Retraites : des projets vraiment primaires

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Par Jacques Bichot Publié le 15 juillet 2016 à 5h00
France Reforme Retraites Politique
16 millionsLa France compte environ 16 millions de retraités.

Les Echos du 11 juillet résument ainsi les positions en matière de réforme des retraites des candidats à la primaire des Républicains : « Tous les candidats prônent une hausse de l’âge légal de départ et la fin des régimes spéciaux. »

Ces quelques mots montrent à quel point ces personnalités sont éloignées de la réflexion systémique qui serait nécessaire pour engager les réformes dont notre pays a besoin. Bouger les curseurs, ce n’est pas le niveau de responsabilité du Président de la République, ni du Parlement. Ces candidats raisonnent comme des boutiquiers qui se demandent s’il ne faudrait pas passer de 5 € à 4,50 € le prix du kilo de cerises. Ils ne se rendent pas compte que leur responsabilité est stratégique, systémique, et non pas tactique, opérationnelle. De même que ce n’est pas au ministre de la défense de décider à quelle vitesse les Rafales doivent voler quand ils vont bombarder Daech, de même ce n’est pas au Président de la République de fixer l’âge de départ à la retraite.

Bouger un curseur est un acte de gestion courante ; cela relève de la responsabilité des gestionnaires, éclairés par les actuaires. Les pouvoirs publics doivent pouvoir sanctionner les dits gestionnaires s’ils font mal leur travail, comme un Conseil d’administration doit pouvoir « remercier » un directeur général et son équipe s’ils s’avèrent incapables de faire progresser l’entreprise (ou de la redresser). Mais si le Parlement, le Gouvernement et la Présidence sont gestionnaires de fait, qui va les sanctionner ? Il est facile de répondre « les électeurs », mais les élections ont lieu seulement tous les 5 ans, et ces consultations portent sur un nombre très élevé de sujets. Un système dans lequel les Français sont amenés à conserver les responsables d’une gestion calamiteuse des retraites par répartition parce qu’ils sont les moins mauvais en matière de diplomatie ou de formation initiale est un système bancal.

À cet égard, signalons la responsabilité particulière d’Alain Juppé, acteur principal de l’instauration en 1995 – par une réforme constitutionnelle – des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS). Ces lois confient au Parlement le soin de décider dans le détail, sur proposition du Gouvernement, de la gestion de la sécurité sociale. La confusion des rôles est totale ; l’absence de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et gestionnaire est dramatique. Dans L’Esprit des lois Montesquieu n’a pas parlé du pouvoir gestionnaire, car à l’époque il existait peu de services publics, et notamment pas de sécurité sociale, mais ses émules doivent aujourd’hui évidemment prolonger sa réflexion dans ce sens ; le malheur est qu’aucun candidat ne s’élève à ce niveau.

La responsabilité du Parlement, en matière de sécurité sociale, devrait être soigneusement redéfinie. Au lieu de bouger les curseurs (âge légal de la retraite, nombre d’années d’assurance requises pour avoir droit au taux plein, valeur des coefficients de décote et de surcote, etc.) le législateur doit définir les instruments de commande mis à la disposition des gestionnaires (les « curseurs ») ainsi que les objectifs à atteindre – à commencer par l’équilibre financier sur moyenne période. Il doit également préciser l’organisation générale de la sécurité sociale, et notamment du système de retraites par répartition. Or, précisément, ni ces commandes ni cette organisation générale ne sont actuellement celles qui conviennent.

Premièrement, la notion d’âge de la retraite est surannée. Elle est également contraire à l’esprit même de la Constitution, et plus précisément du texte à valeur constitutionnel le plus important – la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – pour lequel la liberté de chacun n’a d’autre limite que les torts causés à autrui. Les pays qui, dans le domaine des retraites, se conforment à cet esprit (en particulier les États-Unis, l’Allemagne et la Suède), n’ont pas des « âges de la retraite », mais des âges pivot qui servent au calcul de la pension – laquelle est prise à l’âge qui convient à l’assuré social.

Le montant qui serait celui de la pension en cas de liquidation à l’âge pivot est multiplié par un coefficient (dit actuariel) calculé de telle façon que la charge pour la caisse de retraite soit indépendante de l’âge auquel l’assuré social choisit de la liquider. Vous voulez votre pension dès 60 ans ? libre à vous, mais ce ne sera pas aux dépens des autres assurés sociaux : l’arrérage mensuel sera plus modeste, puisque vous le percevrez plus longtemps. Vous préférez attendre 70 ans ? libre à vous, et vous ne serez pas le dindon de la farce : le montant mensuel de la pension sera plus élevé puisque vous le percevrez moins longtemps. En termes savants cela s’appelle « neutralité actuarielle » ; c’est le moyen de concilier la liberté individuelle et l’équité.

Deuxièmement, la multiplicité des régimes est un non-sens. Non seulement elle aboutit à ce que certains Français soient « plus égaux » que d’autres, mais elle empêche toute gestion efficace. Les candidats en ont conscience, mais ils se bornent à répéter « rapprochement des régimes », leitmotiv qui constitue depuis plusieurs décennies le fond de sauce des projets de réforme inefficaces. Il faut carrément fusionner les 3 douzaines de régimes disparates qui existent actuellement. Ce ne sera pas facile, mais c’est faisable, en convertissant en points du nouveau régime unique tous les droits à pension acquis dans les divers régimes actuels, qu’ils fonctionnent par annuités ou par points. Cerise sur le gâteau, cette fusion apporterait sur les frais de fonctionnement une économie annuelle de 2 à 3 Milliards d’euros.

Troisièmement, il faut poser la question des rapports entre l’assurance maladie et l’assurance vieillesse. Les personnes âgées coûtent à l’assurance maladie beaucoup plus cher que les jeunes et les adultes jusqu’à 60 ou 70 ans. Or ce ne sont pas les retraités qui payent la partie principale des soins dont ils bénéficient, ce sont les actifs. Il n’y aura pas de vérité économique tant que les cotisations vieillesse ne seront pas établies sur une base permettant de financer non seulement les pensions, mais aussi l’assurance maladie des retraités. Les travailleurs ont le droit de savoir ce que ces derniers leur coûtent réellement.

Plusieurs autres points relatifs aux retraites devraient figurer dans les programmes des candidats à la primaire, mais les exposer allongerait trop notre propos. L’essentiel est de comprendre que la France a besoin d’esprits plus alertes, moins prisonniers de conceptions « politiquement correctes ».

L’innovation n’est pas seulement la création de logiciels permettant de doter nos smartphones d’une application supplémentaire ; il faut également faire preuve de créativité dans la gouvernance de notre sphère publique. Plus précisément, il ne s’agit pas d’ajouter des gadgets à la montagne de dispositifs hétéroclites qui constituent notre État et notre État providence ; il faut se livrer à une réflexion en profondeur pour déterminer ce qui ne va pas et quels changements structurels seraient nécessaires pour sortir des ornières où des décennies d’amateurisme nous ont enlisés. Messieurs les candidats et Mesdames les candidates, vous avez beaucoup de retard, au travail !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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