Le spectre de la déflation s’éloigne aux Etats-Unis

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Par Philippe Weber Modifié le 29 novembre 2022 à 10h08

L’amélioration du marché de l’emploi américain va finir par tirer les salaires vers le haut.

Faut-il toujours craindre le spectre de la déflation ? Cela dépend où ! Aux Etats-Unis, plus du tout. D’ailleurs, l’indicateur que calcule la Banque de Réserve fédérale d’Atlanta, qui estime une probabilité de déflation à partir du marché des obligations indexées sur l’inflation, est désormais à 0. Toutefois, ce sont surtout les dernières données statistiques qui permettent de le conclure.

Un certain nombre de mesures de l’inflation ont une tendance à l’accélération, malgré le léger repli du dernier mois. On peut citer l’inflation médiane (l’indice élémentaire du « panier de la ménagère » qui sépare les 50 % d’indices élémentaires qui progressent le plus des 50 % qui montent le moins, ou l’indice des prix rigides, qui élimine les indices historiquement les plus volatils). L’accélération n’est pas spectaculaire, mais elle est présente. Certaines composantes ont aussi tiré les prix vers le haut et devraient continuer. Citons notamment les loyers imputés, c’est-à-dire les loyers que paieraient les propriétaires occupant leur logement s’ils étaient locataires. Ils représentent presque 25 % de l’indice des prix à la consommation et ont augmenté de 2,7 % en un an. Cette hausse devrait se poursuivre, puisque, usuellement, ces loyers imputés augmentent en même temps que la masse salariale, que le prix des logements ou que les taux d’intérêt (ces derniers devraient remonter en 2015).

Est ce que d'autres éléments que les prix eux-mêmes conduisent à la même conclusion ? Oui. On peut citer, par exemple, le taux d’utilisation des capacités, qui remonte régulièrement avec la progression de l’activité ; s’il est encore inférieur à sa moyenne de long terme, il a dépassé, pour certains secteurs de l’économie, le niveau d’avant la crise. Or, on constate que l’inflation est bien corrélée à ce taux. De même, la baisse du taux de chômage devrait finir par permettre une hausse des salaires. Il est vrai que, pour l’instant, on ne la voit pas : c’est un des mystères de cette reprise économique.

Au total, il nous semble que l’inflation devrait accélérer et finir par dépasser 2 %, d’autant que certains dirigeants de la Réserve fédérale et le FMI lui-même déclarent juger préférable de tolérer une inflation un peu plus haute tant que le marché du travail n’est pas revenu à la normale – dans la mesure où les anticipations restent bien ancrées.

Et en zone euro ? La situation est évidemment très différente. L’inflation est très basse, trop basse : à0,3 %, on est bien loin de l’objectif d’une inflation « inférieure à 2 % mais proche de 2 % » que s’est assigné la Banque centrale européenne. Les anticipations d’inflation ont baissé, sans toutefois devenir négatives. De plus, la faiblesse de l’activité et le niveau élevé du taux de chômage ne sont pas de nature, à court terme, à soutenir les prix.

Il y a donc un risque de déflation ? Un risque, oui ; c’est d’ailleurs pour cela que la BCE a pris, depuis quelques mois, toute une série de mesures, de taux de dépôts négatifs à la mise en place d’achats d’obligations sécurisées et de créances titrisées et aussi de refinancement à long terme ciblés, destinées à relancer le crédit à l’économie réelle. Elle est même disposée, si la situation s’aggravait, à mettre en place un assouplissement quantitatif par achat de titres d’Etat. Un risque, donc, mais, à notre sens, pas très élevé. Tout d’abord, il convient de mentionner que les trois quarts de la baisse de la désinflation depuis deux ans proviennent de l’alimentation et de l’énergie. Certes, cela n’empêche pas l’inflation totale de baisser, mais cela signifie malgré tout que cette désinflation ne vient pas de facteurs endogènes – dans le cas de l’énergie au moins, on peut même considérer qu’il s’agit d’un gain de pouvoir d’achat de la zone euro. Ensuite, comme aux Etats-Unis, malgré la morosité de l’économie, on observe une remontée, certes très lente, du taux d’utilisation des capacités, et une baisse, certes très lente, du taux de chômage. Sauf si l’économie devait retomber en récession, cela devrait être de nature à faire remonter l’inflation.

Cela suffira-t-il ? A court terme, sans doute pas. Mais la solution pourrait venir d’une conséquence des mesures récentes de la BCE, à savoir la baisse de l’euro sur le marché des changes. Même si ce n’est pas avoué, c’est sans doute un des objectifs implicites de la banque centrale. De fait, l’augmentation à venir de la taille du bilan de la BCE, alors que la Réserve fédérale arrête d’accroître le sien, a permis une baisse de l’euro de près de 10 % en taux de change pondéré. Cela devrait à soi seul provoquer une hausse des prix supplémentaire de quelque 0,8 % d’ici trois ans, et surtout un surcroît d’activité de 1 % d’ici deux ans : de quoi éviter la déflation. Espérons-le, en tout cas, car si une inflation forte a bien des inconvénients, une déflation peut être désastreuse.

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Philippe Weber est responsable études et stratégies chez CPR ASSET MANAGEMENT.

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