La vengeance de Poutine : un plat qui se dégustera froid

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Par Alexandre Lagny Modifié le 29 novembre 2022 à 10h10

Le mois dernier, le ministre russe des finances aurait évoqué lors d’une réunion le rôle croissant du rouble dans les exportations de biens, en excluant le dollar.

Si la Russie agit contre le dollar américain, ce peut être perçu comme un acte de représailles. Et avec la réputation de Poutine, c’est probablement le cas. Mais cela n’exclue pas aussi une démarche réfléchie de la part du gouvernement russe et l’Iran et le Chine soutiennent le plan russe pour réduire l’utilisation du dollar dans leurs propres exportations.

Pour tenter de réduire ses échanges en dollars, la Russie n’a actuellement que peu de choix. Son seul moyen est de commencer à conclure des affaires avec les devises que les Etats-Unis sont les moins aptes à contrôler.

Même avec son pétrole, l’Iran ne fait pas le poids pour déstabiliser économiquement les Etats-Unis. Avec la Chine, c’est autre chose. Le pays compte plus d’un milliard d’habitants et une économie très importante, même si elle est relativement fragile. Si la Chine rejoint la Russie dans sa distanciation avec le dollar, même juste un petit peu pour commencer, cela peut peser lourd en fin de compte.

La Chine possède plus de 1 000 Mds € de bons du Trésor américain, nous ne percevons encore aucun signe montrant que la Chine va significativement réduire ses réserves de dette publique américaine, mais le gouvernement chinois sort un peu du dollar lorsqu’il adhère au plan russe.

A-t-on encore vraiment besoin d’une monnaie mondiale de réserve ?

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le dollar américain est considéré comme la monnaie de réserve internationale. La majorité des échanges internationaux et accords ont été passés en dollar, et le pétrole n’a pas fait exception.

Mais la situation va lentement évoluer au cours des dix prochaines années. Soyons clair, il n’y a quasiment aucune chance pour que le rouble russe devienne la prochaine monnaie de réserve mondiale. La Russie a ses propres problèmes. Mais il n’y a pas non plus de raison pour que la Russie commerce avec les autres pays autrement qu’avec le rouble.

En fait, nous ne voyons aucune monnaie fiable capable de prendre la place du dollar en tant que monnaie de réserve. Les seuls pays ou régions qui ont moins de soucis économiques que les Etats- Unis ne sont pas suffisamment importants pour assumer ce rôle. Par exemple, le dollar de Singapore ou le franc suisse ne pourraient pas être mondialement utilisés comme le dollar américain.

Mais a-t-on vraiment besoin d’une monnaie de réserve dans le monde ? Nous vivons à l’ère numérique et vous pouvez convertir les devises entre elles et contre de nombreux autres instruments financiers, simplement en appuyant sur un bouton. Pourquoi la Russie – ou n’importe quel autre pays d’ailleurs – devrait-elle utiliser le dollar américain pour commercer avec d’autres pays autres que les Etats-Unis ?

A La question ici n’est donc pas de savoir si le rouble Russe, le yen japonais, l’euro ou bien n’importe quelle autre devise va remplacer le dollar en tant que monnaie de réserve. A la question : avons-nous besoin d’une monnaie de réserve – je pense que la réponse est non.

Mais quand le dollar va-t-il perdre son statut privilégié ? Les ménages américains sont fortement subventionnés depuis maintenant longtemps. La demande de dollars à l’extérieur des Etats-Unis maintient les prix plus bas qu’ils ne devraient l’être autrement.

Il y a des mercantilistes partout dans le monde. Les stratèges centraux chinois constituent le meilleur exemple.

La Chine exporte des biens vers l’Amérique, et est payée en dollars. Mais au lieu de convertir ces dollars en yuan et les utiliser pour acheter des biens et services autre part, le gouvernement chinois s’en sert pour acheter de la dette publique américaine. Ainsi, le gouvernement chinois subventionne le gouvernement américain, les ménages américains et les exportations chinoises.

Même dans d’autres parties du monde où les gens n’achètent pas nécessairement de la dette américaine, il y a pourtant une forte demande pour le dollar qui soutient à la consommation américaine.

Prenons l’exemple d’un Thaïlandais, résident permanent aux Etats-Unis. Il travaille et paye ses impôts. Il dépense la moitié de son salaire pour acheter des biens et services aux Etats-Unis comme de la nourriture, des vêtements et un logement. Il envoie l’autre moitié à sa famille en Thaïlande, qui l’utilise pour acheter des produits là-bas. Tant que cet argent reste en Thaïlande, c’est profitable pour les consommateurs américains.

Ce Thaïlandais a travaillé et contribué à produire une certaine quantité de biens et services, mais il a seulement consommé la moitié de sa contribution à la production américaine. Cela en laisse plus pour tous les autres consommateurs en Amérique dans l’hypothèse où l’argent envoyé en Thaïlande ne revient pas en Amérique.

Envoyer des dollars à l’étranger a mécaniquement un effet de baisse des prix des biens et des services.

Maintenant supposons que le dollar commence à perdre son statut. Le processus décrit précédemment commencerait à s’inverser. Le retour de dollars augmenterait la masse monétaire en chasse des biens et services américains. Après avoir exporté de l’inflation (des dollars) les Etats-Unis en importeraient.

Si les gouvernements chinois et japonais arrêtaient d’acheter des bons du Trésor américain et réduisaient leurs réserves, les politiciens américains n’auraient plus la possibilité de s’endetter énormément à des taux d’intérêt historiquement bas.

Quand ?

Nous ne sommes pas en train de prédire que le dollar américain va devenir rapidement inutile ou qu’il va perdre son statut de réserve de change dans un avenir proche. Mais nous constatons une dérive progressive vers cette situation.

Une réduction des dépenses publiques devrait plus que compenser le désagrément d’avoir des produits moins cher en provenance de la Chine. Lorsque les choses se compliqueront pour le dollar, la politique de Washington et de la Fed se compliquera aussi.

Nous ne savons pas si cela va prendre cinq ans, dix ans, ou vingt ans. Mais dès qu’une certaine tendance est lancée, parfois les choses vont très vite.

Même l’Europe exprime plus de défiance envers les décisions américaines et les Européens ont besoin d’énergie moins chère venant de Russie par l’Ukraine.

Coécrit avec Geoffrey Pike.

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  Etudiant de première année en école de commerce, passionné d’économie et de finance depuis plusieurs années, Alexandre Lagny est un contributeur des Publications-Agora depuis plus de six mois dans le cadre d’un stage.       

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