Revenu universel : quand les « libéraux » combattent le libéralisme

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Par Eric Verhaeghe Publié le 6 juin 2016 à 9h51
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78%78 % des Suisses ont rejeté dimanche 5 juin 2016 le revenu universel.

Pourquoi des gens qui se prétendent libéraux s’acharnent-ils à combattre une vision libérale du revenu universel? Il fallait bien finir par poser ouvertement cette question sur laquelle les avertissements n’ont pourtant pas manqué.

La version libérale du revenu universel

Rappelons d’abord la version libérale du revenu universel, qui est extrêmement simple à comprendre: il s’agit de remplacer les cotisations sociales qui épuisent l’économie française par un impôt équivalent (environ 500 milliards par an) qui financera une allocation de 500 euros par mois permettant à chacun, tout au long de sa vie et sur une base égalitaire, de souscrire au contrat de protection sociale de son choix. Ce système limpide, évident, repose sur l’obligation de s’assurer socialement, mais sur la liberté de choix de l’assureur.

Pour le tempérer, l’Etat conserve une fonction: la prise en charge des maladies graves, pour laquelle il serait même possible d’augmenter les budgets (à titre personnel, je propose 100 milliards d’euros au lieu des 75 actuels).

Cette solution est compréhensible par tout le monde et a l’avantage de redonner à chacun des marges de responsabilité, tout en garantissant une stabilité de la pression fiscale.

Le ralliement de la gauche étatiste à cette solution

Dans une note récente évoquée sur ce blog, la Fondation Jean Jaurès, bien plus à gauche que le think tank Terra Nova, a rallié cette idée, au moins partiellement, en soutenant que le revenu universel pourrait se substituer à l’assurance maladie. On remarquera que l’idée est ici moins solidaire que celle que je défends, puisqu’elle ne prévoit pas que les graves maladies demeurent dans l’escarcelle de l’Etat, ce qui me semble une erreur.

Mais on notera en tout cas que l’utilisation du revenu universel comme levier pour accroître la responsabilité des individus dans la prise en charge de leur destin a fait une sérieuse percée à gauche.

Le combat des libéraux contre la responsabilité individuelle

Assez curieusement, des mouvements qui se sont prétendus libéraux ont vu rouge lorsqu’une entité proche du Parti Socialiste les a débordés sur leur droite et s’est montré beaucoup moins frileux qu’eux dans une volonté d’émancipation vis-à-vis du papa Etat tout puissant qui prend tout en charge et qui pense à tout pour l’avenir de ses enfants.

On trouve donc un hallucinant article sur le site des bien-pensants membres du Mouvement Français pour un Revenu de Base, intitulé: « Rapport de la fondation Jean Jaurès : vigilance sur la protection sociale« . On lit dans cet article:

Le MFRB rappelle que sa charte indique que « l’instauration d’un revenu de base ne doit pas remettre en cause les systèmes publics d’assurances sociales, mais compléter et améliorer la protection sociale existante. » Ainsi le revenu de base doit être un pilier supplémentaire de la protection sociale, et non pas un pilier qui viendrait se substituer à tous les autres.

L’erreur de la Fondation Jean Jaurès vient de leur postulat de départ suivant lequel un revenu de base doit être mis en place sans augmenter la dépense publique. Les auteurs reprennent à leur compte l’engagement du Président de la République à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, en supposant que cela risquerait de dégrader le consentement à l’impôt des contribuables aisés. Or, ce n’est pas l’augmentation d’impôt qui compte pour ces contribuables, mais leur revenu disponible à la fin du mois, après avoir payé les impôts et reçu leur revenu de base. Il existe justement des propositions de revenu de base où les contribuables voient l’augmentation d’impôt qu’ils supportent compensée par le revenu de base qu’ils perçoivent : cela dépend des paramètres fiscaux choisis.

Que des gens proposent de financer le revenu universel par une usine à gaz fiscale me paraît tout à fait respectable même si j’en combats l’idée. Simplement, il faut avoir l’honnêteté, lorsqu’on défend cette position, d’assumer les deux postulats qui en découle: oui, on souhaite une augmentation de la pression fiscale (même si l’impôt prélevé est ensuite redistribué), non, on n’aime pas le libéralisme quand on prône cette doctrine.

Le lobbying à l’ancienne des étatistes

Qu’il me soit permis ici de mettre les pieds dans le plat, car j’ai toujours trouvé insupportable le discours de ceux qui prétendent faire du neuf avec des méthodes à l’ancienne. En l’espèce, la méthode consiste à avancer des propositions étatistes derrière une série de masques mensongers poussés auprès de tous les puissants incompétents de ce monde.

Le MFRB n’a donc lésiné devant aucun sacrifice pour influencer la décision publique dans des conditions d’opacité qui prouvent une fois de plus que bien-pensance et manipulations font très bon ménage.

Par exemple, le MFRB s’est livré à un manège de coulisses extravagant avec le candidat à la primaire des Républicains Frédéric Lefebvre, qui a même déposé un amendement favorable au revenu de base à l’Assemblée Nationale, sans qu’on soit sûr qu’il ait bien compris de quoi il s’agissait. De l’aveu public même du très habile et clairvoyant Lefebvre, le lien avec le MFRB tient d’abord à une relation historique entre le candidat républicain et le co-fondateur du mouvement, Marc de Basquiat, qui aurait plaidé, en son temps, pour la désastreuse et très étatiste garantie des risques locatifs. Ce dernier aurait convaincu Lefebvre de l’intérêt de sa proposition, ce qui prouve une fois la différence entre les Républicains et le libéralisme.

Le même Marc de Basquiat est par la suite devenu président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence, dont je dirai quelques mots, et a co-écrit avec Gaspard Koenig, gourou auto-proclamé libéral du think tank Générations Libres, installé à Londres, et ancienne plume de Christine Lagarde, un ouvrage sur le revenu universel. Il continue à expliquer sur le site de Générations Libres que le revenu universel ne doit pas servir à réformer le financement de la protection sociale.

Voilà ce que j’appelle du lobbying à l’ancienne: percoler des idées d’un bord politique, ou d’une certaine vision politique, dans des structures qui prétendent défendre des visées aux antipodes de celles qu’on défend.

L’AIRE et ses paradoxes de faux-monnayeur

Sur ce point, on ne manquera pas relever la masse de sophismes utilisés par Marc de Basquiat pour « vendre » sa soupe. J’en reprends juste quelques-uns dans une interview au Figaro:

Il me semble indispensable d’avoir un système plus simple pour des questions d’efficacité mais également de transparence. (…)

Je préconise le versement d’un revenu de base à tous les Français sous la forme d’un crédit d’impôt. Le montant pourrait être de 470 euros par mois et par adulte, de 200 euros pour les enfants de moins de 14 ans et de 270 euros pour les enfants de 14 à 18 ans.

En contrepartie, les impôts seraient simplifiés, tout le monde contribuerait à hauteur de 25% de ses revenus. Ainsi, le prélèvement et le crédit d’impôt se compenserait. (…)

Après, j’envisage la mise en place d’un impôt sur le patrimoine et une refonte de la CSG. De fait, la CSG qui est aujourd’hui de 7,5% des revenus d’activité salariée passerait à 13% de tous les revenus, ce qui permettrait de financer toute la santé.

Les taxes telles que la TVA et la TIPP pourraient également être maintenues.

Chacun aura constaté que le système « simple » qui est proposé consiste à compenser « le prélèvement et le crédit d’impôt » (notion à laquelle je n’ai personnellement toujours rien comprise), à créer un impôt sur le patrimoine et à faire passer la CSG à 13%. Malgré ces évidences, j’ai entendu, lors de mon débat à Versailles, un représentant du MFRB soutenir publiquement que les impôts n’augmenteraient pas avec cette solution.

Sophismes, mensonges, contradictions, démagogie, il est une fois de plus dommageable de voir des esprits intelligents et bien élevés se compromettre dans ces méthodes peu ragoûtantes. En tout cas, proposer une telle hausse de la fiscalité, une telle étatisation, en se produisant sur des sites libéraux relève d’une imposture peu flatteuse.

Le gouvernement profond veut récupérer le revenu universel

Ces simagrées s’expliquent de façon rationnelle. Comme je le répète souvent, la sécurité sociale, en France, permet d’asservir la société en brisant les reins du sentiment de responsabilité et en emprisonnant les forces vives dans un système baptisé solidaire, qui n’est rien d’autre qu’un système de mise en dépendance. La perspective du revenu universel permettant à chacun d’accéder librement à une protection sociale rénovée remet en cause cet asservissement par l’euphorie de la protection.

Il n’est donc pas étonnant que les thuriféraires du gouvernement profond, dont la carrière professionnelle dépend du bien vouloir des puissants, mènent aujourd’hui un tir de barrage pour récupérer et remettre à leur sauce une idée qui les menace. Le revenu universel semble prendre de l’ampleur. Il faut donc apprivoiser la bête et en faire un outil d’asservissement plutôt que d’émancipation.

Le plus surprenant est que, malgré les dizaines de milliers d’euros engouffrés dans Générations Libres, son influence sur le sujet soit si faible.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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