La sortie de crise doit s’attaquer aux inégalités sociales

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Par Manuel Domergue Publié le 11 juillet 2020 à 8h00
Sortie Crise Doit Attaquer Inegalites Sociales
14%En 2016, le taux de pauvreté en France se situe à 14 %.

La profonde déstabilisation de notre organisation sociale provoquée par la crise sanitaire en cours est riche d’enseignements. L’affrontant depuis trois mois par le prisme de l’aide aux personnes sans-domicile et mal-logées, la Fondation Abbé Pierre essaie d’en tirer ici les principales leçons pour aujourd’hui comme pour demain ; et cela, tant pour réussir une sortie du confinement qui rime avec justice sociale que pour préparer la société résiliente et juste de demain.

Face aux crises à venir, nous avons besoin d’une société robuste pour protéger ses citoyens et leur garantir une réelle autonomie socio-économique et d’habitat. La crise actuelle souligne cruellement la fragilité d’un nombre très important de personnes vulnérables qui les expose à des risques accrus en cas de déstabilisation sociale. Au début du confinement, des milliers de nos concitoyens les plus précaires ont eu faim, parce que les retraités ne pouvaient plus assurer leurs missions bénévoles ou parce que les salariés des associations qui leurs viennent en aide avaient vu leur capacité d’intervention sérieusement amputée.

Dépendre de distributions alimentaires, d'épiceries sociales et d’hébergement d’urgence aléatoires révèle l’immense précarité à laquelle les personnes sans-domicile sont condamnées. Ces personnes ont besoin de protections plus robustes, d’un revenu décent et d’un logement pérenne, quoi qu’il arrive, pour faire face aux prochaines crises que nous aurons à affronter.

Au-delà des personnes sans domicile, ce sont les millions de personnes mal-logées qui sont aujourd’hui fragilisées et le seront face aux crises à venir. D’autres événements beaucoup plus prévisibles, comme le dérèglement climatique, les pics de chaleur, la hausse des prix de l’énergie, risquent d’affecter fortement ces publics. Le confinement généralisé a mis en évidence les inégalités criantes face aux conditions d’habitat. La sortie de crise doit à notre sens être une occasion de faire de la lutte contre la pauvreté et le mal-logement un chantier prioritaire.

A court terme, aider les personnes précarisées

Comme souvent dans les crises économiques, le modèle social français protège bien ceux qui sont déjà les mieux protégés : les fonctionnaires, les personnes en CDI, les retraités. A l’inverse, les intérimaires, les personnes en contrat précaire, les stagiaires, les saisonniers, sans parler des 2,5 millions de travailleurs non-déclarés, subissent directement la récession. Alors que le chômage partiel et l’aide aux entreprises ont permis de mobiliser en urgence des dizaines de milliers d’euros, les plus précaires n’ont eu droit qu’à des aides modestes, quelques centaines d’euros au maximum pour toute la période, conditionnelles, tardives et ratant une partie de leur cible.

Contrairement à ce qu‘avance le gouvernement, ces filets de sécurité sont très insuffisants, comme le prouve la montée des impayés de loyers et de charges. Avec un million de chômeurs supplémentaires en deux mois et une activité qui peinera à reprendre son rythme habituel, tout laisse penser que nous ne sommes qu’au début de la vague et que les impayés sont appelés à augmenter encore davantage, au fur et à mesure que s’épuisent les solutions provisoires pour les ménages (retards de paiement, aide de l’entourage, consommation de son épargne…). Comment imagine que les personnes qui font la queue aux distributions alimentaires auront les moyens de payer leurs loyers ? Or, le gouvernement refuse de créer un fonds national d’aide à la quittance, pour éviter le basculement des ménages précarisés dans le surendettement, à tel point que les impayés de 2020 risquent fort de se transformer en records d’expulsions en 2021 et 2022.

Quant aux 200 000 ménages hébergés dans des centres d’hébergement ou dans des hôtels, dont 14 000 de plus depuis le plan hivernal et 25 000 lors de l’état d’urgence sanitaire, les risques de remise à la rue, à partir de la fin de l’état d’urgence au 10 juillet, sont immédiats. Il est donc vital pour eux de maintenir ces places ouvertes le temps de leur proposer des orientations plus pérennes vers des logements de droit commun. Pour cela, les attributions Hlm doivent être davantage orientées vers les plus pauvres et les personnes sans-domicile, sous peine de voir le nombre de personnes sans-domicile, à la rue ou piégées dans des hôtels sordides, continuer sa fuite en avant.

Le 10 juillet sera également un moment de vérité pour les dizaines de milliers de ménages menacés d’expulsion locative. A quatre mois de la prochaine trêve hivernale, quelle serait l’utilité sociale d’expulser à tour de bras des ménages qui auront le plus grand mal, dans le contexte actuel, à retrouver un logement ou un emploi ? Mieux vaut indemniser leurs bailleurs et prendre le temps de les accompagner vers la reprise du paiement des loyers, l’apurement de leurs dettes ou un relogement.

C’est ce qu’a fini par recommander le ministère du Logement dans une directive aux préfets, envoyée le 2 juillet. C’est un signe encourageant, même si ces consignes n’ont pas force de loi et laissent aux préfets la latitude de les respecter… ou pas.

A moyen terme, changer de trajectoire

Les mesures d’urgence ne suffisent pas. La nécessaire relance économique constitue une occasion de réorienter la société vers plus de justice sociale et l’appareil de production vers des activités soutenables écologiquement et socialement utiles, afin de ne pas répéter l’erreur de la sortie de crise de 2008.

Cela passe par des mesures de redistribution en revalorisant les minima sociaux, dont la crise a montré qu’ils ne suffisaient pas pour simplement vivre, de les ouvrir aux moins de 25 ans et de revaloriser les bas salaires des emplois les plus précaires qui sont aussi, bien souvent, les plus utiles à la société, en particulier dans le secteur du soin. En période de crise, chacun doit être mis à contribution en fonction de ses moyens, à travers le rétablissement d’un impôt sur la fortune ou un impôt sur les plus hauts revenus. Il s’avère également que les plus aisés ont pu accumuler une sur-épargne qui pourrait être mieux utilisée en la redistribuant à ceux qui en ont le plus besoin.

L’activité économique doit de même repartir sur de meilleures bases. Elle doit notamment viser à satisfaire les besoins les plus urgents, à commencer par le logement. Le BTP ne peut pas repartir comme avant, mais être réorienté vers la production de logements très sociaux, adaptés aux revenus des plus mal-logés. Outre la réponse à la pénurie de logements dans certaines zones, cette relance de l’activité du bâtiment doit contribuer à faire de la France le premier grand pays à résoudre la question du sans-abrisme, en adoptant résolument une philosophie du « Logement d’abord », qui fasse de l’accès au logement la première marche vers la réinsertion des personnes en grande exclusion.

Le monde du bâtiment doit aussi viser à l’aboutissement du grand chantier de notre génération : la rénovation énergétique des logements, à commencer par les 7 millions de passoires énergétiques, comme l’a demandé la Convention citoyenne pour le climat. Il est plus que temps que l’Etat assume son rôle : édicter des normes de performance énergétique à atteindre, avec un échéancier permettant de planifier ces travaux d’ici à 2040 et de financeur des ménages à très bas revenus, pour que les plus modestes soient les premiers à bénéficier de la transition énergétique.

Ce chantier coche toutes les cases des priorités d’un monde post-Covid : relance de l’activité économique dans le cadre d’un Green Deal européen à renforcer, relocalisation de l’économie, diminution de l’empreinte carbone, effets bénéfiques sur la santé des occupants et des conditions de vie en cas de confinement, diminution de la morbidité du Covid (la précarité énergétique accroît les risques de pathologie respiratoires), protection face aux pics de chaleur, priorité européenne dotée de fonds dédiés, baisse des factures énergétiques, indépendance énergétique de la France, balance commerciale…

Il existe des majorités dans la société pour porter ces grands chantiers. Encore faut-il que la classe politique se hisse à la hauteur des attentes de la société civile.

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Directeur des études et porte-parole de la Fondation Abbé Pierre

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