Quand des sénateurs veulent tester le revenu universel

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Par Jean-François Faure Publié le 24 octobre 2016 à 8h49
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150 MILLIONS €Un rapport préconise une phase de test pour le revenu universel qui pourrait coûter 150 millions d'euros par an.

On vous rassure tout de suite, il ne s'agit pas pour ces sénateurs de tester eux-mêmes ce que cela fait de vivre avec quelques centaines d'euros par mois. Ils en seraient bien incapables. En réalité, ils envisagent surtout de mettre en place une expérience portant sur quelques dizaines de milliers de personnes vivant dans des "territoires volontaires"

Là encore, éliminons tout de suite la notion de "volontariat" qui, on l'a bien compris, ne concernera que les territoires, pas les habitants. S'agit-il de quelques communes soigneusement sélectionnées ? D'un canton, un département ? On ne sait pas encore très bien. Mais ce qu'on sait en revanche, c'est qu'on risque certainement de s'abstenir de demander leur avis aux principaux intéressés, ceux que l'on va poliment appeler les "bénéficiaires" mais qui risquent surtout de jouer les cobayes sacrifiés sur l'autel de la science économique expérimentale.

De l'utopie à l'expérimentation

C'est un rapport intitulé Le revenu de base en France, de l'utopie à l'expérimentation, publié le 13 octobre dernier, qui a relancé le débat sur lerevenu universel en France, en exposant de manière plutôt didactique (mais aussi très théorique, et parfois confuse...) la nécessité de tester le revenu universel grandeur réelle. Les sénateurs se réclamant "socialistes et républicains" à l'origine de ce rapport ont souhaité, de leur propre aveu, "clarifier une notion dont l'énoncé apparemment simple cache une multiplicité de projets qui peuvent se révéler parfaitement opposés et d'une complexité redoutable." En gros, personne ne sait vraiment comment faire, ni même si c'est juste faisable, mais le revenu universel mérite selon eux qu'on le teste sur de gentils citoyens pour voir si ça fait mal.

Et là, ils ne renoncent devant rien pour développer leur sujet, se référant pêle-mêle aux humanistes du XVIe siècle, au RMI, à la situation en Inde et en Namibie (?), à la lutte contre la pauvreté en général ainsi qu'à la justice sociale pour laquelle nos élus doivent continuer à se battre. Ou en tout cas, à le faire croire... Car, en matière de justice sociale, la bonne volonté des parlementaires n'est jamais très évidente, ne serait-ce que par l'exemple qu'ils en donnent eux-mêmes. Passons.

Des formules très différentes à étudier

Quoi qu'il en soit, ce rapport préconise de tester le revenu universel sur une population "de 20 000 à 30 000 individus", afin de déterminer quelle formule se révèlera la plus efficace. Parce que l'ennui avec le revenu universel c'est qu'il recouvre une large panoplie de mesures et de projets assez différents les uns des autres. Cela va de l'allocation minimale destinée à fournir à chacun un revenu minimum pour vivre (ou survivre, pour être totalement sincère), finalement guère éloigné du RSA actuel, jusqu'à l'allocation unique excluant toutes les autres prestations avec des conséquences variables sur l'économie ainsi que sur la situation des usagers.

Ainsi, reprenant un projet de la Caisse nationale d'allocations familiales, le rapport explique qu'en regroupant l'ensemble des prestations destinées aux ménages modestes servies par la branche famille, on arrive à un total de 45 milliards d'euros qu'on pourrait dès lors convertir en une allocation unique, "un revenu minimum garanti de 900 euros par ménage, majoré dans certains cas particuliers (présence dans le foyer d'un handicapé, parent isolé, familles nombreuses...)" Toujours selon la Caisse nationale d'allocations familiales (car les sénateurs préfèrent ne pas trop se mouiller sur cette question sensible), "ce minimum garanti permettrait, à coût constant, de réduire drastiquement le taux de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian, qui passerait de 8 % à 2 %". Mais attention, il ne s'agirait cependant pas ici d'accorder un revenu de base par individu, mais bien d'une allocation unique versée aux ménages.

D'une manière générale, toutes les options présentées dans ce rapport présentent un certain nombre d'inconvénients qui les rendent, sinon inapplicables, tout au moins particulièrement délicates à mettre en œuvre.

Une mauvaise compréhension du revenu universel

L'ennui de ces différentes mesures c'est qu'elles sont généralement dictées par un principe qui ne cadre pas avec la notion de revenu universel. En effet, l'objectif premier des propositions développées dans ce rapport semble être de lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales. Or, un revenu universel est un revenu versé inconditionnellement, sans que les bénéficiaires n'aient à satisfaire à une quelconque exigence de situation financière, notamment. Cette "allocation unique", dont la plupart des projets exposés dans ce rapport semblent se prévaloir, se rapproche davantage de la notion de "minima sociaux", alors qu'il devrait plutôt s'agir d'un socle commun garanti dont pourrait bénéficier chaque individu, quel que soit son niveau de revenu ou même sa situation familiale. Dans certains cas, l'objectif de lutte contre la pauvreté serait certainement atteint, mais il s'agirait alors d'une simple conséquence, et non d'un objectif.

Car l'objectif du revenu universel est ailleurs, il est bien plus vaste, et il répond surtout à une profonde mutation du monde économique et social dans lequel le travail se raréfie au profit de l'automatisation, un monde qui prétend nous offrir de plus en plus de temps libre sans pour autant nous permettre d'en profiter car il nous prive mécaniquement des moyens d'en payer les fruits. Un revenu universel, que l'on juge ce projet utopique ou non, répondrait d'abord et avant tout à cette obligation : laisser le progrès se développer pour le plus grand bénéfice de tous (ou en tout cas sans trop nuire au bien-être de chacun). Le revenu de base pose aussi selon moi la question de la rémunération de l'activité contre la rémunération du travail. Dans 20 ans, avec des robots, des bots et autres drones qui auront montré une meilleur efficacité au travail nous devrons réfléchir à notre activité. Toucherons-nous un revenu de base et en échange nous nous occuperons des anciens (cf. le Fureai Kippu au Japon), ou bien nous développerons des activités culturelles (cf le Narayan Banjar à Bali), etc. ?

Tester pour s'assurer qu'on aurait tort d'essayer...

Pour finir, la mission sénatoriale à l'origine du rapport préfère ne pas préconiser la mise en place d'un revenu de base en France, "même si, à un horizon de dix ou vingt ans, la voie d'une introduction graduelle pourrait être envisagée". Et parmi ces tentatives d'introduction graduelle, les sénateurs jugent "indispensable de mener dès aujourd'hui une expérimentation, dans des territoires volontaires, de plusieurs modalités d'un revenu de base."

En clair, ce n'est pas une bonne idée telle qu'elle est présentée, mais on va quand même tester sur quelques milliers de personnes pour être être bien sûrs. Des personnes qui risquent de souffrir d'une application mal préparée d'un projet auquel personne ne croit, mais il faut bien sacrifier quelques cobayes pour le bien de la communauté tout entière. Une seule question demeure : quel élu (le vôtre, le mien ?) va donc se porter volontaire pour faire cette expérience sur son territoire ?

Selon moi le revenu universel de base serait l'occasion de tester massivement d'affecter une monnaie complémentaire à des actions positives : aide sociale, consommation éthique et compatible avec un développement durable, etc. Malheureusement il ne va pas être testé dans de bonnes conditions, pour les bonnes raisons et pensé uniquement au regard de l'Euro. Dommage de passer à côté d'une très bonne idée qui risque ne pas montrer le meilleur d'elle-même.

Article écrit pour la page LinkedIn Pulse de Jean-François Faure

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Jean-François Faure est le président d'AuCOFFRE.com. Il a fondé ce service en ligne de placement en or physique avec garde en coffres car l'or physique est pour lui le meilleur produit d'épargne pour sécuriser son patrimoine. Il a publié un livre intitulé L'or, un placement qui (r)assure pour guider les épargnants. Véritable militant, Jean-François Faure a créé et promeut le label Clean Extraction afin de développer une exploitation aurifère respectueuse de l'environnement et des hommes.

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