Faut-il sortir de la zone euro ? La réponse de Patrick Artus #BESTOF

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Par Captain Economics Publié le 22 août 2013 à 4h59

"Honnêtement, ne serait-il pas plus raisonnable de casser l’euro ?" est le titre d'un flash économique publié hier par Patrick Artus, (directeur de la recherche économique à Natixis). Dans ce très court flash éco de 5 pages dont 3 pages de graphiques (= vous n'avez plus d'excuse pour ne pas le lire), Patrick Artus explique très simplement les coûts liés à la disparition de l'euro, mais aussi les désavantages actuels de la monnaie unique, principalement pour les pays en difficulté. Alors, est-il raisonnable de casser l'euro ?

Plutôt que les discussions de comptoir stériles du type "ah depuis l'euro les prix s'envolent" ou "si on ferme nos frontières tout ira mieux", cet article pose la vraie question, à savoir "quels sont les coûts liés à une sortie de l'euro ET quels sont les coûts associés à un maintien de l'euro?". Bien d'autres économistes ont traités cette question par le passé, mais il est toujours intéressant de bien comprendre l'ensemble des coûts et coûts d'opportunité lié à l'euro. Le Captain' va donc commenter les différents coûts de la sortie de la zone, mais aussi les coûts du maintien de l'euro

Les coûts liés à la disparition de l'euro

(1) Coûts de la réintroduction des monnaies nationales. Si l'euro venait à disparaître, chaque pays devrait alors détruire ses euros et réimprimer la monnaie nationale, via l'intermédiaire de sa Banque Centrale Nationale qui retrouverait ainsi son rôle (fin de l'euro = fin de la BCE et retour des Banques Centrales Nationales). Il faudrait alors probablement bloquer les mouvements de capitaux pendant un certain temps, pour éviter un phénomène de bank-run, puis convertir les dettes/créances en monnaie nationale à un taux défini. Si par exemple vous êtes en Espagne et que vous apprenez que l'euro va disparaître dans 1 mois, votre 1ère réaction sera d'aller retirer tout l'argent de votre compte bancaire pour le placer dans un autre pays et ne pas subir ainsi la future dévaluation de la peseta. Sinon, votre épargne en euro sera convertie en peseta le jour de la fin de l'euro, ce qui ne semble pas être un très bon deal... C'est d'ailleurs sur ce principe que les grecs ont massivement retiré de l'argent depuis plus d'un an pour le placer à l'étranger (avec en plus pour la Grèce l'effet bank-run dû au risque de faillite bancaire)

(2) Dégradation des termes de l'échange pour les pays du Sud. On présente souvent la sortie de la zone euro et de la dévaluation monétaire comme LA solution aux problèmes des pays du Sud de la zone (Grèce, Portugal, Espagne...). Mais dans les pays industrialisés de petite taille, une dévaluation pourrait avoir un impact négatif, car certes cela relancerait les exportations (en volume), mais cela renchérirait fortement le prix des importations. L'Italie pourrait ainsi bénéficier d'une sortie de la zone et d'une dévaluation de sa monnaie (car secteur manufacturier assez important et niveau de gamme plutôt bon) mais ce n'est pas forcément le cas pour la Grèce ou le Portugal. Relancer les exportations de feta et de porto via la dévaluation ne va pas non plus sauver le pays (bon ok, j'exagère, mais vous avez compris l'idée).

(3) Perte de compétitivité pour les pays qui réévaluent. Un pays est visé par ce point: l'Allemagne. En effet, en cas de sortie de la zone, le deutsche mark s'apprécierait et rendrait difficile les exportations allemandes vers les autres pays de la zone euro. Les produits allemands deviendraient totalement inabordables pour les principaux partenaires commerciaux de l'Allemagne, à savoir les autres pays de la zone euro (qui eux verraient de plus leur monnaie se dévaluer). Supposons par exemple que si l'euro casse, le deutsche mark s'apprécie de 10% et le franc se déprécie de 10%... Autant vous dire que les exportations de l'Allemagne vers son principal partenaire commercial (la France), exportations qui représentent tout de même environ 100 milliards d'euro par an, vont substantiellement diminuer !


(4) Nécessité de faire défaut sur les dettes publiques et privées des pays qui dévaluent. Si un pays dévalue sa monnaie, les dettes extérieures, dénominées en dollar ou converties en deutsche mark, deviennent impossibles à rembourser. Par exemple vous habitez en Grèce et vous faites du business avec les Etats-Unis et avez une dette "en dollar" envers votre fournisseur. La zone euro explose, mais vous devez alors toujours rembourser votre fournisseur en dollar. Votre monnaie ayant subie une forte dévaluation, c'est impossible pour vous et vous devez donc soit (1) faire défaut partiel ou total soit (2) convertir votre dette en drachme, mais dans ce cas, votre fournisseur ne va pas être super heureux...

(5) Perte massive en capital pour les pays qui réévaluent et qui ont des actifs extérieurs. C'est le même raisonnement que précédemment, mais dans l'autre sens. Des pays comme l'Allemagne ont beaucoup d'actifs extérieurs, et une réévaluation du deutsche marke baisserait la valeur de ces actifs.

(6) Le coût politique de cet aveux d'échec de l'Europe. Pas grand chose à ajouter, mais une fin de l'euro pourrait entraîner la montée des partis extrémistes dans toute l'Europe. Le FN et le Front de Gauche pourront alors se vanter "d'avoir eu raison en critiquant l'euro et la construction européenne depuis de nombreuses années" et la crise provoquée par la sortie de la zone devrait renforcer ces partis.

Selon Patrick Artus, "ces coûts sont tellement énormes que le scénario de loin le plus probable est que l’euro va survivre à long terme. Ceci n’empêche pas que l’euro génère aujourd’hui des coûts énormes auxquels des avantages ne sont plus associés." Mais quels sont ces "coûts énormes" de maintien de la zone euro auxquels les avantages ne sont plus associés?

Les coûts du maintien de la zone

Bien que les coûts d'une sortie de la zone semblent prohibitifs pour l'ensemble des pays, il n'est possible de conclure que l'éclatement n'est pas désirable uniquement si les coûts associés au maintien de la zone sont inférieurs aux coûts de sortie. Et là, le Captain' en revient encore et toujours à la théorie de la zone monétaire optimale, qui explique qu'en cas de chocs asymétriques au sein d'une zone monétaire, il faut (1) soit des transferts entre les pays pour contrecarrer ce choc soit (2) une mobilité des facteurs de production. Pour le dire autrement, le choc de départ en Grèce, dans une zone monétaire optimale, doit être absorbée soit par des aides ou dons des autres pays, soit par une mobilité des facteurs. C'est à dire en voyant les chômeurs grecs partir dans les autres pays de la zone pour chercher du boulot, et à l'inverse les entreprises européennes s'installer en Grèce en relançant ainsi le marché du travail. Mais ce n'est pas le cas...

Par exemple, les Etats-Unis sont une zone monétaire optimale car lorsqu'un travailleur dans un état ne trouve pas de job, il n'hésite pas à changer de ville et d'état pour retrouver un emploi. La France est une zone monétaire optimale, car lorsque les DOM-TOM subissent un choc, alors ils reçoivent un transfert budgétaire de la part des habitants de la métropole.


Mais par exemple dans le cas de la Grèce, l'ajustement au choc se fait par la dévaluation interne et l'appauvrissement, avec une forte baisse des salaires (compression de la demande intérieure) et une baisse des importations pour réduire les déficits extérieurs. Ceci a tendance à renforcer les inégalités, entre les pays industriels, riches à taux de chômage faible et les autres pays de la zone. Par définition, une zone monétaire ne peut avoir qu'une seule politique monétaire, et une divergence des situations économiques est très difficilement gérable.

Dernier point: une union monétaire a comme avantage une meilleure allocation des investissements entre les différents pays avec une forte circulation des capitaux. Mais actuellement, les marchés financiers et les crédits bancaires sont segmentés: l'investissement ne se dirige donc plus là où il serait le plus efficace, mais là où le risque est le plus faible. Résultat, les entreprises et les Etats en difficulté ont de plus en plus de mal à se financer, ce qui les entraîne davantage encore vers la faillite (résultat du "flight-to-quality effect").

Conclusion: Alors, honnêtement, la zone euro doit-elle casser ? Pour le moment, et même si cela est extrêmement difficile à estimer, il semble que les coûts liés à un éclatement soient supérieurs aux coûts du maintien de la zone euro. Mais les coûts liés au maintien de la zone sont, de mon point de vue, très complexes à modéliser, de part le caractère incertain de la durée de la crise et des réformes qui seront ou non adoptées. Si rien n'est mis en place (+ de fédéralisme, plan de sortie de crise pour les pays en difficultés, redressement des finances publiques sans casser la croissance), alors il est fort possible que l'on sous-estime fortement les coûts du maintien de la zone. Bien que ce ne soit absolument pas ce que le Captain' souhaite, si l'euro doit disparaître, autant qu'il disparaisse maintenant que dans deux ou cinq ans !

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Article initialement publié le 25/10/2012

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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