre patience ? »

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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