Souveraineté : l’Élysée est très inquiet

Par Bertrand de Kermel Modifié le 20 octobre 2019 à 23h19
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Nous vivons un moment grave de l’histoire de la France et de l’Europe. Nous avons perdu des pans entiers de notre souveraineté. Sans nous en rendre compte. C’est aussi le cas des États-Unis, et probablement de bien d’autres continents.

À l’ONU, le 23 septembre dernier, lors de la conférence sur le climat, le Président de la République lançait un premier avertissement : « Aujourd’hui force est de constater que notre jeunesse et parfois nous-mêmes, ne comprenons plus rien au fonctionnement de ce monde. On veut collectivement reprendre le contrôle ».

Nous avons perdu le contrôle du fonctionnement de la mondialisation

Si les chefs d’États veulent reprendre le contrôle du fonctionnement de la mondialisation, cela signifie qu’ils l’ont perdu. Le Président avait déjà évoqué cette incompréhension de la mondialisation, lors de ses vœux, le 31 décembre 2018 dans les termes suivants : « … Mais nous avons aussi vécu de grands déchirements et une colère a éclaté, qui venait de loin ; colère contre les injustices, contre le cours d’une mondialisation parfois incompréhensible. »

C’est inquiétant, car ce sont les chefs d’États qui ont collectivement tracé le cadre de cette mondialisation, puisque ce sont eux qui ont signé les accords de libre-échange entre1994, date de la création de l’Organisation Mondiale du Commerce et 2019.

Plus crucial : le Président poursuivait en déclarant : « On veut retrouver à la fois de la souveraineté au niveau régional, du contrôle de soi et du sens ».

Le lendemain, 24 septembre, devant l’Assemblée des Nations Unies, il ajoutait : « Mais la réalité est là. Les inégalités ont réaugmenté dans notre monde entre les pays et au sein de nos pays. Notre capitalisme contemporain s'est mis à dysfonctionner produisant un niveau d'inégalités inédit. Nous n'arrivons plus à régler la grande pauvreté et les nouvelles formes d'inégalités ». Terrible aveu d’impuissance !

Le modèle économique américain n’est plus sous contrôle démocratique

Faut-il vraiment dramatiser à partir de bribes de discours sorties de leur contexte ? Oui. Le Président a été extrêmement clair au Salon VivaTech, le 16 mai 2019 : « Les États-Unis (...) ont un modèle qui est aujourd’hui complètement conduit et piloté par des grands acteurs privés et donc qui, en quelque sorte, n’est plus sous contrôle démocratique. Donc il n’y a plus un gouvernement aux États-Unis qui peut vous garantir le respect de votre vie privée ou de vraies politiques comme le changement climatique ». (Journal l’Opinion 16 mai 2019)

Les démocraties américaine et européenne ont perdu des pans entiers de leur souveraineté, parce que le capitalisme contemporain a dysfonctionné. Elles sont en grand danger.

Ce constat de dysfonctionnement n’est pas nouveau. Parmi les plus grandes dérives, il faut citer en premier lieu la corruption. Elle a explosé sur la planète. La France est loin d’être un modèle. La priorité donnée au profit à court terme, constitue un deuxième dysfonctionnement grave. Elle génère mécaniquement l’exclusion, la précarité, les déchets et la pollution.

Enfin le système produit des gagnants et des perdants, et, aux dires mêmes du Président du Forum de Davos, (qui est en quelque sorte le « patron des patrons de la planète »), les gagnants se désintéressent totalement du sort des perdants ! Voilà pourquoi « nous n'arrivons plus à régler la grande pauvreté et les nouvelles formes d’inégalités ».

La gestion de la mondialisation est un échec collectif

Et s’il fallait lever un tout dernier doute, il suffirait de relire le propos du même Président du Forum de Davos qui constatait en janvier 2014 que la « gestion de la mondialisation était un échec collectif ! »

Ce premier article avait pour objet de montrer que l’Europe et la France ont bel bien perdu une grande part de leur souveraineté.

Un deuxième article, publié demain, s’attachera à décrire les mécanismes qui nous ont conduit à perdre une part si importante de notre souveraineté en moins de trente ans via la mondialisation, et les conséquences qui en découlent.

Un troisième article, publié après demain, sera consacré à tous les accords de libre-échange dits de « nouvelle génération ». Cette expression : « nouvelle génération » donne un sentiment de modernité. En réalité elle recouvre des clauses redoutables pour les peuples.

La récupération de notre souveraineté économique, qui imposera de sérieux correctifs au capitalisme dénaturé, passera nécessairement par une renégociation de ces accords de libre-échange, à commencer par le CETA. Impossible donc, de le ratifier en l’état.

Un quatrième article enfin, montrera que le projet de Cour Internationale d’Arbitrage figurant dans le CETA est absurde, et constitue le meilleur moyen de perdre encore plus de souveraineté.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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