SNCF : Combien de centaines de millions d’euros coûtera la grève ?

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 11 juin 2014 à 5h56

A croire que c'est un sujet tabou ou plus basiquement, que personne ne veut faire le calcul au risque d'être accusé de briseur de grève. Pourtant, la question est d'actualité, d'autant plus en temps de crise : une grève massive à la SNCF coûte cher, non seulement à l'entreprise de transport qui va perdre une large partie de son chiffre d'affaires, pour ses salariés qui ne seront -en théorie- pas payé pendant ce (ou ces) jours de grève, et surtout pour les millions de personnes touchées par la grève qui les empêchera d'aller travailler ou les gênera dans leurs déplacements professionnels ou personnels, les obligeant à utiliser parfois des "plan B" plus onéreux.

Sujet tabou, que, lors de la publication de cet article au matin de la grève, nous n'avons vu encore traité nulle part ailleurs, alors même que le montant du préjudice est de plusieurs centaines de millions d'euros ! Comment en arrive-t-on à ce chiffre ?

D'abord, par comparaison : en octobre-novembre 2007, quelques mois seulement après l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, un mouvement de grève de neuf jours consécutifs paralyse le pays. Alors ministre de l'Economie et des Finances, Christine Lagarde évalue le coût d'une journée de grève entre 300 et 400 millions d'euros. Un chiffre qui, pour l'économiste Marc Touati, dépasse même les 500 millions d'euros. La grève d'aujourd'hui coûte-t-elle moins cher au prétexte qu'elle ne durera, espérons-le, qu'un jour (les syndicats ont annoncé que le mouvement était reconductible), et que les passagers pris en otage peuvent reporter leur voyage de manière indolore ? Non, ce n'est pas si simple.

D'abord, même si ce n'est pas la principale victime de la grève, le coût pour la SNCF. Anne-Marie Idrac, lorsqu'elle était présidente de l'entreprise, avait évalué le coût d'une journée de grève à 20 millions d'euros, et c'était en 2007. Difficile d'imaginer que ce montant ait baissé entre temps, mais faute de communication de Guillaume Pépy, le nouveau président de l'entreprise de transport sur le sujet, il faudra s'en contenter. Non, la principale victime des grèves, c'est bien entendu l'économie du pays : En Île-de-France, où la SNCF transporte près de 3 millions de passagers tous les jours, la grève en empêche une large partie de venir travailler, et impacte donc l'activité économique des entreprises de la région. Le Medef évalue ce coût à 50 millions d'euros. En province, où la SNCF ne transporte "que" 0,8 million de passagers dans ses TER, l'impact est plus faible, car une partie de ceux qui prennent le train peuvent se reporter sur d'autres moyens de transport, à commencer par la voiture, y compris en faisant appel au covoiturage. Mais ces solutions de remplacement ont un coût pour ceux qui les adoptent ! Même s'il n'est que d'une dizaine d'euros par personne, cela donne immédiatement... 8 millions d'euros.

Mais il y a aussi et surtout les 350 000 passagers des TGV qui, eux, ne pourront pas se reporter aussi facilement sur la voiture, où alors au prix fort, soit péage+essence+usure du véhicule ou prix de la location. Dans le lot, on estime à plus de la moitié le nombre de déplacements professionnels, liés donc à une prestation à assurer ou à un rendez-vous avec un client. Dans le cas de la prestation, si celle-ci doit être annulée, la perte est sèche. Pour le rendez-vous client, on espère qu'il puisse être reporté, mais dans les faits, comme pour les jours fériés et les ponts, toute journée perdue l'est souvent définitivement, car difficile à rattraper sur les autres jours ouvrés. Quant aux déplacements "non professionnels", l'intitulé est trompeur. Nous sommes ainsi en pleine période d'examens pour les grandes écoles, et les médias sont remplis de témoignages d'étudiants qui devaient aller passer un examen à l'autre bout du pays et se retrouvent piégés, obligés de prendre l'avion, de s'y rendre en voiture ou encore de chercher un covoiturage.

Comment le chiffre de 300 à 400 millions d'euros, plus de 500 millions d'euros pour Marc Touati, peut ainsi être atteint ? C'est oublier un peu vite que bien des salariés prennent l'initiative de poser un jour de congé en cas de grève. Bien qu'ils soient empêchés malgré eux de venir travailler, rares sont les salariés à qui l'entreprise "offre" la journée d'absence, même quand ils ont tout fait pour tenter de rejoindre leur poste. Or, un jour de congé perdu, surtout lorsque l'on a passé la moitié de sa journée à attendre un train qui n'arrivait pas ou bloqué dans sa voiture, c'est une perte sèche, réelle. le MEDEF évalue le coût à 50 millions d'euros pour la seule Île-de-France, certes très dépendante des transports, mais il n'est pas aberrant de vouloir doubler ce chiffre pour obtenir le coût au niveau national.

Dans l'administration et la fonction publique en général, le traitement est semble-t-il nettement différent, et l'on y fait preuve de beaucoup plus de compréhension. Parce que l'administration ne se soucie pas de sa rentabilité et de sa productivité ? Par "solidarité" avec le mouvement de grève dans une entreprise publique ? Un peu de tout cela à la fois, mais au final, une partie du traitement des fonctionnaires sera versé à perte aujourd'hui. Le coût d'une journée de fonctionnement de la fonction publique représentant environ 300 millions d'euros pour l'Etat et les collectivités, même si seuls 10 % des fonctionnaires perçoivent leur traitement sans avoir pu venir travailler, la facture s'élève déjà à 30 millions d'euros.

Au final, la fourchette de 300 à 400 millions d'euros de Christine Lagarde, plus de 500 millions d'euros pour Marc Touati, n'est certainement pas bien éloignée de la réalité, et peut-être même en deça. Lors d'une grève, tout le monde en subit directement ou indirectement les conséquences, même ceux qui ne prennent pas le train pour se déplacer ! Dans son évaluation, Christine Lagarde parlait même de la "perte de bien-être" : inestimable, et pourtant, bien réelle...

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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